" Et vous, qui dites-vous que Je suis ? " La réponse de Jean Palesi

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Cette question, qui d’après une homélie du pape François se pose à chacun de nous, je suis amené à me la poser en relisant les évangiles synoptiques. En effet, ils nous disent, sous des formes diverses, que Jésus posa à ses disciples la double question : « Qui suis-je pour les gens ? Et pour vous qui suis-je ? » Ils nous rapportent aussi la réponse qu’aurait donné Pierre (« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ») et le commentaire de Jésus sur cette affirmation.

J’espère ne pas passer pour hérétique aux yeux de certains, mais je ne suis pas sûr que les évangiles, écrits bien des années après les évènements qu’ils racontent, ne présentent pas cette réponse, non comme elle s’est réellement produite, mais comme le fruit de la longue méditation des premières communautés chrétiennes à la suite du mystérieux évènement fondateur qu’est la Résurrection. Si je commence par cette remarque, ce n’est pas parce que je prétendrais apporter quelque chose de nouveau à l’exégèse, domaine dans lequel je reconnais mon incompétence, mais c’est parce que, moi aussi, je m’exprime après ce même évènement central, et qui plus est après tout ce que les conciles ont pu expliciter sur le sujet de la Christologie.

Je vais néanmoins essayer de donner ma réponse. Il me semble que dans ce but, je ne peux faire autrement que de commencer par voir ce que ceux qui ont témoigné de sa vie et de son message ont dit de lui. Je remarque tout d’abord que Jésus s’exprime dans le contexte culturel du peuple juif dont il fait partie, c’est-à-dire de sa religion, de ses croyances, de sa foi, même s’il est souvent très sévère avec certaines façons de se comporter dans ce cadre. Il ne s’adresse donc pas à des adeptes d’une vision du Monde (qu’on appellerait peut-être aujourd’hui « moniste ») qui nient l’existence de Dieu (athéisme) ou son caractère personnel (panthéisme). Pour lui, comme pour son peuple, l’existence de Celui dont le nom est ineffable et qui est l’« unique incréé créateur de tout » désigné par des mots hébreux divers que l’on peut plus ou moins traduire par « Le Seigneur », L’Éternel », « Le Tout-Puissant »… et qu’aujourd’hui nous nommons Dieu n’est pas sujet à débat. Ceci peut poser problème aujourd’hui pour notre propre témoignage à son égard, mais cela est une autre histoire.

Sur Dieu, le contenu du message de Jésus peut être résumé en cette unique affirmation : « Dieu est amour ». On pourrait mettre même une majuscule à Amour, car cela pourrait être une autre façon de nommer Dieu. De cette révélation sur la vraie nature de Dieu, il résulte que Dieu ne peut agir que par amour, même si aux yeux de certains cela semble limiter sa toute-puissance. Ce message n’est pas si facile à comprendre : il n’est que de voir comment certains, hors du contexte de la parabole dite des « ouvriers de la onzième heure », prenant à tort le récit pour un modèle social, s’indignent du fait que le comportement du maître qui, en fait, est donné comme un exemple de la générosité de l’amour de Dieu, leur semble manifester l’« arbitraire patronal ».

Du fait que Dieu est amour, il résulte aussi que Dieu nous demande de l’aimer : c’est le premier et le plus grand commandement, et s’il en est un autre qui lui est semblable « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est que, comme l’exprime le texte du Jugement dernier dans l’Évangile de saint Matthieu « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Par cela Jésus nous dit de manière indirecte son lien avec Dieu, puisque l’aimer lui, c’est aimer Dieu. Mais pour aimer Dieu, il faut être libre y compris à son égard ; j’y reviendrai à propos de la Résurrection.

Mais il y a aussi une conséquence fondamentale du fait que Dieu est amour : Dieu a un plan d’amour pour sa Création et particulièrement pour nous les humains. C’est ce qui est appelé sous des formes diverses le Royaume ou la Vie éternelle. Jésus en parle très souvent, la plupart du temps par des paraboles, mais parfois il nous précise : « Le Royaume de Dieu est proche », « Le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (ou pour certaines traductions « parmi vous » ou « au-dedans de vous »), « Mon Royaume n’est pas de ce monde ».

Dans tout ce qu’il nous dit, Jésus, au dire des évangélistes, parle avec autorité et ne se contente pas de commentaires comme les scribes ou les pharisiens. On lui demande donc souvent d’accomplir des signes qui montrent qu’il a le droit d’agir ainsi. Il accomplit certes des « miracles », mais même si ce qui est rapporté semble extraordinaire à nos yeux, il apparaît que cela ne convainc pas une grande partie de ses contemporains. Dans le cadre de pensée de l’époque, on pourrait, disent certains, accomplir tout ceci par le pouvoir de « Béelzéboul » (forme grecque se référant au Diable). À cause de cette mentalité, de façon cohérente avec ce qui a été dit plus haut, ces miracles n’entravent pas la liberté de ceux qui en sont témoins.

Mais son message et son comportement lui créent des ennemis mortels qui vont le dénoncer aux autorités romaines comme comploteur et le faire condamner à mort et exécuter par le supplice de la croix. Là encore, mis au défi « Il en a sauvé d’autres, qu’il descende de la croix et nous croirons en lui », il ne répond pas à ces demandes et meurt. On dira peut-être que je radote, mais je vois dans cette attitude consistant à sacrifier sa vie par amour pour nous, ce respect de notre liberté dont j’ai déjà parlé.

Si les choses s’étaient arrêtées là, Jésus aurait été un prophète courageux nous apportant un message d’amour qui peut valoir d’être vécu, mais auquel on peut objecter comme le feraient les hédonistes « Mangeons et buvons car demain nous mourrons ». En cela Jésus serait comparable à Bouddha et son message de compassion universelle. Mais survint alors ce mystère : la Résurrection.

Qu’est-elle pour moi ? Un évènement réel (et je préciserai plus loin le sens que je donne ici à ce mot), mais dont la survenue est, pour moi, comme un achèvement du message de Jésus sur ce Monde d’amour qu’est la Vie éternelle. Certes, on peut la décrire d’abord comme une victoire sur la Mort (le dernier ennemi) et une validation éclatante de tout ce que Jésus nous a révélé, mais je voudrais insister sur des points qui me semblent importants et qui sont rarement développés.

Que signifie pour moi l’affirmation : la Résurrection de Jésus est « réelle » ? Il ne s’agit évidemment pas ici de la notion de réalité physique à laquelle la Science fait référence, même si, suivant l’expression du grand physicien Bernard d’Espagnat, le Réel est « voilé » et si ce que nous nommons généralement le Réel n’est en fait que ce que la Science aujourd’hui appelle l’Observable. On peut préciser que quelque chose relève de la notion d’Observable soit si c’est suffisamment indépendant des conditions spatio-temporelles pour pouvoir être reproduit, soit, en cas de survenue unique, si toutes les caractéristiques accessibles ont été enregistrées et pourront être étudiées ultérieurement à tout moment.

Ce n’est clairement pas le cas de la Résurrection car, là encore, sinon cela contraindrait notre liberté (nécessaire rappelons-le pour pouvoir en vérité aimer Dieu et le prochain), mais cela nous dit que la Réalité ne doit pas être comprise comme se limitant à la réalité physique. Je relie ceci par exemple avec le sens qu’a pour moi la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Jésus ne se montre ressuscité qu’à ceux qu’il a choisis pour être ses témoins. Ceci a tellement bouleversé leur vie que moi aussi je crois à ce qu’ils nous en disent. Certes dans l’Éternité il n’y a plus de temps qui s’écoule : tout est un éternel présent. Ainsi Jésus a pu dire sur la croix au « bon larron » : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis ». Mais il me semble qu’on ne peut assimiler la Résurrection de Jésus seulement à un retour vers le Père dans la Vie éternelle : en effet, c’est lui dont les témoins nous disent qu’il est ressuscité et non le bon larron.

On peut remarquer que les récits évangéliques après la Résurrection nous présentent chaque fois Jésus comme « localisé » : dans le jardin avec Marie de Magdala, sur le chemin d’Emmaüs avec deux disciples, dans la pièce fermée à clef où sont réunis les apôtres et même sur le chemin de Damas pour saint Paul. Ceci me semble dire que si le Royaume de Dieu est proche, ce n’est pas parce qu’il va bientôt arriver : c’est plutôt que notre monde et celui de l’éternité sont comme deux feuilles consécutives d’un livre écrit sur un papier si fin que par transparence on peut apercevoir, même si c’est de manière imprécise, le contenu de la deuxième en lisant la première. Je rapproche aussi pour ma part, ce caractère localisé de ce que je peux croire de la « résurrection de la chair » (qui n’est pas celle de l’ADN ou des atomes, mais pourrait conserver l’étendue spatiale).

C’est tout cela qui me permet de dire comme les premiers chrétiens, qui se reconnaissaient dit-on au signe du poisson parce son nom en grec est l’acronyme formé par les initiales en grec de « Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur ». C’est bien cela que Jésus est pour moi.  

Jean Palesi    

Publié dans DOSSIER N°37

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