Pour faire évoluer l’Église, des transgressions s’imposent

Publié le par Garrigues et Sentiers

Un risque de schisme ? Aujourd’hui, les catholiques allemands se mobilisent en vue du prochain synode des évêques sur la synodalité [une assemblée d’évêques qui réfléchira en 2023 à davantage de collégialité au sein de l’Église NDLR]. Ils ne se contentent pas de se mobiliser, mais ils en anticipent certains résultats dans leur programme, au point de susciter des inquiétudes, à la Curie romaine et chez plusieurs évêques allemands, qui vont jusqu’à parler du risque d’un schisme de l’Église allemande.

Hors d’Allemagne, nous mesurons mal le degré d’organisation du « laïcat » catholique allemand, le poids du « Zentralkomittee der deutschen Katholiken », l’impact sur l’opinion publique des Katholikentage [« Congrès catholique » : ce sont  sont des rassemblements sur plusieurs jours de chrétiens surtout catholiques romains NDLR]. Les catholiques engagés ont pris acte du travail de sape de la Curie vaticane pour neutraliser le concile Vatican II, en particulier sur la collégialité. Ils constatent la difficulté de faire passer des réformes devenues urgentes. Ils voient avec plaisir le pape François aller dans le sens du Concile sous l’étiquette synodalité, objet du prochain synode. François a moins de liberté de manœuvre que le ZDK [Comité central des catholiques allemands NDLR], mais il avance ses pions, avec prudence et discernement (un de ses mots-clés). 

Par rapport à la discipline officielle, les catholiques allemands ne se contentent pas d’intégrer certaines pratiques devenues courantes : – ne plus refuser l’eucharistie aux croyants de bonne volonté, qu’ils soient divorcés remariés ou qu’ils appartiennent à d’autres églises chrétiennes ; – ne plus tenir compte de l’interdiction de prêcher faite aux laïcs formés et aux professeures de religion ; – s’exprimer publiquement en faveur de l’ordination à la prêtrise de femmes et d’hommes mariés. Pour les acteurs de terrain, ces points n’ont rien de surprenant. Les commentateurs ne manquent pas de souligner qu’ils jouissent d’un « large soutien dans l’opinion », en tout cas dans nos pays. Mais la mobilisation des catholiques allemands s’inspire d’une perspective plus radicale. La synodalité signifie un fonctionnement d’Église très différent de l’actuelle concentration du pouvoir entre les mains du pape et de ses collaborateurs. Il est question d’une Église où tous les baptisés participeraient, de près ou de loin, au fonctionnement de la communauté, selon le vieux principe du droit romain : « Ce qui concerne tout le monde doit être traité par tout le monde », « quod omnes tangit ab omnibus tractari debet ».

 

Pas d’évolution sans transgressions

C’est l’occasion de remettre en lumière la dynamique concrète qui sous-tend l’évolution d’une énorme institution comme l’Église catholique romaine, comme de toute institution. En deux mots, il n’y a pas d’évolution sans transgressions. 

Peu de commentateurs prennent la peine de s’interroger sur l’opportunité de ce type de transgressions et sa légitimité en perspective chrétienne. Pour l’opportunité, on peut juger que, vu les solides freins qui ont conditionné le fonctionnement du Vatican lors des précédents pontificats, il est bon de se rappeler que l’Esprit souffle où il veut et pas seulement sur les membres de l’appareil ecclésiastique. Et donc, de ne pas automatiquement considérer une entorse à la règle comme l’œuvre du mauvais esprit. 

En la matière, la longue histoire de notre Église lui a permis d’accumuler des trésors de sagesse – encore faut-il y recourir. L’Église n’échappe pas à la règle qui régit toutes les institutions. Quand la société et la culture changent, leur évolution impose des ajustements pour que ces institutions puissent continuer à jouer leur rôle. Mais l’initiative des innovations requises provient rarement des autorités en place. D’une manière générale, dans les sociétés en changement rapide comme sont les nôtres, le droit est en retard sur la réalité des faits. Les modifications du droit sont généralement précédées par l’introduction progressive de « coutumes contraires au droit ». Ces transgressions s’introduisent à la faveur d’une tolérance tacite des autorités, même si celles-ci, périodiquement, jugent nécessaire de rappeler les règles. Jusqu’au jour où il devient impératif de les modifier. Jusque-là « faites-le, mais ne me demandez pas ma bénédiction ».

 

Des critères pour des transgressions légitimes

Dans l’Église, le plus souvent, en un premier temps, c’est le « sens de la foi » des communautés sur le terrain qui sentent ce qui s’impose. Avec l’aide des divers « porteurs de charismes » qui y participent (pasteurs, exégètes, théologiens ou plus largement ces hommes et ces femmes qui sont reconnus comme de « bons chrétiens »), ils mettent à l’essai des solutions nouvelles. Un exemple assez courant : on voit des paroisses contourner la règle liturgique en remplaçant par des formules nouvelles les formules officielles du credo, devenues inintelligibles pour la plupart des gens. 

Ce qui s’introduit ainsi progressivement, c’est un usage contraire au droit. Il le fait, je l’ai dit, à la faveur d’une tolérance tacite des autorités, même si celles-ci jugent nécessaire de rappeler périodiquement la discipline en vigueur. Et il va de soi que toutes les solutions mises à l’essai ne sont pas forcément porteuses d’avenir.

Dans ce processus, chacun remplit donc son rôle, tout en rendant possible une indispensable évolution. Dans un monde idéal, on pourrait imaginer que tout se passe dans la transparence : les nouveautés ne sont pas simplement tolérées, voire ignorées des autorités en place, mais admises, fût-ce simplement « à titre d’expérience ». Mais nous avons vu que l’appareil ecclésiastique romain était à ce point enserré dans des règles sacralisées que c’est souvent de façon conflictuelle que les changements nécessaires finissaient par s’imposer. 

C’est dire qu’il existe forcément des transgressions légitimes, puisque des pratiques s’introduisent qui – au moins en un premier temps – sont explicitement contraires au droit et à la discipline en vigueur. Quel responsable de communauté peut dire qu’il n’a jamais rien « transgressé » dans cet ordre de choses ? Je songe à tel prêtre, par ailleurs savant exégète et théologien, qui après avoir lu un document récent du Vatican concernant la célébration de la messe, reconnaissait que chaque fois qu’il présidait une eucharistie, il devait bien transgresser les règles une trentaine de fois.

Si je m’attarde sur ce point, c’est que pas mal de chrétiens engagés se trouvent sur des terrains où de telles transgressions s’imposent, et ne disposent pas toujours des critères pour y avancer sainement et paisiblement. Or dans les réflexions qui précèdent, une série de ces critères ont été évoqués en passant. Il peut être éclairant de les rappeler ici.

Le premier critère est sans doute la reconnaissance d’un véritable état de besoin, une reconnaissance qui n’est pas le fait d’un seul individu, mais d’une communauté : il est toujours dangereux de croire qu’on a raison tout seul. Dans le récit des Actes des Apôtres, lors de la création des Sept (Ac 6, 1-6), le point de départ était une situation conflictuelle, avec des « récriminations », et la première réponse a été une convocation de l’assemblée des croyants

Le deuxième critère est la volonté de rester fidèles à l’Esprit. Rien à voir donc, avec une recherche de la nouveauté pour elle-même. Pour préciser quelque peu ce critère, j’évoquerais le climat de prière dans lequel devrait s’effectuer la délibération. Je ne voudrais pas qu’on voie là une forme naïve de piétisme. Il s’agit bien de mobiliser la créativité d’un groupe, en faisant appel aux diverses compétences, à la mémoire et à l’imagination de ses membres. Mais qui peut être sûr de viser juste en de telles matières ? Cela suppose une sorte de détachement de chacun et de chacune par rapport à ses propres idées. Ou, pour le dire autrement, une disponibilité à se laisser surprendre par la parole de l’autre, à voir surgir dans l’assemblée quelque chose comme une « inspiration ». Tout le contraire, donc, de l’attachement crispé à une façon de voir.

Un troisième critère est la volonté de sauvegarder la communion, même au sein de situations conflictuelles. Cela suppose qu’on n’adopte que des solutions qui rallient un large consensus à la base. À l’origine, l’ekklesia fonctionne en « régime d’assemblée » où tous les membres ont voix au chapitre, même si en un premier temps on ne cherche pas la bénédiction des autorités. En certains cas, cela suppose qu’on présume qu’il y a de leur part tolérance tacite. La nature humaine étant ce qu’elle est, ne soyons pas surpris si nous apprenons qu’un évêque, mis au courant de telle ou telle « transgression », finit par laisser entendre à demi-mot : « Faites-le, mais ne demandez pas ma bénédiction : je devrais la refuser ». Dans cette optique, je me plais à citer la réflexion d’un évêque brésilien qui me disait : « Dans mon diocèse, il y a pas mal de pères de famille, animateurs d’une communauté de base, qui sont suffisamment formés pour que je puisse les ordonner prêtres. Si je ne le fais pas, c’est pour respecter la communion avec la grande Église ».

Un quatrième critère pourrait s’appeler critère de cohérence. Cohérence avec ce qui existe déjà, ou au moins avec ce que l’histoire enseigne, l’histoire dont nous savons qu’elle peut être source d’inspiration. Il peut prendre la forme d’un principe d’économie : ne pas considérer comme essentiel ce qui est accessoire. Un domaine dans lequel bon nombre de catholiques de nos régions ont pu voir ce critère en application, c’est ce qu’on appelle les « eucharisties domestiques », en termes plus simples les « messes à la maison ». Dans ces eucharisties, une foule de règles liturgiques sont purement et simplement omises, au bénéfice d’une concentration sur l’essentiel de ce qui s’est passé à la Dernière Cène ce soir-là : le partage de la Parole, et le partage du Pain et du Vin – pour les croyants, communion à la présence vivante du Christ. C’est là, on s’en doute, que la présence dans le groupe de quelques personnes plus compétentes limite les risques de dérives plus ou moins aventureuses.

 

De la patience historique

J’ai parlé de risque. C’est là qu’intervient comme critère finalement décisif l’accueil par l’ensemble des croyants de l’innovation qui transgresse les règles en vigueur. Ce qu’on appelle la réception – ou la non-réception. De la part des communautés qui prennent le risque de la transgression, cela suppose l’attitude que j’ai décrite ci-dessus, comme une sorte de détachement par rapport à ses propres idées ou options, une disponibilité à se laisser enseigner par l’expérience, y compris celle de l’échec. En un temps où l’avenir du christianisme à l’occidentale est plein d’obscurités, la prise de risque est nécessaire. Elle ne peut se vivre paisiblement qu’en faisant confiance à la sagesse de ceux et celles qui nous suivront et qui « recevront » – ou non – nos essais plus ou moins tâtonnants.

Paul Tihon, jésuite et théologien

 

Sources : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2021/08/01/pour-faire-evoluer-leglise-des-transgressions-simposent-2LU5OFTFKNE7NCF35L7NRPFNK4/

https://nsae.fr/2021/08/06/pour-faire-evoluer-leglise-des-transgressions-simposent/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=newsletter-nsae_97

Publié dans Signes des temps

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P
Assez de la caste sacerdotale.<br /> Comme Jésus, transgressons,<br /> partageons et célébrons l eucharistie<br /> En toute simplicité.<br /> Soyons des disciples libres
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L
Une objection qui tient en une interrogation. Dont la réponse fait peu de place au doute chez celles et ceux qui la posent : une recommandation méthodique faite de conseils de sagesse et de prudence peut-elle arrêter ce souffle, devenu si puissant ,de revendications et de remises en cause qui projette un peuple de croyants contre les modes de pouvoir, les règles, les rituels et les sacralisations de tous ordres que l'Institution s'est donnée pour vocation et pour fonction de figer à perpétuité contre toute ouverture du croire et de sa pratique ? <br /> Avec cette question complémentaire qui en découle : la perspective est-elle celle d'un risque de schisme, ou réside-t-elle dans l'alternative déjà posée entre d'une part, une atomisation théologique et fonctionnelle des collectifs de croyants et d'autre part, l'émergence d'une forme révolutionnaire d'Eglise-institution - une église laïcisée, refondée sur la conciliation commune des contenus et des formes du croire, c'est à dire habitée en toutes matières par l'idée que le juste et le bon procèdent d'une médiation démocratiquement partagée en vertu de l'égalité devant l'Esprit ?
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