Oui, ce sont nos enfants ! Mais ce n’est pas si simple.

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le débat entamé dans Garrigues & Sentiers sur les interprétations des émeutes qui ont suivi la mort d’un jeune garçon soulève toute une série de problèmes consonants et parfois convergents : racisme, colonialisme, immigration, islamophobie etc. Les solutions qui seront trouvées… ou pas pour les résoudre risquent de déterminer assez fortement l’avenir politique de notre pays (risque de submersion Marine). C’est grave. Ce débat doit se poursuivre sereinement et surtout « rationnellement ».

Je suis assez consterné par la faiblesse argumentaire du texte d’un collectif de parents intitulé Ce sont nos enfants ! paru le 31 juillet dans G & S. L’intention est louable, mais cette sorte de chantage affectif ne remplace pas l’analyse logique d’une situation conflictuelle ancienne et complexe. Parmi les questions soulevées, explicitement ou non, on peut relever un certain nombre d’affirmations péremptoires dont l’absence de rigueur, et parfois de bon sens, laisse insatisfait. Plusieurs critiques contre le « système » actuel – par ailleurs très pertinentes et recevables – sont rendues insignifiantes par un « antibourgeoisisme » primaire. On a un peu l’impression de lire le Petit livre rouge de Mao.

1° Les dérives délinquantes des (ou de certains ?) enfants de quartiers populaires doivent-elles être exonérées parce que les (ou seulement des ?) petits bourgeois ont aussi des comportements délictueux ? Que déduire en vérité de ce match nul potentiel ?

2° Il est exact que les enfants de la bourgeoisie ont éventuellement un environnement éducatif plus favorable dans la mesure où ils ont plus facilement accès à la culture et sont davantage suivis par leur famille (pas toujours !). Doit-on empêcher leurs parents de faire ce qu’ils estiment le meilleur pour leurs enfants, afin de ne pas fausser l’« égalité des chances » ? Pour le coup ce serait à l’État de compenser le hiatus par une école plus performante et les centres socio-éducatifs de quartier.

3° On ne peut placer sur le même plan de gravité un vol de canettes et l’incendie d’un gymnase, a fortiori d’une école. Dans ce dernier cas, on touche à l’intouchable. Je pense que l’humaniste impénitent qu’était Victor Hugo s’en étranglerait de fureur, lui qui croyait, dit-on, qu’en ouvrant une école on fermerait une prison.

4° Si on refuse, à juste titre, de généraliser des comportements répréhensibles à tous les enfants des quartiers dits « sensibles », on pourrait, peut-être, appliquer la même règle aux enfants de bourgeois. Tous ne dérobent pas des milliards d’euros ni sabordent par cupidité des entreprises, faisant des milliers de chômeurs.

5° Si « les élites qui nous dirigent sont [seules ?] responsables du sort de leurs concitoyens », que dire de ceux qui les ont élus ou qui ne se sont pas dérangés pour aller mieux voter ? Il faudra un jour, que l’on mette au clair nos idées sur les « valeurs » et moyens de la démocratie.

D’accord, bien sûr (j’ai été enseignant et suis père de famille), pour que le pays s’occupe de tous les enfants. Avant de modifier d’autres institutions, il conviendrait de réformer – enfin, rapidement et profondément – l’Éducation nationale, au-delà de modes pédagogiques passagères qui risquent, dans l’état actuel des choses, de ne profiter qu’à une minorité. D’abord, il est impératif qu’en entrant en 6e, les enfants sachent lire, écrire et compter. Je sais que ce « programme » est souvent revendiqué par la droite. Il n’en est pas moins d’une urgente exigence. Il est scandaleux qu’à l’université, des étudiants de première année ne puissent écrire dix lignes cohérentes, et qu’on n’ose leur demander de lire un texte à haute voix de peur qu’ils se sentent humiliés en le balbutiant. Je l’ai vu et entendu naguère in situ !

Je souscris donc à la dernière phrase du manifeste à propos de ces enfants « maltraités » par la société libérale : « Il faut nous en occuper, tous, avec du courage, de la fermeté, du dialogue et de l’’amour», mais je ne souscris qu’à elle seule.

Marcel Bernos

Publié dans Réflexions en chemin

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L
Lisant, très épisodiquement, votre blog, la semaine dernière je vous ai envoyé ce commentaire sur l'article de Marcel Bernos. Je suis étonné qu'il n'ait pas paru, je vous le renvoie donc. L.G.<br /> <br /> Marcel Bernos commence son papier par une descente en flèche de l'article "ce sont nos enfants" : "consterné", "chantage affectif", pas d'"analyse logique", "insignifiance", "antibourgeoisisme primaire". N'en jetez plus! J'oserais dire que je suis moi aussi "consterné"... par une critique aussi "primaire".<br /> Cet appel ne se veut pas une étude sociologique, il s'agit d'un appel. En ne le prenant pas pour ce qu'il est et veut être, on peut évidemment le trouver mauvais, voire le démolir!<br /> Revenons aux critiques. Où les signataires exonèrent-ils les dérives délinquantes des enfants des quartiers populaires? Il ne dit pas non plus que tous les enfants de la "bourgeoisie" sont délinquants, mais il note, à juste titre, que ce sont bien certains de ces enfants (de nos enfants à nous, bourgeois) qui, devenus adultes, commettent des délits qui, s'ils ne nous font pas peur comme les émeutes que nous avons subies, sont autrement graves et coûteux pour notre société. Et nulle part il est dit que l'incendie d'un gymnase ou autre ne serait pas grave. L'article ne généralise en rien les dérives d'enfants de la bourgeoisie. Quant à la critique des élites, elle ne dispense pas de critiquer d'autres personnes, mais c'est bien les élites responsables qu'il faut mettre en première ligne quand la société se délite.<br /> Quant au paragraphe sur l'Education Nationale, il est fait de poncifs qui sont en partie vrais, comme tous les poncifs, mais d'un simplisme affligeant. "Ce n'est pas si simple" comme aime à l'écrire l'auteur.<br /> Ainsi rien à redire sur les affirmations de Marcel Bernos : ne pas exonérer les dérives délinquantes, ne pas généraliser la délinquance de nos élites, reconnaître la responsabilité des électeurs, etc. C'est toute l'astuce de cette rédaction : rien à redire sur les affirmations, l'article serait donc inattaquable. Mais elles sont écrites pour déconsidérer l'appel de l'article "ce sont nos enfants", pour nous rendre sourds devant un tel appel. <br /> C'est objectivement un appui aux attaques des autorités actuelles, relayées par Marine Le Pen, contre les familles des quartiers populaires en prétendant que ce qui est arrivé est le fruit de leur démission éducative. Nos élites essaient de se dédouaner en faisant porter le chapeau, comme chaque fois, à ceux qui sont les plus pauvres et discriminés, alors qu'elles ont une part immense de responsabilité sur la situation actuelle de délitement de la société. Il était inutile d'apporter de l'eau à leur moulin.<br /> Finalement "ce sont nos enfants" est un appel écrit par des "bourgeois", donc qui se sentent en cause eux aussi, et disent "ne regardons pas la paille dans l'œil des autres (même si c'est une grosse paille!) sans voir la poutre dans le nôtre". Cela a déplu à Marcel Bernos.
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B
Je vous prie d’excuser mon retard à vous répondre, : simple difficulté technique pour accéder à internet.<br /> Je reçois votre critique avec sérieux et respect : nous sommes sur un blog et que la critique est la raison même de l’existence d’un blog. Il me semblait pourtant avoir répondu, pour l’essentiel, à une partie au moins de vos remontrances, dans ma réponse à Catherine, le 7 août.<br /> Où en sommes-nous ? Vous concédez : « Ainsi rien à redire sur les affirmations de Marcel Bernos» ; de mon côté, j’avais écrit : « que l’intention des signataires était louable et que leurs critiques contre le «système» actuel étaient très pertinentes et recevables». Le seul point polémique pendant reste donc, ce qui était l’objet de mon article, l’argumentation du texte intitulé «Ce sont nos enfants». Ces enfants — parfois un peu adultes quand même, qualifiés jadis de «sauvageons» par un ministre de gauche — sont les enfants, de la République, certes (NB : se sentent-ils tels ?), et les défauts de leur éducation relèvent en partie sans aucun doute de la responsabilité de l’État, même si elle dépend aussi du milieu de vie : famille et entourage. <br /> Il semblait que pour un texte, paru d’abord dans un grand quotidien pouvant potentiellement peser sur l’opinion publique, on aurait pu approfondir davantage une analyse quelque peu simpliste et manichéenne. Peut-être n’aurait-il pas été inutile, effectivement, de prendre l’avis d’un sociologue ou d’un politologue ! MB<br /> PS. : Il est inutile et contre-productif, chaque fois qu’un texte s’écarte de la doxa supposée de gauche, de l’attribuer systématiquement à la mouvance de droite, voire d’extrême droite. C’est rendre service à celle-ci. On peut être de gauche, sans être «radical» et en gardant dialectiquement le sens des nuances.
G
Merci, cher Internaute, pour ce commentaire que nous publions dès sa réception, votre premier envoi, pour des raisons que nous ignorons, ne s’étant pas affiché sur Overblog. Et au plaisir de vous lire à nouveau si l’une de vos balades sur les sentiers de nos garrigues vous inspirait d’autres commentaires !<br /> Le webmestre de G &
C
Je ne peux souscrire à vos arguments Marcel. Pour ma part, je sens un grand besoin de radicalité et de fermeté devant le chaos et la folie de ce monde. Je rejoins les analyses de la théologie de la libération sur son "option préférentielle pour les pauvres". C'est pour cela que j'ai approuvé cet appel sur nos enfants. Les plus pauvres de ces enfants ont un immense besoin de respect et d'attention. Et la politique suivie par nos élites a besoin d'être fermement remise en cause. Car tout s'aggrave pour ces jeunes et leur révolte et leur violence s'exacerbent d'autant. L'injustice de ce monde est insupportable. C'est cela l'important.
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C
Un grand merci Marcel pour votre réponse et toute votre attention. Pour moi la radicalité est davantage dans les choix de nos vies. Ce n'est bien sûr pas une facon de sentir supérieur, pur et dans le juste. La radicalité serait peut être une recherche qui admet l'inconnu, le questionnement incessant et ne se retranche pas derrière l'ideologie. Elle est sans remparts. Une lucidité devant la marche du monde qui passe par la tristesse et la joie comme une sorte de marginalité assumée. <br /> Encore merci Marcel pour votre grand désir de dialogue.
B
Merci, Catherine, de votre interpellation. Sur des questions aussi graves, on ne peut progresser que par le dialogue, en prenant garde d’éviter les malentendus. La vérité siège très rarement à 100 % dans un seul «camp». Je suis absolument d’accord avec deux de vos convictions : «Les plus pauvres de ces enfants ont un immense besoin de respect et d’attention» [y compris souvent dans leur famille : expérience de prof]. Et «la politique suivie par nos élites a besoin d'être fermement remise en cause».<br /> J’ai bien écrit, d’ailleurs, que l’intention des signataires était louable et que leurs critiques contre le «système» actuel étaient très pertinentes et recevables». Ce que je me suis permis de critiquer, ce sont les arguments utilisés. Si on défend une cause juste avec de mauvais arguments, on agit un peu comme l’ours de la fable avec son amical et fatal pavé.<br /> La «radicalité» est, aujourd’hui et dans tous les domaines, à la mode. Déjà, il conviendrait de s’entendre sur ce que l’on met sous ce terme et jusqu’où on en pousse la …radicalité. Le Centre national de ressources textuelles et lexicales en donne plusieurs définitions. Celle qui semble correspondre à notre propos serait : «Qui va jusqu'au bout de chacune des conséquences impliquées par le choix initial […] Complet, total, absolu; sans exception ou atténuation…». Cela me fait craindre un peu le totalitarisme, surtout quand la cause est juste et qu’on veut la régler «totalement». L’histoire doit nous rendre prudents : la Révolution a bien mis les aristos à la lanterne, mais a livré le pays à des bourgeois (tiens déjà !) affairistes, qui n’ont que peu agi à l’avantage «préférentiel» des pauvres.<br /> Qui ne souscrirait à votre remarque : «l’injustice de ce monde est insupportable». Ce qui me semble important c’est qu’en y remédiant on ne crée pas d’autres injustices. M B
L
Je souscris à bien des vues et arguments de cet article. Mais je doute que Victor Hugo se soit jamais étranglé de fureur devant autre chose que la tyrannie et l'injustice.
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A
merci Marcel j'apprécie cet article !
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