Ce sont nos enfants !
Nous sommes des parents qui travaillons dans le monde de l’entreprise, de la culture, de l’éducation. Nous avons élevé nos enfants du mieux que nous avons pu et voulons témoigner de notre solidarité envers d’autres parents tout aussi désireux que nous de faire réussir leurs enfants mais qui sont présentés comme responsables des violences actuelles par tant de responsables politiques.
Le président de la République en appelle au « sens de la responsabilité des pères et des mères de famille » ; le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin affirme que « la police ne peut pas éduquer les enfants à la place des parents » ; le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti annonce avoir « rédigé un flyer à destination des parents » pour expliquer quelles sont leurs obligations « en termes simples [sans doute parce que ces gens-là ne comprennent pas tout !], à ceux qui les auraient oubliées ». Eric Ciotti demande la suppression des allocations familiales aux parents dont les enfants sont absentéistes à l’école. Quant à Marine Le Pen elle propose deux ans de prison pour manquements aux obligations éducatives aux parents concernés. Ce concours Lépine des idées stupides serait risible s’il ne permettait aux élites du pays de se défausser de leurs responsabilités. Réfléchissons plutôt collectivement à l’avenir de nos enfants.
Pensons déjà à nos propres enfants, nous les parents « responsables » qui nous efforçons de les accompagner dans la réussite scolaire, qui les recommandons à nos amis pour leur stage de 3ème, puis pour une première embauche, qui leur garantissons autant que nous le pouvons une présence attentionnée renforcée par des nounous, des baby-sitters et des grands-parents disponibles.
Malgré tous ces efforts, des parents qui nous ressemblent voient leurs enfants devenus adultes « mal tourner ». Ils n’ont pas volé des canettes, brulé un gymnase, caillassé des commissariats mais ils ont dérobé à la communauté nationale des milliards d’euros par de la fraude fiscale ou des placements paradisiaques, détourné des subventions, sabordé des entreprises en laissant des milliers de salariés sans emploi pour empocher quelques millions d’euros en actions, utilisé des produits dangereux pour la santé en toute connaissance de cause… et pourtant, ils ne viennent pas des « cités ».
Qu’ont donc bien pu faire leurs parents pour rater à ce point leur éducation ? Malgré l’École Alsacienne, HEC, les cours de musique, ils violent les lois de la République, ils piétinent les règles morales et leurs parents n’y seraient pour rien ? Est-il envisagé de se pencher rétroactivement sur les carences éducatives de ces parents qui ont laissé leurs enfants abîmer ainsi le contrat social ?
Mettons donc chacun devant ses responsabilités : si les parents sont responsables des méfaits de leurs enfants, alors les élites qui nous dirigent sont responsables du sort de leurs citoyens. Elles ont laissé se dégrader depuis des années les quartiers d’où proviennent les « émeutiers » de ce mois de juillet : écoles en mauvais état, enseignants mal rémunérés et en sous-effectifs, logements mal isolés, services publics insuffisants. Dans les quartiers touchés par les émeutes, 40 % ne disposent pas de crèches, il y a 3 fois moins d’équipements sportifs et 37 % de professionnels de santé de moins que la moyenne nationale. Cette liste n’est pas exhaustive.
Quelles sont donc les sanctions prévues pour avoir accepté que ces enfants-là grandissent dans de telles conditions ? Va-t-on retirer leurs salaires aux présidents et ministres, aux responsables politiques qui ont laissé cette maltraitance institutionnelle s’installer ? Prévoit-on des sanctions pénales, de la prison ferme pour les responsables de l’Éducation nationale qui ont fait de la France la championne européenne des inégalités scolaires ? Est-il question de punir sérieusement les ministres de l’Intérieur successifs qui refusent de mettre fin aux contrôles d’identité à répétition comme technique humiliante de maintien de l’ordre ?
Nous vivons dans un pays où, pour faire simple, la maman, aide-soignante, absente de son foyer pendant une longue journée, qui gagne peu et élève seule ses enfants dans des lieux de ségrégation sociale est une mauvaise mère quand son fils viole la loi. Mais le couple de cadres supérieurs du centre-ville dont le rejeton est impliqué dans une faillite frauduleuse ou du harcèlement est juste malchanceux.
TOUS les enfants sont NOS enfants, sinon, que fait-on de notre devise républicaine et du concept de fraternité ? Ces enfants et ces adolescents sont les frères et sœurs de nos enfants, ils ne sont ni des extra-terrestres, ni des nuisibles comme osent l’écrire certains syndicats policiers. Au contraire, comme l’écrivait le général De Gaulle dans le préambule de l’ordonnance de 1945 : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ».
C’est vrai, il y a urgence : la planète brûle, les quartiers brûlent, et il faut s’occuper des deux incendies. Si nous ne faisons rien, si nous nous contentons de jeter l’opprobre sur une partie de nos concitoyens, si nous continuons dans l’escalade des propos affolés, méprisants, provocateurs ou racistes, si nous persistons dans l’inconséquence politique, les mêmes effets se reproduiront à échéances de plus en plus rapprochées.
Ces enfants sont ceux de la République qui doit, avant de désigner des responsables, regarder en face sa propre responsabilité. Oui, ce sont nos enfants ! Il faut nous en occuper, tous, avec du courage, de la fermeté, du dialogue et de l’amour.
Signataires :
Laurent Sablic, chef d’entreprise
Michèle Wertheim, restauratrice
Frédéric Gilli, économiste
Sakina M’sa, créatrice de mode
Philippe Lemoine, entrepreneur
Pascale Fanen, enseignante-chercheuse
Daniel Goldberg, président d’association
Catherine Sabbah, directrice d’un institut de formation
Jérôme Saddier, militant de l’économie sociale et solidaire
Nelly Bonnafous, cadre de la protection de l’enfance
Jean-Charles Eleb, entrepreneur
Gérard Billon, syndicaliste
Marion Venus, traductrice
Quentin Chaix, journaliste
Aurore Le Gal, consultante
Henry Dupouy, ingénieur
Aurélie Chompret, cadre territoriale
Didier Jouault, président d’association
Cécile Cholet, coordinatrice pédagogique
Antoine Caubet, metteur en scène
Laurence Hirsch, directrice d’agence
Christelle Déri, architecte
Didier Sablic, enseignant
Julia Kuntzle, journaliste
Paul Blondé, journaliste
Jean Michel Ribes, auteur, metteur en scène
Michèle Leclerc-Olive, chercheure CNRS