Une aile libérale est-elle possible dans le catholicisme ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Parler de tendance libérale dans l’ensemble catholique, c’est évoquer une interprétation revisitée des doctrines. Autrement dit, c’est admettre une possible évolution quant à la compréhension des textes, en tenant compte des contextes culturels. Quitte à parvenir à des conclusions déchirantes sur ce que l’on croyait savoir jusqu’alors ! Joseph Turmel (1859-1943), un prêtre du diocèse de Rennes qui fut excommunié, écrivait : « Est-ce ma faute si exposer la variation des croyances, c’est faire la guerre à l’Église » ? (1)

C’est l’avènement de la conscience moderne, fondée sur une démarche critique, qui a permis l’émergence d’une pensée libérale. Les écritures bibliques ont beau être appelées la parole de Dieu, elles ont été formulées par des humains dans le langage de leur époque. Cette évolution de la conscience s’est beaucoup accrue avec la science moderne, l’affirmation de la raison et du Je dans la philosophie, l’Encyclopédie du XVIIIe siècle… pour en citer quelques causes.

Il existe de nos jours des libéralismes juif, protestant et musulman. L’esprit libéral va de pair avec la diversité des opinions. Cette pensée se nourrit aussi du meilleur de la culture moderne qui a vu les femmes sortir au XXe siècle d’un statut social mineur et accéder à des fonctions exercées jusque-là par les hommes. Il y a aujourd’hui des femmes rabbines, pasteures, imames. À l’inverse, la voie libérale a du mal à être admise dans le catholicisme. Il est de notoriété publique par exemple que le responsable des pages religieuses de La Croix et le rédacteur en chef de La Vie refusent de publier des tribunes ou des recensions de livres théologiques de tendance libérale. 

La tradition catholique s’est figée au XVIe siècle, avec la Réforme protestante et la mise en place de la Contre-réforme. Y ont été réaffirmées la place verticale du pape et des évêques, la formation de prêtres ordonnés au culte. Jusqu’au XXe siècle, l’Église catholique a eu du mal à accepter l’esprit des Lumières, la démocratie politique, le développement de la science. Au milieu du XIXe siècle, le pape Pie IX condamnait encore en 1864 dans l’encyclique Quanta Cura et son catalogue, le Syllabus, le rationalisme, l’autonomie de la société civile et la liberté de penser. Plus près de nous, au début du XXe siècle, la crise moderniste a révélé le blocage catholique à l’encontre d’historiens, de biblistes, de philosophes, d’hommes de science, qui œuvraient à faire entrer l’Église dans la modernité, pour y actualiser l’Évangile. Les responsables romains de l’époque ont condamné ces chercheurs libéraux (2).

En cette troisième décennie du XXIe siècle, les catholiques seraient-ils prêts à accepter une aile libérale, comme cela existe dans la communion anglicane et le monde protestant ? Des chercheurs se sont engagés, depuis plus d’un siècle, dans des études novatrices. Je cite les plus connus : Pierre Teilhard de Chardin, Marcel Légaut, Eugen Drewermann, Bruno Mori, pour les catholiques. Dietrich Bonhoeffer, Paul Tillich, Albert Schweitzer, John Shelby Spong pour les protestants et les anglicans. Leurs idées sont relayées par des mouvements comme les Réseaux du Parvis, Saint-Merry Hors-les-Murs, la Conférence catholique des baptisés francophones, une partie des lecteurs de Témoignage Chrétien, un certain nombre de théologiens, et bien d’autres dans de petits groupes ou dans une démarche individuelle. Alors que, pendant ce temps, la pratique dominicale, marqueur officiel de la vie catholique, se situe à 2 % au niveau national.

Le pontificat du pape François a suscité des espoirs de changement. On parle moins de l’hypertraditionnel catéchisme de Jean-Paul II (1992) ; la Curie romaine est un peu plus sous contrôle ; le Synode mondial des Églises va faire connaître ses conclusions à l’automne 2023 et 2024. Mais beaucoup d’attentes ne sont pas satisfaites. Pour une fois, les choses pourraient-elle aller dans la bonne direction ? Pour ce faire, que de changements en profondeur seraient à opérer !

Robert Ageneau 

 

(1) Felix Sartiaux, Joseph Turmel, prêtre et historien des dogmes, Paris, Rieder, 1931, p. 27. 
(2) Jacques Musset, Sommes-nous sortis de la crise moderniste ?, Paris, Karthala, 2016.

Sources : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-interreligieux/i363.htm
https://nsae.fr/2023/09/19/une-aile-liberale-est-elle-possible-dans-le-catholicisme/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=newsletter-nsae_97

Publié dans Réflexions en chemin

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L
… « faire entrer l’Église dans la modernité, pour y actualiser l’Évangile » VERSUS « la pratique dominicale, marqueur officiel de la vie catholique, se situe à 2 % au niveau national » : cet article, au-delà même de la reconnaissance qu’il appelle pour sa clairvoyance, ne vient-il pas poser exactement ce en quoi tient l’enjeu présent, autrement dit les deux termes de la plus radicale alternative ?<br /> Le ‘’blocage catholique’’ apparait bien, historiquement, comme un mur dressé face à ‘’l’esprit libéral’’. Face à toute intelligence du croire qui entend partir de ce constat, si parfaitement énoncé dans l’article pour ce qui est de son constituant essentiel : « Les écritures bibliques ont beau être appelées la parole de Dieu, elles ont été formulées par des humains dans le langage de leur époque ».<br /> Est-il encore temps d’évoquer une « crise moderniste », ce qui appartiendrait au champ du débat et de la contestation propre à toute institution ? Ou bien l’exigence de liberté et d’élévation de la pensée qui s’attache à une ‘’interprétation revisitée des doctrines’’ et ‘’à (une) évolution de la compréhension des textes’’, est-elle devenue si incontournable que l’Esprit devra se résoudre à faire passer puissamment, non plus des Lumières, mais toute sa Lumière à travers les couches obscures entassées par la tradition - celle qui brandit sa traduction du Livre en appelant à acclamer La Parole de Dieu..<br /> Une façon pour Lui de ‘’faire la guerre à l’Église’’ ?
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P
Beaucoup de questions à propos de cet article.<br /> En dehors d’une définition du libéralisme et de la pensée libérale (libéralisme politique vs libéralisme économique ?) toujours sujette à caution, peut-on appliquer à l’église catholique ces notions qui relèvent plutôt du politique, chaque parti ayant – peut-être - une aile libérale et une aile conservatrice ? On parle souvent de progressistes et de traditionalistes, mais cela ne donne pas plus de sens. Qu’est-ce que le progrès au 21ème siècle, et qu’est-ce que la tradition ?<br /> <br /> Sur les écritures bibliques appelées « Parole de Dieu », il y aurait lieu de remettre sérieusement en question cette appellation. Je citerai deux auteurs, dont l’un n’est pas connu.<br /> « La Bible n’est pas entièrement parole de Dieu, elle est l’écriture de la parole de Dieu. » Vito Mancuso<br /> « L’Ecriture sainte n’est pas la parole de Dieu, elle ne reflète que ce que les hommes en ont compris, elle est un témoignage d’hommes de foi, et c’est déjà beaucoup ».<br /> Voilà qui règle bien des malentendus qui tiennent plus de l’idolâtrie du Livre saint que d’un respect du texte, y compris dans la liturgie catholique.<br /> <br /> Les journaux catholiques comme La Croix ou La Vie refuseraient de recenser des livres de tendance dite « libérale » ? Il faudrait au minimum que l’auteur en apporte des preuves (« de notoriété publique » est tout sauf une preuve), on frise le procès d’intention.<br /> <br /> « Faire entrer l’Église dans la modernité », « actualiser l’Évangile », autant d’expressions que je ne comprends pas et qui ne me semblent pas contenir un sens évident.<br /> A la liste de ce que l’auteur appelle des libéraux et qui probablement n’apprécieraient pas cette étiquette, je suis tenté d’ajouter (liste non exhaustive) dans leur diversité : Bernard FEILLET, Adolphe GESCHÉ, Jean SULIVAN, Marie BALMARY, Robert SCHOLTUS, Marion MULLER-COLARD, Jean-Marie PLOUX, Rémi BRAGUE, Joseph MOINGT, Claude GEFFRÉ, Marie-Christine BERNARD, Fabrice HADJADJ et pourquoi négliger des plus anciens comme PEGUY ou BERNANOS. J’en oublie bien entendu.<br /> <br /> Qu’ont-ils en commun ? Je pense, paradoxalement, la fidélité à une tradition, une authentique tradition judéo-chrétienne qui n’a que faire d’être moderne ou d’actualiser l’Évangile comme on met à jour un logiciel. La vraie tradition, ce n’est pas de figer un texte dans sa version originelle, mais bien de le réinterpréter sans cesse. Qu’il faille réinventer un langage pour aujourd’hui, on peut le comprendre, mais « adapter » le message de la Bible, cela n’a pas de sens, il est intemporel, c’est aux hommes de le comprendre à chaque moment de l’histoire. La tradition n’est pas un dépôt inerte, mais quelque chose à transmettre, et quand on transmet, on modifie, on transmet en recréant, on crée en transmettant. C’est ce que lesdits « traditionnalistes » ne comprennent pas…et peut-être les « progressistes » non plus. <br /> <br /> Cette notion de création est un enseignement majeur de la Bible. On commence à le comprendre aujourd’hui que la création est en danger. Mais cela va plus loin. Nous sommes créés, et nous sommes appelés à être co-créateurs, à l’image du Créateur : cet appel n’a pas changé. <br /> Ce qui n’a pas changé non plus : l’appel au prophétisme. Inutile de citer les nombreux prophètes de l’Ancien testament pour voir qu’ils en appellent à une résistance à l’injustice, à une forme de liberté (je n’ai pas vu ce mot chez l’auteur). Et tous sont interpellés, les puissants comme le peuple, le roi comme l’institution religieuse de l’époque. <br /> « Vous êtes appelés à la liberté » saint-Paul . Cet appel à la liberté est confirmé et accompli dans les Evangiles. Jésus est la Parole devenue chair, cela n’a pas changé non plus, et cette Parole est une Parole qui libère.<br /> <br /> Plutôt que de voir une opposition entre chrétiens « libéraux » et chrétiens conservateurs, n’y a-t-il pas lieu de différencier ceux qui répondent à cet appel à la liberté et ceux qui s’abritent sous la coupe infantilisante d’une institution, fût-elle religieuse.<br /> <br /> « Rien, jamais, ni pour la société humaine, ni pour l’homme n’a été plus insupportable que la liberté ». Dostoïevski
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