De la vérité en politique

Publié le par Garrigues et Sentiers

Personne ne s’attend à ce que les « politiques » disent toute la vérité, constamment, en toute occasion. Il semble nécessaire d’approfondir cette question, d’essayer de voir ce qui est inévitable et les barrières qu’il faudrait mettre à des coutumes de mensonge qui ne sont pas supportables en démocratie. Il en va de la crédibilité du personnel politique et donc de leur acceptation par les citoyens.

 

Le monde n’est pas parfait, il est complexe, ceux qui agissent doivent savoir se salir les mains. La transparence totale n’est pas envisageable. Dans le combat politique, les acteurs ne vont pas dire ce qui donnerait des armes à leurs adversaires. Ils ne disent donc pas tout. Un devoir de réserve est aussi établi, tout dire peut produire des paniques ou des inquiétudes dommageables dans la population. On peut penser aux cas limites des situations de guerre mais on trouve aussi des situations de paix dans lesquelles l’information ne peut être complète (gestion des catastrophes, des épidémies, etc.). Le monde est très complexe, les responsables doivent gérer cette complexité et l’information est forcément simplificatrice : la transparence peut mener à des incompréhensions, faute de pouvoir expliquer, et être finalement désinformatrice. On se trouve constamment dans une dialectique du souhaitable (la vérité, rien que la vérité) et du possible. La santé des Présidents (Pompidou, Mitterrand, Chirac) sont des exemples récents qui ont permis toutes les positions vis-à-vis de la question de la vérité. Où est la limite ? Que le peuple sache que son Président ne peut plus exercer, c’est souhaitable. Mais tant que lui ou son entourage gouverne, doit-il inquiéter les citoyens ? N’a-t-il pas droit à ne pas étaler ses difficultés... et à ne pas donner d’armes à ses opposants, voire aux dirigeants de pays plus ou moins amis ?

 

Ces temps-ci le pouvoir semble cependant avoir dépassé les limites du supportable en ce domaine. La gestion des affaires de l’Aquarius et du Lifeline a permis à nos dirigeants d’étaler un cynisme rarement atteint, mais qui semble en place depuis de longs mois et se montrer en diverses occasions.  Pour l’Aquarius, nous avons eu droit à des discours parfaits, « droits-de-l’hommistes » à faire frémir les membres de la Ligue des Droits de l’Homme, accolés à une action (ou absence d’action) en totale contradiction avec ces paroles. Les mots n’ont plus de sens : traiter avec humanité des populations signifierait qu’on refuse leur débarquement, les laissant errer dans des conditions épouvantables sur la mer (ce traitement rappelle l’épisode peu glorieux de l’Exodus en 1947, dans un tout autre contexte mais tout aussi inhumain). Un Procureur, soumis au pouvoir politique, requiert de condamner un « délinquant solidaire » au motif, prévu par la loi, que son action a donné lieu à rétribution... la rétribution étant que son action humanitaire le fait connaître et donc sert son aura et sa cause ! On demande l’expulsion de Roms « pour défendre leur sécurité » puisqu’ils habitent sur des terrains insalubres, ce qui les renvoie dans une plus grande insalubrité. Un préfet commet (fait commettre) en toute impunité (condamné quatre fois au tribunal) des délits pour refuser l’accueil de demandeurs d’asile, principalement des mineurs, et il continue ! La police (gendarmerie ou police suivant les lieux) poursuit les citoyens solidaires des migrants, fait du harcèlement, va menacer des commerçants qui pourraient être tentés de se montrer solidaires. Ce genre de comportement par les autorités ne date pas d’hier, hélas ! Mais il est actuellement accompagné de discours en totale contradiction avec lui, là se révèle le niveau du cynisme actuel (on peut se souvenir de la phrase de Pasqua « Les promesses n’engagent que ceux qui les croient en les écoutant », bel exemple de cynisme, mais il ne s’agissait que des promesses électorales. Nous avons monté un cran de plus !).

 

Ce cynisme, on le rencontre dans un certain nombre de mensonges explicites. Combien de fois des hommes politiques mentent effrontément au cours de débats télévisés, les journalistes ou contradicteurs n’ont pas toujours les éléments pour contrer et quand ils le reconnaissent le lendemain, le mal a été fait, le « politique » a gagné. Monsieur Le Pen était un orfèvre en la matière, mais malheureusement pas que lui ! La dernière campagne électorale a montré toute sa richesse. Cynisme encore dans la perversion du dialogue. Les syndicats invités à débattre d’une loi montrent un gouvernement à l’écoute, mais on leur refuse les textes qui leur permettraient de connaître le sujet. Le « dialogue » avec les corps intermédiaires consiste très souvent à leur annoncer, le plus tard possible, ce qui a déjà été décidé en amont des rencontres.

           

La vérité n’intéresse plus, on est dans la « communication ». Savoir communiquer est essentiel pour des dirigeants, les communicants sont importants. Mais communiquer quoi ? Ce monde de la communication que l’on construit a vidé de son sens ce qu’on transmet. Plus de vérité, simplement des mots (des « éléments de langage », dit-on) qui doivent permettre de garder la main, de faire ce que l’on a décidé. Des mots pour forger l’opinion et affirmer que la politique suivie est celle voulue par la dite-opinion qu’on a fabriquée auparavant ! Un exemple est intéressant sur cette question de l’opinion formatée : une majorité de Français, dûment chapitrés depuis des années, est opposée aux migrations, aux « sans-papiers ». Comment ne le serait-elle pas quand on voit l’effort des gouvernants aidés par l’ensemble des médias pour leur montrer un monde simplifié en grand danger de la part de ces « gens qui viennent prendre notre place » ? Et pourtant, qu’un enfant dans une école, un collège, soit pris par la  police pour l’expulser avec ses parents et c’est la quasi-unanimité des parents qui se mobilisent pour le refuser. Là ils sont dans la réalité, l’enfant, les parents, sont de « vrais gens », alors que dans les discours ce sont des envahisseurs, des exploiteurs ou autres. Cette contradiction entre l’idéologie incrustée à longueur de jours et la réalité du terrain montre bien le mensonge qui fabrique l’opinion afin de se cacher derrière elle par la suite.

 

Moralement ces mensonges, ce cynisme, sont condamnables, bien sûr. Mais surtout ils ont des résultats dévastateurs. Le peuple perd toute confiance en ses dirigeants, ce dont ils semblent très bien s’accommoder. Cela fait chez nous deux présidents qui ont été élus avec très peu de voix pour éviter l’arrivée de la « peste brune » et qui ont annoncé dès leur élection qu’ils avaient la majorité des Français derrière eux pour appliquer leur politique. La démocratie est réduite à la mise d’un bulletin dans une urne tous les 5 ou 6 ans suivant les scrutins, pour quelqu’un choisi par des appareils (ou qui s’est imposé par lui-même), jamais réellement par le peuple. Le mépris pour les corps intermédiaires, leur mise de côté, qu’il s’agisse des syndicats, des associations, des groupes de réflexion (les « think tanks » par exemple) tue la démocratie et fait des citoyens non un peuple mais un magma indistinct soumis qui a perdu toute confiance et laisse la classe politique diriger en toute quiétude. Le résultat dans toute l’Europe est visible : non-participation aux élections, arrivée au pouvoir des populistes et de la « peste brune »(1). On glisse des pouvoirs « forts » qui se gargarisent de leur force fondée sur le mépris du peuple, au pouvoir autoritaire qui méprise et ignore les corps intermédiaires, puis à la dictature. France, Hollande, Danemark, Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Autriche, Italie...puis hors de l’Europe des 28, Russie, Etats-Unis, Turquie, à chacun de savoir à quel stade il en est (nous n’avons pas cité la Chine ou quelques autres qui n’ont jamais été démocratiques).

 

Mais faut-il se contenter de récriminer ? Il est nécessaire d’approfondir ce que peut être la vérité en politique pour espérer peser sur ces dérives que nous condamnons. Il nous faut avoir la lucidité de comprendre les situations, les responsabilités dans un monde complexe. Vouloir diriger un pays exige d’accepter d’être confronté à des situations complexes (si c’est simple, autant laisser filer ! Les dirigeants deviennent inutiles), cela ne permet pas de s’affranchir d’une éthique rigoureuse. La morale individuelle, morale de conviction, ne peut pas prendre en compte la complexité des situations, elle ne suffit pas. Mais l’absence de morale sous prétexte de difficultés est inadmissible aussi. Machiavel était un génie, il ne peut être un exemple. Le rôle des citoyens est de faire pression, avec leurs convictions, sur les pouvoirs publics qui doivent en tenir compte. Se contenter de juger sommairement est une façon de fermer les yeux en se donnant bonne conscience. Il y a une tension constante entre la morale de conviction et celle du possible, de la responsabilité. Là se trouve le rôle essentiel des corps intermédiaires, élus à tous les niveaux, journalistes, syndicats, associations, etc. Ils sont porteurs d’un sens et de valeurs qui doivent peser sur les décisions des dirigeants confrontés à des situations souvent inextricables.

 

Alors peut-on juger un pouvoir ? Certainement mais pas n’importe comment, les bons sentiments ne sont pas la clé de tout. Mais si un pouvoir ignore, méprise, écarte tous ces corps intermédiaires qui sont le cœur de la vie démocratique, s’il se permet des discours en totale contradiction avec son action, alors on peut non seulement le juger, mais le condamner.

 

Marc Durand

 

(1) Un mensonge habituel est de dire qu’il est « bien évidemment » nécessaire d’aller vers les idées de l’extrême-droite pour lui couper l’herbe sous les pieds. Or les rares études sur le sujet montrent le contraire : c’est quand on s’opposerait fermement aux dérives sécuritaires ou autres que l’extrême-droite reculerait, quand on la suit elle se renforce. Il serait intéressant d’approfondir les études sur cette question, les slogans ne suffisent pas.

Publié dans Signes des temps

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