Je n’irai pas manifester le 6 octobre
Cela ne signifie pas que j’approuve ou désapprouve le projet de loi, mais que je n’accepte pas d’être appelé à cette manifestation par la hiérarchie catholique.
Depuis quelques jours celle-ci se mobilise contre le projet de loi bioéthique, et tente de mobiliser les fidèles. Que penser ? Nous n’allons pas discuter ici de ces problèmes de bioéthique, ils sont très complexes et les aborder dépasserait de beaucoup le contenu d’un simple article. Par contre on peut se demander au nom de quoi, ou de qui, sont prises ses positions par la hiérarchie et sont effectués les appels à mobilisation.
Une première remarque est la justification donnée à cet émoi : le gouvernement ne tiendrait pas compte des remarques émises par les représentants de l’Église, les débats auraient été occultés, non transparents. On sait que les débats durent depuis plus d’un an, le comité d’éthique a travaillé longuement, et les représentants de l’Église y sont présents. Il semble que la hiérarchie a une forte propension à reprocher aux autorités (quelles qu’elles soient) de ne pas débattre honnêtement quand les décisions prises à la suite des discussions ne vont pas dans le sens souhaité. Il semble qu’elle n’a pas encore pris la mesure des exigences de la démocratie et de la place très minoritaire qu’occupe l’Eglise dans notre société sécularisée. Pourtant si l’on compte les invitations dans les médias, les places prises dans les diverses instances, il semble que l’Église est même sur-représentée quand on fait le décompte de ses fidèles (les sociologues considèrent comme « fidèles » les personnes qui vont à la messe au moins une fois par mois, ce n’est pas très exigeant !).
On dira que justement les évêques sont très prudents, disent qu’ils n’appellent pas à cette manifestation mais demandent aux fidèles de réfléchir et de s’engager. Mais qui peut le croire ? Cela semble être ce qu’on appelle des « éléments de langage ». On se retrouve au Collège des Bernardins pour mener un débat serein qui prétend ne rien imposer, mais à peine sortis un des leurs appelle à manifester. Dans les paroisses d’Aix on appelle en chaire à aller à la manifestation, cela est relayé par les feuilles paroissiales. Un représentant de l’épiscopat sur France-Inter tenait le 18 septembre un langage d’apaisement, manifestant un retrait devant ces positions va-t-en-guerre, mais au même moment d’autres évêques appelaient à la manifestation. On constate malheureusement un double langage qui fleure bon les vieilles techniques des vieux débats politiciens.
Soyons clairs, la hiérarchie catholique est vent debout contre le projet de loi et appelle ses fidèles à la soutenir et à manifester dans la rue le 6 octobre. Et elle veut ignorer que les meneurs de cette manifestation sont très marqués politiquement, la frange de la société française qui oscille entre François Fillon et Marine Le Pen. Ces groupes ont bien évidemment le droit de manifester, ce n’est pas le problème. Mais appeler à se joindre à eux n’est pas neutre, la hiérarchie n’est pas si naïve qu’elle ne se rendrait pas compte du signal qu’elle envoie : c’est dans ce milieu qu’elle a encore une certaine écoute, qu’elle recrute, elle semble avoir fait une croix sur le reste des catholiques… qui, eux aussi, font de plus en plus une croix sur une institution inféodée à une idéologie dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.
Alors, sans entrer dans le débat de la loi, nous insistons là-dessus, on peut se demander au nom de quoi la hiérarchie ecclésiastique s’oppose au projet. Au nom de la foi ? Nous croyons que l’Esprit d’amour vit au fond de chaque être, appelé à en vivre dans une pleine liberté. La foi est un « suivre Jésus » dont le commandement est la conjonction des deux premières sentences du décalogue : amour de Dieu et des frères, les deux injonctions étant semblables. Jésus appelle chacun à se libérer de ses chaînes pour vivre totalement son humanité, sa vocation d’homme appelé à l’amour (de Dieu et de tout homme, c’est semblable). Chaque homme, grâce à l’Esprit qui réside au plus profond de lui, est appelé à vivre son espérance, solidaire des autres hommes, dans le Dieu de Jésus, source de vie, et à être sujet devant sa face. Cela ne donne pas une réponse concrète aux problèmes éthiques ou moraux. Dire que ce projet de loi s’attaque à l’humanité de l’homme ne peut être une conséquence directe de la foi en l’Amour, mais le résultat d’une réflexion philosophique, voire idéologique que les chrétiens peuvent partager ou non. Ils doivent mener cette réflexion, personne n’est habilité à leur donner la solution.
Et si c’était au nom de la foi, donc au nom de Jésus-Christ, qu’on appelle ainsi à l’action, on peut s’interroger sur la méthode choisie : une grande manifestation destinée à faire pression sur les décideurs et sur la société. On ne peut dire que cela fait partie de la « mission » que nos évêques demandent constamment de mettre en avant, ce n’est ni une annonce de Jésus-Christ ni un témoignage de notre foi, mais une manifestation de puissance. Il semble que les moyens utilisés par Jésus étaient assez différents… qui l’ont mené sur la Croix et ont mené au sacrifice nombre de ceux qui l’ont suivi.
L’Église répond alors qu’elle a la charge du peuple de Dieu, et qu’à ce titre elle est gardienne de la morale à laquelle ce projet s’opposerait. Mais « qui fait la loi » ? Il est temps de reconnaître que ce sont les hommes qui font la loi, elle ne se déduit pas directement de ce qu’on appelle la Révélation. C’est bien parce que l’Esprit d’Amour vit au fond de chaque homme, que l’humanité est capable de construire une éthique valable pour tous les hommes. Sous toutes les latitudes sont reconnues des notions du bien et du mal, de l’amour et de la haine, etc. Mais la mise en musique de ces notions fondamentales est faite par les hommes, avec leurs différences historiques, culturelles. D’où des débats, des querelles, des divisions et des conjonctions. Il n’existe pas une morale universelle, aux mains d’une hiérarchie, qui résoudrait toutes les questions d’éthique. Le rôle dominant, en surplomb, que veut se donner la hiérarchie n’est-il pas un peu usurpé ?
Dans les positions des différents acteurs de ces débats, on trouve des obscurités, des contradictions. Cela est normal, construire une morale, c’est-à-dire une application concrète des notions de bien et de mal, d’une éthique, est une opération complexe qui ne peut trouver des solutions simples, évidentes. Quand on touche à l’humain, à la société des hommes, prétendre à la simplicité est se faire illusion, ou mentir, et se contenter d’une application simpliste d’une idéologie hors sol. On peut regretter que depuis quelques jours les arguments avancés par la hiérarchie soient d’une grande pauvreté et d’un grand simplisme (1). Elle s’applique à mobiliser et, comme tous ceux qui veulent mobiliser, elle simplifie, mélange les genres, utilise la peur de ce qui pourrait arriver après. Elle est entrée dans le combat, est-ce son rôle ? Combat au nom de qui ? Certainement pas de Jésus-Christ, tellement cela serait en contradiction avec toute son œuvre.
Faut-il alors que les chrétiens renoncent à manifester ? Certainement pas. Comme tous les citoyens ils ont le droit, voire le devoir, d’exprimer leurs opinions et de rentrer dans les combats internes à la société. Mais ils ne le font pas au nom de leur foi, ils le font au nom de leur enracinement dans l’humanité (enracinement qui n’est évidemment pas étranger à leur foi). L’institution ecclésiale ne semble pas habilitée pour mener ce combat, sous quelque forme que ce soit, dans lequel elle est peu crédible. Son appel ne semble pas légitime.
Marc Durand
1 – Il semble que sous ces arguments divers se cache une condamnation viscérale, sans appel, de l’homosexualité. Mais cette condamnation ne peut plus se dire, les événements récents détruisent la crédibilité de l’Église sur ce sujet.