« Ce n’est pas de répondre qu’il s’agit, mais de déplacer la question » ( Maurice Bellet, 1923-2018 )
Maurice Bellet vient de nous quitter à 95 ans. À 90 ans, il inaugurait ainsi son Blog : « Où j'en suis ? A la fin de ma vie, bien sûr. Avec le désir, intact, de voir naître, parmi les humains, ce dont l'urgence ne fait que croître : un mode de vie, un mode de pensée (les deux ne font qu'un) qui soit à la hauteur de la crise prodigieuse où nous sommes engagés.
Or, il me semble que cette exigence-là met fin, paradoxalement, à ce qui fut l'une des grandes ambitions des "modernes" : le discours sur (sur Dieu, sur l'être, sur l'homme, sur la science, sur tout), le survol, la place privilégiée du critique qui n'est pas atteint par ce dont il parle. Oh, cette attitude n'a pas disparu. Les plus hyper-critiques savent ce qu'il en est de l'objet de leur pensée ! Et bien sûr, je peux tomber moi-même dans ce travers. Pourtant, ce que nous vivons est tel qu'il s'agit plutôt de tracer chemin dans une immensité, forêt, désert ou océan, que nous ne survolons pas. J'espère être dans cette humilité, quand offrir une pensée c'est donner à quelques-uns, peut-être, de quoi éclairer leur expérience » (1).
Depuis plus de soixante ans, Maurice Bellet, prêtre, théologien, philosophe et psychothérapeute a poursuivi une voie très originale dans l’univers chrétien. Livre après livre, il a tracé des chemins neufs bien loin des débats éculés dans lesquels a végété trop souvent le catholicisme contemporain : progressisme ou intégrisme, défense inconditionnelle ou critique systématique des hiérarchies. C’est à une expérience de l’aurore, du saisissement de tout l’être par une bonne nouvelle qui arrache à la tristesse et à la mort qu’il nous convie. Si le mot Évangile a un sens, ce ne peut être que celui d’un événement nouveau, inattendu, radicalement "bon" et non quelque chose d’ennuyeux et de rabâché. Certaines formes d’éducation religieuse peuvent être le pire obstacle à ce qu’il y ait "bonne nouvelle", en contribuant à éviter à chacun de faire l’expérience personnelle d’une parole neuve.
C’est ce qu’il écrivait encore dans un de ses derniers ouvrages intitulé « Un chemin sans chemin » : “Savoir si c’est chrétien ou pas n’est plus la question. En ce moment du chemin, ce qui advient, advient : il n’y a pas d’étiquette. Est-ce du moins ce qui reste de la foi chrétienne quand le contenu traditionnel paraît se défaire ? Du dehors, on peut juger ainsi. Du grand, de l’immense édifice de la doctrine chrétienne, de sa tradition, sa pratique ses œuvres, il ne resterait finalement qu’un humanisme élémentaire, pauvre et confus.
Bien entendu, c’est ce qui peut arriver. Mais ce que je décris est je crois très différent. Car ce qui reste n’est pas un reste. C’est un commencement. C’est l’ouverture d’un espace qui est peut-être celui de la foi des chrétiens, mais qui se trouvait comme confiné et rétréci dans ce que désigne, trop souvent, le mot religion” (2).
On comprend alors ce qu’écrit Jean-Claude Guillebaud : « Je parle de Maurice Bellet, théologien aussi dérangeant que considérable. Nous sommes quelques-uns à penser qu’en toute logique, une meilleure place devrait être faite à ce penseur dans le débat public. Et notamment parmi les chrétiens. Je tiens même le pari suivant : on s’apercevra un jour ou l’autre qu’il aura été l’un des très rares intellectuels à jeter les fondements d’un « autre » christianisme » (3).
Bernard Ginisty
(1) Maurice BELLET, 0ù j’en suis ? http://belletmaurice.blogspot.com/2014/01
(2) Maurice BELLET, Un chemin sans chemin, éd. Bayard, 2016, p. 60-61. La citation qui sert de titre à cet article est empruntée au même ouvrage, p. 35.
(3) Jean-Claude GUILLEBAUD, Maurice Bellet, le clairvoyant, http://www.laviefr/, 08/03/2016.