Démocratie et Spiritualité
Nous vivons actuellement une crise sanitaire mondiale qui bouscule les fondements de notre “art de vivre” ensemble. Les gouvernements de plus de deux milliards d'êtres humains leur imposent des règles strictes de confinement. Cette période peut être propice pour nous interroger sur les "évidences" qui tissent nos vies quotidiennes.
Depuis plus de 25 ans, l'Association Démocratie & Spiritualité (D&S) s'attache à mener un double effort d'approfondissement de l'exigence démocratique et de renouvellement spirituel. Parmi ses approches novatrices, la charte de l’association mentionne entre autres " donner un coup d’arrêt à la tendance montante à l’émiettement du lien social et promouvoir les conditions individuelles et collectives d’une cohésion sociale rénovée, s’interroger sur les conditions et les fins du développement scientifique, technique et biologique, faciliter l’émergence des nouvelles régulations de la société mondiale qui sont aujourd’hui nécessaires ".
Dans sa Lettre de mars 2020, D&S publie un dossier particulièrement pertinent sur cette crise. Je vous propose, à la place de ma chronique habituelle, la note de présentation de ce dossier ainsi que l'éditorial rédigé par Jo Spiegel, adhérent à D&S, maire de la ville alsacienne de Kingersheim, promoteur d'initiatives pour développer la démocratie locale. Ces deux textes me paraissent particulièrement inspirants dans la conjoncture actuelle.
Bernard Ginisty
Site de D&S : https://www.democratieetspiritualite.org
Lettre de D&S n°169, mars 2020 : introduction
Le Pacte civique, dont D&S est une des trois organisations fondatrices, plaide depuis plusieurs années pour cultiver la sobriété à tous les étages, une sobriété qui doit être créative, juste et fraternelle. Nous y voilà, mais peut-être de la pire des façons.
Ce n’est pas une sobriété choisie, comme une option pour mieux vivre ensemble, mais une sobriété imposée par les circonstances et par la stratégie gouvernementale, sans que le citoyen ait pu être consulté, vu l’urgence et la rapidité de progression du virus.
Créative ? Il le semble, grâce à internet notamment, qui permet de maintenir la relation malgré tout, mais qui ne pourra pas compenser la limitation drastique du droit d’aller et venir.
Juste ? C’est la même pour tout le monde en apparence, mais elle est évidemment beaucoup plus dure à supporter pour ceux qui vivent à plusieurs dans de petits appartements, qui n’ont pas de résidences secondaires à leur disposition, qui risquent de voir leur revenu baisser ou leur emploi disparaître, sont déjà en situation de fragilité ou de handicap, quelles que soient les mesures de compensation prises par le gouvernement.
Fraternelle ? Cette nouvelle sobriété peut l’être, mais de façon si paradoxale : être fraternel, c’est actuellement se distancer de l’autre ; sauver le collectif, c’est se confiner chez soi ; pour préserver la vie, il faut se priver de ce qui fait le sel de la vie ; impossible même de rendre visite aux personnes hébergées dans les institutions, qui ne sont pas toujours en état de comprendre et peuvent se sentir abandonnées. Comment allons-nous vivre cette épreuve, comment en sortirons-nous, voilà l’enjeu immédiat, pour lequel rien n’est joué.
La démocratie a une drôle de figure : certes, elle ne se porte jamais très bien en temps de guerre, mais l’abus de la métaphore guerrière est lui-même suspect, car nous ne faisons pas face à un ennemi humain, mais à un virus, qui appelle au contraire à renforcer les coopérations. Et pourtant, il n’y a pas d’autres solutions que de respecter les règles, de faire preuve de civisme, et de faire confiance, tout en exigeant la plus grande transparence des informations, un libre débat, et une évaluation en continu de la stratégie suivie.
Quant à la spiritualité, entendue au sens large du terme, elle va être au cœur du problème. Car, en cette période de Pâques pour les chrétiens, de fête de Pessah pour les juifs, et bientôt de Ramadan pour les musulmans, c’est une sorte d’exercice spirituel en vraie grandeur, de retraite quasi-monacale, qui est imposé à la société confinée et ainsi mise à la diète, sans y avoir été nullement préparée et au moment où les rassemblements sont limités, voire interdits, y compris pour les obsèques : nous allons disposer pour plusieurs semaines de plus de temps à domicile, et devrons vivre à plein temps avec notre solitude ou avec notre entourage, c’est selon.
Ce peut être très enrichissant, ce peut être aussi source de conflit, de maltraitance, de névrose. La manière dont notre intériorité ainsi sollicitée répondra aux limitations de l’extériorité sera déterminante. En cela, nous avons à nous aider les uns les autres dans un esprit de communion dans l’épreuve : à développer la tolérance et la compréhension, à maîtriser notre violence, à faire preuve d’empathie, à cultiver l’attention à l’autre, particulièrement celles et ceux qui sont seul(e)s, malades ou en situation de fragilité. A remplacer l’impossible croissance extérieure du moment par une sorte de développement intérieur, rattrapant ainsi un décalage qui ne s’est que trop installé dans nos consciences et dans la société.
Jean-Baptiste de Foucauld et Daniel Lenoir,
président et vice-président de D & S
Extraits de l’Éditorial de la Lettre de D&S n°169
Au moment où je tourne la page de mon engagement politique et au moment où les Français choisissent leurs équipes municipales (dans les conditions épouvantables de la pandémie du coronavirus) je peux partager des convictions qui ont mûri et grandi à l’aune de D&S. Partout où je peux témoigner de la transition démocratique, écologique et sociale, je plaide pour quelques-unes des considérations qui me paraissent dorénavant essentielles :
- Le territoire, avant d’être un pouvoir à conquérir, doit être considéré comme un espace à transformer et plus encore comme un lieu « d’excellence humaine » (Hannah Arendt).
- Il n’y a pas de transformation en profondeur sans transformation collective ET personnelle.
- Il ne peut y avoir de Pacte écologique sans Pacte Civique qui invite au sens, à la sobriété, à la justice, à la Fraternité : « je fais, tu fais, nous faisons ».
- Il nous faut approfondir ce qui est de l’ordre du commun, de la limite, de la transcendance dans tout processus de décision.
- C’est par l’humilité que nous sauverons le monde, ici et maintenant. Et cette humilité doit interroger d’abord le rapport au pouvoir. Suis-je dans l’ego ou dans le service ? Suis-je dans Éros ou Thanatos ? Suis-je dans la pesanteur ou dans la grâce ? Est-ce que je suis les traces de Trump ou de Mandela ?...
Jamais à l’avenir le rôle de l’élu n’aura autant d’importance et jamais il lui sera tant nécessaire de le changer. Avant d’affirmer une sensibilité, il lui faudra tirer vers l’avant et vers le haut. Avant d’être décideur, il sera l’animateur du processus de décision. Autant que pourvoyeur d’équipements et de services publics, il sera un catalyseur du pouvoir d’agir citoyen…
Il s’agit là de quelques éléments d’un vrai retournement de sens et d’engagement, au service du « pouvoir de vivre » de tous ! Voilà pourquoi D&S doit continuer à inspirer, à semer, à provoquer. Nous ne sommes pas nombreux. Notre force, nous la tirons de l‘audace. Elle est de l’ordre spirituel et donc politiquement contre-intuitive, profondément subversive, mais tellement essentielle. Cette audace invite à la fois à résister à l’histoire telle qu’elle avance, à rêver un autre monde et à nous engager en vérité dans la radicalité du possible.
Face à la marchandisation des consciences, au consumérisme prégnant, au matérialisme dominant, aux inégalités insupportables, je ne suis pas loin de penser que la première des révoltes est intérieure et que la première des résistances est spirituelle.
Le partager est notre combat.
Jo Spiegel,
maire de Kingersheim
Jo Spiegel, né en 1951, est, depuis 1989, maire de Kingersheim, ville de 13.000 habitants, près de Mulhouse. Il a annoncé, il y a deux ans, qu’il ne se représenterait pas aux élections municipales de 2020. Il a développé une gestion « participative » de sa commune qui a inspiré un certain nombre de collectivités locales. Il a publié Et si on prenait – enfin ! - les électeurs au sérieux, éditions Temps Présent, 2017. En mai prochain, les éditions de l’Atelier ont prévu de publier son nouvel ouvrage Nous avons décidé de décider ensemble.