" Et vous, qui dites-vous que Je suis ?  " : la réponse d'Albert Olivier

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Jésus de Nazareth, fils de Marie, est d’abord celui qui nous a annoncé qui était « le Père » : son et notre père, tout Autre que ce que l’homme imagine. Tout autre qu’un Dieu-juge, punissant ou gratifiant selon un tarif à la pauvre dimension de l’homme. Tout autre qu’une idole construite sur nos peurs, impératif garde-fou de nos outrances et abus. Jésus a révélé un Dieu-Amour (1 Jn, 4,8), « lent à la colère et miséricordieux » (Ex 34,6 ; Nb 14,18 ; Ps 86,15, 103,8 et 144,8). Il est « l'incarnation »de ce Dieu-amour. Il est aussi celui qui nous a libérés de tous les pouvoirs, de toutes les fausses « autorités » : « Sur terre, n'appelez personne "maître" » (Mt 23,10).

 

Sa relation au divin, à celui qu'il appelle Père, est essentielle, mais incompréhensible et inexprimable en termes "humains". En tout cas, il le présente toujours comme supérieur à lui :« le Père est plus grand que » (Jn 14,23-29). Ce Dieu-Père, je ne sais jusqu’à quel point j'y crois, ni comment, mais je lui fais confiance (est-ce cela la foi ?).

 

Ce qui est mémorable et inestimable en Jésus, c'est son message. Il est bref, simple à entendre, difficile à vivre au quotidien : aimer Dieu et son prochain comme soi-même. Il nous propose ainsi une vie vivable, et sans doute la seule « salvatrice » dès ce monde, dans le contexte de confusion apocalyptique (Ap 6,3-4, mais aussi Mt 24, 6-8 ; Mc 13,7-8…), où l’humanité se trouve depuis… toujours.

 

L'important dans la vie de Jésus, c'est qu’elle est tout entière témoignage, authentifié par ses actes et par sa mort prévisible (Jn 11, 47-50, Mt 26,3-4), logique, et acceptée (Jn 10,18. Cf. Marc Durand dans G&S, 14 avril 2017). Tout le reste est forcément construction rationnelle a posteriori.

 

Toutes les spéculations sur la question « Qui est-il ? », tous les dogmes accumulés depuis 2000 ans prétendant y répondre me laissent assez indifférent. Je ne peux y adhérer, car ils apparaissent trop souvent conjoncturels et historiquement datés, mais ne crois pas utile de les contester, parce qu'en l'occurrence, on parle de choses indicibles, sur lesquelles je me sens incompétent et qui pèsent de toutes façons sur notre culture (même pour les athées). Ces interrogations peuvent m'intéresser intellectuellement (plus de 50 ans de travail en histoire religieuse !), elles ne stimulent pas ma vie spirituelle. Comme disait saint François de Sales : « mieux vaut essayer de vivre de la grâce que d'en disputer ». Aucune des polémiques millénaires, depuis le mode d'engendrement de Jésus jusqu'à sa Résurrection, n'a le poids (la « Gloire » ?) de la révolution qu'il a introduite dans notre conception de Dieu : non plus un juge sévère et solitaire, mais amour débordant et partagé, qu’illustre l’image de la Trinité, et que l'offertoire nous invite à accueillir : « Puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité ».

 

Libre acteur de sa vie, Jésus a vécu en plénitude ce qu’il annonçait. Ses actes confirmaient ses paroles. Sa théologie peut se résumer à « aimer » : aimer Dieu et aimer son prochain (comme soi-même). Compatissant, il ne refuse jamais de guérir un malade ou un handicapé, bien qu’il regrette qu’on attende de lui du merveilleux, voire du magique, alors qu'il propose un message de vie. Il a aimé les personnes rencontrées ou venues à lui, même lorsqu’elles trahissaient son idéal, tel le jeune homme riche ou Judas (« mon ami » Mt 26,50). Et il a confirmé cet amour jusqu’à la mort. Il n’a pas choisi celle-ci, il ne l'a pas cherchée, il a même un moment souhaité y échapper (Mt 26,39) ; il l’a acceptée comme la conséquence logique de la radicalité de sa Parole, qui dérangeait les puissants, les installés du pouvoir établi, civil et religieux. Sa mort a, on l'a dit, authentifié sa parole. Il a vaincu la mort, non pas, comme on le répète un peu « mécaniquement », tel saint Georges terrassant le dragon, mais parce qu’elle ne l’a pas détourné de savoie (« Je suis la voie… ») ; il l’a dépassée pour lui-même, et nous invite à ne pas nous y arrêter.

 

On peut l'appeler « Fils de Dieu », comme le sont toutes les créatures humaines, sans doute, mais plus que d’autres, parce qu’il s’est totalement voué à ce Père, que sa volonté s’est identifiée à la sienne, qu’il a été pleinement adopté par Lui. Cette filiation a été révélée soit au baptême : « Moi, aujourd'hui, je t’ai engendré »(Lc. 3,21-22.), soit à la Résurrection : « Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance par ses prophètes…, concerne son Fils qui, selon la chair, est né de la descendance de David et, selon l’Esprit de sainteté, a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur » (Rom 1,2-4). Ce qui diffère sensiblement d’un Christ « né avant tous les siècles », co-créateur de l’univers. Sa vie donnée l’a intégré dans la « structure » trinitaire, cet inégalable symbole d’un Dieu-amour infini, qui ne saurait donc, par essence, se replier sur lui-même.

 

L'enfance : les conditions de l'engendrement de Jésus me semblent relativement anecdotiques par rapport à la révolution qu'a été sa révélation du Père, confortée par une vie consacrée à ce père et à l'humanité. S'il nous faut du merveilleux pour croire en lui, nous nous inscrivons en contradiction avec son propre témoignage, qui manifeste un incontestable agacement contre les miracles pour lesquels la foule le sollicite constamment.

 

Présence “réelle” de Jésus dans l’Eucharistie ? J’accepte avec respect, reconnaissance et humilité l’invitation qu’il lance à chaque célébration : « Prenez et mangez en tous », car il a demandé : « Faites cela en mémoire de Moi », mais j’avoue que c’est sans comprendre ce que l’on veut faire signifier à ce pain et ce vin consacrés. S’ils expriment allégoriquement qu’ils sont les aliments vitaux pour l’homme, que Jésus nourrit notre vie, j’adhère sans hésitation : car il reste ma référence, lors même que je ne suis pas fidèle à son message et à ses « commandements ». Mais s’ils deviennent « réellement », au sens bio-physique du terme, sa chair et son sang, transformant une adhésion de foi à une personne en une entreprise un peu magique (voire « cannibale »), cela choque à la fois ma sensibilité et mon intellect. Le fait de couvrir cela du voile du « mystère » ne résout rien. 

 

Une piste de compréhension de l’Eucharistie chez saint Augustin : « Frères, ces sacrés mystères sont appelés sacrements, parce que les yeux y voient une chose et l’intelligence une autre chose. Ce que les yeux voient a une apparence corporelle, ce que l’intelligence découvre, c’est un fruit spirituel. Si vous voulez comprendre ce qu’est le corps du Christ, écoutez ce que l’apôtre dit aux fidèles : « Vous êtes le corps du Christ et ses membres » (Cor 12,27). Si donc vous êtes le corps du Christ et ses membres, votre mystère est déposé sur la table du Seigneur ; vous recevez votre propre mystère. Vous répondez « Amen », à ce que vous êtes et votre réponse est un assentiment. On vous dit : « Le corps du Christ » et vous répondez « Amen ». Soyez donc le corps du Christ pour que cet amen soit vrai ». 

 

La résurrection ? Que Jésus soit toujours « vivant » à travers sa parole, me semble une évidence efficiente. Que la foi de ses vrais disciples manifestée, non dans des cérémonies rituelles, mais par l‘exemple du « voyez comme ils s’aiment », le rende « présent », pourrait être une autre évidence. Mais lorsqu’on répète qu’au troisième jour il a été de nouveau « vivant », sous une « forme nouvelle » quoique sous une « même apparence », lui permettant à la fois de manger du poisson avec ses amis et de passer à travers les murs, cela peut poser un problème de compréhension, en lien d’ailleurs avec une autre difficulté (contenue dans le Credo) : la « résurrection de la chair », quelque pirouette que l’on fasse pour définir cette « chair ». Là est le véritable « mystère  » de notre foi, comme l’a bien prédit saint Paul : « Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine » (I Cor 15,14). Quelle preuve ? Ce n’est ni le tombeau vide, ni même que les disciples l’aient dit « ressuscité », mais leur témoignage actif de petites gens de rien qui, l'ayant « vu » après la Passion, se sont lancés à travers le monde et ont mis leur vie en jeu pour proclamer à tous cette résurrection comme la clef de la « Bonne nouvelle »… 

 

En résumé : Jésus-Christ est pour moi la référence absolue, et le guide, même si je ne le suis pas toujours avec fidélité ni persévérance. Il constitue le pivot de ma vie. Il est force vitale, plutôt qu'objet de « croyances ». Marie, à Cana, n'a-t-elle pas dit : « Faites ce qu'il vous dira » ? Et non pas « dissertez sur les caractères prodigieux de sa théophanie ». Sans lui et l’Esprit, sans son Évangile, je serais pire que je ne suis ; il me permet de croire en un Dieu qui suscite l'amour et l'espérance. Mais l’édifice complexe, redondant, surabondant, élaboré autour de lui par la hiérarchie, auto-justifié à travers de constantes références à son propre discours (comme dans les Sommes scolastiques ou, exemple plus récent : la déclaration Dominus Jesus, 6 août 2000), ne me convainc pas. Le plus important est-il de débattre vainement sur des « caractéristiques » de Dieu, dont on ignore à peu près tout, ou d'essayer d'appliquer à notre vie les paroles qu'il a dites et les principes qu'il a posés ?

 

En outre, par ce qu’il a vécu, ce qu’il dit et fait, Jésus incarne le vrai « Fils de l'homme » tel qu’il devrait être, l'humanité idéale à venir avec le Royaume [« ecce homo », tel le présente le païen Pilate] ; il est un modèle de Fils de Dieu à suivre et à imiter si l’on veut que l’humanité s’humanise, abandonnant égoïsme et agressivité, et puisse perdurer.

Albert Olivier

Publié dans DOSSIER N°37

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