Une réponse du pape François au « coup d’État » qui le vise : « Initier des processus plutôt que posséder des espaces »
Début septembre, le journal La Croix annonçait ainsi la parution de l’ouvrage d’un de ses journalistes, correspondant permanent à Rome : « Notre journaliste Nicolas Senèze a enquêté sur la tentative de « coup d’État » contre le pape François, menée depuis les États-Unis par des groupes catholiques conservateurs influents, liés à des puissances financières. En août 2018, un ancien ambassadeur du pape aux États-Unis (Mgr Vigano) publiait une diatribe sans précédent contre François, l’appelant à la démission. (…) Une frange puissante et active du catholicisme américain lui reproche pêle-mêle sa critique du capitalisme néo-libéral, son opposition à la peine de mort, son dialogue avec les « rouges » de Cuba ou de Chine, son ouverture vis-à-vis des personnes homosexuelles. S’ils n’ont pas réussi cette fois à le renverser, ses opposants préparent déjà l’après François » (1).
Il est vrai que bien des initiatives de François mettent en cause les dogmes conservateurs. « En 2018, les organisateurs de la Rencontre mondiale des familles de Dublin, où le pape doit se rendre, annoncent que le jésuite James Martin y tiendra une conférence sur le thème « accueillir et respecter dans nos paroisses les personnes LGTB (Lesbiennes, Gays, Transgenres, Bisexuelles) et leurs familles ». La Civiltà Cattolica, revue jésuite dont les épreuves sont relues avant publication par le Vatican, publie un brûlot contre la théologie de la prospérité. Début août, le pape supprime toute légitimation de la peine de mort par le Catéchisme de l’Église Catholique (2).
Conscients du poids financier du catholicisme états-unien, premier contributeur du Vatican, « les grands laïcs qui ont mis la main sur le catholicisme américain », avec la complicité de certains évêques et cardinaux, voyant qu’ils n’arrivent pas à faire changer le pape, décident de changer de pape « tels des actionnaires licenciant brutalement leur PDG » (3). On comprend que François ait pu répondre à des journalistes qui l’interrogeaient dans l’avion qui l’amenait à Maputo que c’était pour lui « un honneur » d’être attaqué par certains catholiques américains.
Au début de son pontificat, François avait défini ainsi sa vision de l’Église : « Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église d’aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. (…) Nous devons soigner les blessures. Il faut commencer par le bas » (4).
Loin de se laisser enfermer dans des intrigues de courtisans et les conflits de territoire si fréquents dans la Curie vaticane, François prend ses distances avec ceux qui en vivent. Dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile, il écrivait ceci : « Un des péchés qui parfois se rencontre dans l’activité sociopolitique consiste à privilégier des espaces de pouvoir plutôt que les temps de processus. Donner priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. Donner priorité au temps, c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces » (5).
Bernard Ginisty
(1) Nicolas SENEZE, Comment l’Amérique veut changer de pape, éd. Bayard, 2019
(2) Id., p. 207.
(3) Id., p. 208.
(4) Pape FRANCOIS, Interview à Civilta Cattolica publié dans la revue Études, octobre 2013.
(5) Pape FRANCOIS, La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique, éd.Bayard, Cerf, Fleurus-Mame 2013, § 222-223.