Ce que nous dit une mère des quartiers populaires

Publié le par Garrigues et Sentiers

En référence aux émeutes de 2005, Fatima Ouassak écrivait dans son premier petit livre, La puissance des mères paru en 2020 : « Si des voitures ont brulé après la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, c’est la faute de leurs parents, et non de la police, pourtant directement responsable de leur mort. Ils auraient dû tenir en laisse leurs fils – en laisse ou scotchés devant la télévision, peu importe mais ces sauvageons n’avaient pas à circuler librement le soir » (1). On en est donc toujours au même point…

Il est difficile de se mettre à la place de cette mère, on est « dérangé » parfois. Cela a été mon cas. Par exemple quand F. Ouassak échange avec une responsable pour que la cantine accepte que sa fille ne mange pas de viande, ou quand elle rend visite à une pédiatre alors que son fils vient d’être circoncis. La pédiatre croit que le bébé n’est pas propre alors que c’est du « henné qu’il a sur les mains et sur les pieds ». Lisez et vous me direz si vous aussi vous êtes « dérangés ».

Fatima Ouassak est diplômée de Sciences Po Lille en 1998. Elle nous dit : « J’ai travaillé il y a une quinzaine d’années à la politique de la ville, et ensuite comme consultante en politiques publiques ». Ses ambitions et sa radicalité s’expriment ainsi : « Reprendre le pouvoir qui nous a été confisqué en tant que mères, et prendre plus largement encore le pouvoir politique dans son ensemble » (2) et l’ont amenée à contribuer à créer le « Front de mères ». Mais sa radicalité n’exclut pas le dialogue, bien au contraire. Dans la préface inédite de la réédition de son premier livre, elle écrit que « La sortie du livre a été l’occasion d’échanges riches et enthousiasmants, partout en France comme à l’étranger, dans les quartiers populaires comme en centre-ville, dans les milieux institutionnels, universitaires ou très militants. Quelle fierté d’y porter un point de vue ancré dans les quartiers populaires, ce point de vue que l’on entend si rarement ».

Le second petit livre de Fatima Ouassak, qui a pour titre Pour une écologie pirate, est paru en mai 2023. Comme pour le premier livre, c’est une mère à l’écoute de ses enfants qui écrit tout en politisant la question. Elle y parle de Verdragon à Bagnolet, première maison de l’écologie populaire, qui vise à réunir les habitantes et habitants des quartiers populaires autour de l’écologie. Portée en commun par Alternatiba et le Front des mères, Verdragon a connu l’opposition de la gauche et de l’extrême droite : « La violence de la campagne visant à nous chasser du lieu… traduit selon moi l’obsession raciale des cadres des partis de gauche, qui parlent d’une réalité qu’ils ne connaissent que de loin car aucun n’habite les quartiers populaires ». L’autrice écrit également : « Nous avons aussi été soutenus par nombre de personnalités, notamment écologistes, et Alternatiba a été remarquable de fraternité… en menant à nos côtés la lutte pour sauver Verdragon » (3) Écoutons cet appel : « Les luttes des quartiers populaires doivent trouver leur place dans le patrimoine écologiste. Mais ce qu’il faut pour rejoindre le nécessaire front contre le désastre climatique, c’est un projet précis, pensé depuis les quartiers populaires » (4).

Tout le monde perçoit bien la gravité des émeutes et des pillages avec destructions de lieux publics qui vont affecter souvent la vie quotidienne des habitants. De multiples commentaires contradictoires se sont exprimés et les détestations réciproques vont bon train. C’est bien notre société qui est malade comme notre démocratie. Certains convivialistes (5) proposent ce qui pourrait tenir lieu en quelque sorte de thérapie collective. Il s’agirait de prévoir dans la durée des émissions de télévision et de radio qui théâtraliseraient les points de vue divergents des uns et des autres, aussi bien les jeunes révoltés que les policiers ou les éducateurs et bien d’autres acteurs. Avec l’espoir de lutter ainsi contre les préjugés.

Fatima Ouassak annonce « un prochain livre qui mettra un point final au triptyque avec la question de l’organisation de la société ». Nous l’attendons.

Guy Roustang 

  1. La puissance des mères, page 17.
  2. Idem, p. 131.
  3. Pour une écologie pirate, p.102 et 106.
  4. Idem, p. 108.
  5. Des échanges entre convivialistes sont en cours, notamment entre Fahrad Khosrokhavar et Alain Caillé.

Source : https://www.eccap.fr/article/ce-que-nous-dit-une-mere-des-quartiers-populaires

Publié dans Réflexions en chemin

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