Pour une Église servante et pauvre
Nous voici en entrée de carême et ce temps me met mal à l’aise. Non pour ce qu‘il préconise : c’est toujours une bénédiction de suivre les propositions de prière, de jeûne et d’aumône du Christ qui me permettent d’avancer dans ma vie d’homme et de croyant. Ce qui me dérange, c’est l’occasion qui est donnée à certains prêtres et prélats d’utiliser de manière pernicieuse, voire « hypocrite », comme le rapporte l’évangile du jour des Cendres, ce moment de retour sur soi pour surfer sur une morale inconvenante et puérile, des images d’un dieu insupportable, sur une infantilisation des croyants, des menaces à peine voilées de l’enfer, de la culpabilité et j’en passe. Ce n’est pas le cas de tous heureusement, Mais force est de constater que beaucoup « jouent au prêtre » nimbé d’un pouvoir sacré qui les autorise à préconiser une religion de peur plus qu’une attitude d’amour et de confiance. Voilà donc un « lieu » où certains s’en donnent à cœur joie : quel moment de choix pour avoir pouvoir sur un peuple de croyants dociles, se satisfaisant de l’autorité d’une parole extérieure dite sacrée !
Par cet exemple, je vais tenter de répondre à l’appel de Garrigues & Sentiers à la question « Le cléricalisme sera-t-il le fossoyeur du catholicisme ? » Dans un ouvrage récent, Jours sombres en Église (1) qui vient d’être publié en décembre dernier dont Garrigues & Sentiers s’est fait l’écho, je rapporte les méthodes d’un cléricalisme local dévastateur. Robert Picard dans son commentaire récent à propos de cette interrogation, s’interroge et invite : « Que des laïcs plus nombreux – plutôt que de partir sur la pointe des pieds – prennent conscience du sacerdoce royal qui leur a été conféré par le baptême et le vivent aussi intensément qu’il leur sera possible en se mettant au service de la Cité et de l’Église ! » (2).
Bonne question s’il en est, mais qui en appelle une autre, au vu de mon expérience : Faut-il devenir martyr par et dans son Église pour tenter de se mettre au service de celle-ci ? Rude question ! Les croyants « libéraux » ne sont guère acceptés par toute une frange de clercs et de laïcs qui croient posséder la Vérité. Car ils peuvent laisser leur peau, comme je le rapporte dans mon livre. Face à ces intransigeants méprisants, haineux et violents, ils deviennent des exilés, loin de structures qui les combattent et les ignorent. Mais, dans leur pauvreté et leur impuissance, ne sont-ils pas alors des semeurs de nouvelles communautés fraternelles ? Peut-être que « l’implosion » que suggèrent Jean-Louis Schlegel, et la sociologue Danièle Hervieu-Léger, dans leur livre Vers l’implosion du catholicisme français ? est un passage à franchir pour laisser les morts enterrer les morts et inventer « un christianisme d’hospitalité, porteur d’une forme de radicalité qui ne soit pas une fuite du monde, mais au contraire une manière de contribuer à l’orienter autrement ? ».
Dans son article Robert Picard rapporte que « le Pape François appelle à combattre le cléricalisme. » Je souscris totalement à cet appel. Mais à quel prix ? Car, effectivement, il s’agit d’une lutte, d’un combat contre un adversaire, friand d’une sacralisation outrancière qui le conduit à l’intolérance, qui s’accapare de plus en plus un pouvoir, loin des appels au service, au don, au dialogue, à l’écoute fraternelle. J’avoue ne plus avoir la force et l’envie de m’engager ainsi face à ces ayatollahs intransigeants. Et pourtant il nous faut revenir à la simplicité des Évangiles. Alors comment ?
En finale de mon livre Jours sombres en Église, je fais une vingtaine de propositions pour tenter de sortir de ce cléricalisme abusif et, parmi elles, je voudrais en retenir particulièrement une. Non qu’elle soit, avec les autres une solution, car je n’y crois guère : le mal s’est installé dans la durée et la persistance depuis des siècles ! Il s’agit de la proposition de l’option préférentielle pour les pauvres, à travers l’appel dit du Pacte des catacombes. On le trouvera à la suite cet article.
De quoi s’agit-il ? Une « vieille » et discrète histoire qui date de la fin du Concile de Vatican II en 1965. Un mois avant la fin de ce Concile, 42 pères conciliaires (surtout latino-américains, dont Helder Camara) célèbrent l’Eucharistie dans la catacombe de Domitille, à Rome. À l’issue de la messe, ils signent un document par lequel ils s’engagent à une vie de pauvreté. Le sous-titre est explicite : “Pacte pour une Église servante et pauvre”. Ce seul mot de pauvreté résume l’enjeu : Il s’agit de changer de style de vie, en renonçant à tout privilège ou signe de richesse, de servir les pauvres, de lutter pour la justice, de gouverner de manière plus coopérative… On peut lire par exemple :«...Nous renonçons pour toujours à l'apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse: ces insignes doivent être en effet évangéliques... »
500 autres évêques rejoindront cet appel. Si le Pacte est peu connu, son influence sera grande en Amérique latine : il inaugurera l’apparition d’un « nouveau franciscanisme » et influencera l’essor de la Théologie de la Libération, si combattue par la suite par Benoît XVI et Jean-Paul II. Pape François sera pétri de cette approche : élu pape il ne cessera de dire « Ah, comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres !».
Nous y voilà ! C’est le cœur du message évangélique, des paroles et des gestes de Jésus pour tous les humbles et les rejetés de la Terre.
À la suite de Jésus, à la fin du vingtième siècle, l’Esprit souffle ce même appel. La feuille de route est tracée depuis les origines. Que des prélats s’engagent ainsi ne peut que réjouir : nous sommes loin des pompes, des apparats et des artifices ecclésiaux, dans un entre-soi douillet, peu ouvert sur la Société. Le Pacte des Catacombes sera repris en 2019, initié par le Cardinal Humnes de São Paulo pour continuer à « être fidèle à l'esprit de Jésus » dans le service des pauvres. Avec cette attention particulière pour une dimension locale : l’Amazonie. Cette attention à la particularité des peuples, des langues, des coutumes, à un style de vie synodale, à une écologie intégrale concrète, devrait rejoindre bien des Églises particulières engoncées dans un cléricalisme folklorique, étroit et mortifère. Cette dimension locale est ouverte à l’universel : le texte est écrit pour protéger la maison commune. S’il concerne l’Amazonie il préconise « la pratique d’une écologie intégrale » tant les interdépendances de la mondialisation nécessitent cette ouverture à tous les hommes et toute la planète.
Il va de soi, pour moi, que cet appel concerne l’Église dans sa totalité, et non seulement ses seuls clercs. Les laïcs, hommes et femmes, sont aussi conviés à faire leur cette option pour les pauvres. Témoins et acteurs aujourd’hui de cette attention pour les plus défavorisés, nous sommes les héritiers pour mettre en œuvre le Message d’Amour de simplicité exigeante du Poème. Il est plus que d’actualité. Des chrétiens se mettent en exil, loin d’une institution sclérosante : non pas forcément pour la fuir (quoique !), mais pour vivre leur foi avec d’autres et être semeurs crédibles du Message évangélique. Ils sèment pauvrement et dans l’impuissance (mais l’Évangile est-il de l’ordre de la puissance ?) des graines de fraternité et de solidarité : en paroles, en actes, en poésie de plus en plus. Ils laissent les morts enterrer les morts. Non en partant sur la pointe des pieds, mais en éclaireurs et déchiffreurs de terres spirituelles inconnues.
Chacun est interpellé dans la cohérence de sa foi, dans une Église très attirée par les franges d’extrême-droite, surtout dans les milieux traditionalistes. Le cri des pauvres et le cri de la Terre interpellent aussi les Églises : sauront-elles être et seront-elles à la hauteur du défi qui leur est lancé ? La réponse ne peut être que positive, dans la sobriété de vie et d’exercice fraternel désacralisé du culte, dans la solidarité ouverte, sans sélection de ses pauvres. À moins de devenir secte, l’Église catholique, déjà bien minée de l’intérieur, ne peut que répondre, dans l’urgence, à l’appel du Christ à la pauvreté, à la simplicité de vie et à l’unité (personnelle et collective). Sinon, effectivement, elle creuse sa propre tombe. On ne fait pas Corps ecclésial en restant dans son coin et en ostracisant ceux qui ne sont pas dans la mouvance du plus grand nombre ou du plus criant.
Xavier Puren
Appelés à la liberté
(1) Xavier Puren, Jours sombres en Église. Demain, quel avenir ?, éditions Golias, 2022, 16 €.
(2) Nous avons publié ce commentaire sous forme d’article, Réflexions, compléments et questions à propos du cléricalisme.
Le Pacte des catacombes
« Nous, évêques réunis au Concile Vatican; ayant été éclairés sur les déficiences de notre vie de pauvreté selon l'Évangile; encouragés les uns par les autres, dans une démarche où chacun de nous voudrait éviter la singularité et la présomption; unis à tous nos frères dans l’Épiscopat; comptant surtout sur la force et la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, sur la prière des fidèles et des prêtres de nos diocèses respectifs; nous plaçant par la pensée et la prière, devant la Trinité, devant l'Église du Christ, devant les prêtres et les fidèles de nos diocèses, dans l'humilité et la conscience de notre faiblesse mais aussi avec toute la détermination et la force dont Dieu veut bien nous donner la grâce, nous nous engageons à ce qui suit :
1) Nous essayerons de vivre selon le mode ordinaire de notre population en ce qui concerne l'habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s'ensuit.
2) Nous renonçons pour toujours à l'apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse: ces insignes doivent être en effet évangéliques.
3) Nous ne posséderons ni immeubles, ni meubles ni comptes en banque, etc., en notre propre nom; et s'il faut posséder, nous mettrons tout au nom du diocèse, ou des œuvres sociales ou caritatives.
4) Nous confierons, chaque fois qu'il est possible, la gestion financière et matérielle, dans nos diocèses, à un comité de laïcs compétents et conscients de leur rôle apostolique, en vue d'être moins des administrateurs que des pasteurs et apôtres.
5) Nous refusons d'être appelés oralement ou par écrit des noms et des titres signifiant la grandeur et la puissance (Éminence, Excellence, Monseigneur). Nous préférons être appelés du nom évangélique de Père.
6) Nous éviterons dans notre comportement, nos relations sociales, ce qui peut sembler donner des privilèges, des priorités ou même une préférence quelconque .aux riches et aux puissants (ex. : banquets offerts ou acceptés, classes dans les services religieux)
7) Nous éviterons d'encourager ou de flatter la vanité de quiconque en vue de récompenser ou de solliciter les dons ou pour toute autre raison. Nous inviterons nos fidèles à considérer leurs dons comme une participation normale au culte, à l'apostolat et à l'action sociale.
8) Nous donnerons tout ce qui est nécessaire de notre temps, réflexion, cœur, moyens, etc., au service apostolique et pastoral des personnes et des groupes laborieux et économiquement faibles et sous-développés, sans que cela nuise aux autres personnes et groupes du diocèse. Nous soutiendrons les laïcs, religieux, diacres ou prêtres que le Seigneur appelle à évangéliser les pauvres et les ouvriers en partageant la vie ouvrière et le travail.
9) Conscients des exigences de la justice et de la charité et de leurs rapports mutuels, nous essayerons de transformer les œuvres de « bienfaisance» en œuvres sociales basées sur la charité et la justice qui tiennent compte de tous et de toutes les exigences, comme un humble service des organismes publics compétents.
10) Nous mettrons tout en œuvre pour que les responsables de notre gouvernement et de nos services publics décident et mettent en application les lois, les structures et les institutions sociales nécessaires à la justice, à l'égalité et au développement harmonisé et total de tout l'homme chez tous les hommes et par là l'avènement d'un autre ordre social, nouveau, digne des fils de l'homme et des fils de Dieu.
11) La collégialité des évêques trouvant sa plus évangélique réalisation dans la prise en charge commune des masses humaines en état de misère physique, culturelle et morale – les 2/3 de l'humanité – nous nous engageons :
- à participer, selon nos moyens, aux investissements urgents des épiscopats des nations pauvres;
- à acquérir ensemble, au plan des organismes internationaux mais en témoignant de l’Évangile, comme le pape Paul VI à l'ONU, la mise en place de structures économiques et culturelles qui ne fabriquent plus de nations prolétaires dans un monde de plus en plus riche, mais qui permettent aux masses pauvres de sortir de leur misère.
12) Nous nous engageons à partager dans la charité pastorale notre vie avec nos frères dans le Christ, prêtres, religieux et laïcs pour que notre ministère soit un vrai service ; ainsi :
- nous nous efforcerons de « réviser notre vie» avec eux;
- nous susciterons des collaborateurs pour être davantage des animateurs selon l'Esprit, que des chefs selon le monde;
- nous chercherons à être plus humainement présents, accueillants;
- nous nous montrerons ouverts à tous, quelle que soit leur religion;
13) Revenus dans nos diocèses respectifs, nous ferons connaître à nos diocésains notre résolution, les priant de nous aider de leur compréhension, leur concours et leurs prières.
Que Dieu nous aide à être fidèles. »