Et s'il fallait faire davantage pour réveiller une mémoire dangereusement assoupie ?
NB : le texte qui suit est un commentaire à l’article de Marcel Bernos, Devoir de mémoire : à utiliser avec modération ! que nous publions sous forme d’article pour en faciliter la lecture.
G&S
Marcel Bernos a le mérite de nous rappeler un certain nombre de faits de notre passé historique. Il est vrai que dans des cas d'urgence extrême et pour éviter le pire, il peut être bon parfois de mettre notre mémoire « en veille ».. Ainsi par exemple en 1945, lorsque les Alliés ont décidé de distinguer les Allemands des Nazis, faisant mine d'oublier qu'en 1939 la grande majorité adhérait à l'idéologie hitlérienne. Différencier sans doute pour disposer, dans le contexte de l'époque, d'une Allemagne repart face à l'URSS, jugée plus dangereuse. De même en France en 1944, on n'a jugé que les responsable les plus emblématiques de la collaboration, choisissant de ne pas trier entre Collaborateurs et Résistants. Et même au sein de ces derniers, on a estompé les différences entre ceux de l'extérieur (France Libre) issus souvent de la Droite Nationale, et ceux de l'intérieur, venant souvent de l'Extrême Gauche. Ceci a évité beaucoup de réglements de compte et, le Général aidant, peut-être une guerre civile. Laissons le soin aux Historiens d'en débattre.
Ceci dit et dussè-je passer pour un trouble-fête, je suis très réservé sur le fond de la démarche de l'auteur ; surtout dans l'environnement présent, caractérisé par la montée des violences, de l'exacerbation des racismes, des nouvelles formes d'antisémitisme, des vociférations menaçantes de chefs d'Etats dotés de l'arme nucléaire... Le bon sens et la sagesse ont toujours voulu qu'on regarde avec lucidité le passé pour éviter les mêmes erreurs, conduisant aux mêmes catastrophes humanitaires. L'auteur nous rappelle à juste titre que depuis la fin de la guerre mondiale les génocides n'ont pas manqué. Ne serait-ce pas par défaut de mémoire plutôt que par excès ?? Le monde a cru bon, à Nürenberg, d'aller au-delà de la notion de crime de guerre pour définir plus précisément le Crime contre l'Humanité. Mais à la fin du XXe siècle on jugeait encore la réclamation de la Déléguée Européenne aux Droits de l'Homme (Anina Bonino ?) de créer un tribunal pénal international comme une utopie. Il a fallu les suites de la guerre des Balkans pour que celui-ci voie le jour à La Haye. Il a déjà jugé je crois quelque 170 criminels. Selon les Enseignants, nombre de collégiens interrogés aujourd'hui sur de qui De Gaulle et Pétain était représentant de la Résistance et de qui celui de la Collaboration, inversent les rôles!! Un comble.
À Marseille je constate que la majorité des Marseillais ignorent tout ou à peu près tout de ce qui s'est passé au Camp des Milles, à 25 Km de là, entre 40 et 42. Pourtant l'un des lieux de mémoire les mieux conservés au monde, de la déportation des Juifs vers les camps d'extermination. Et ceci malgré l'inauguration récente par le Premier Ministre de ce Mémorial, la visite du Président de la République accompagné de la Directrice Générale de l'UNESCO en 2015, qui en a fait une chaire de la Mémoire Mondiale de l'Humanité... Ces efforts des pouvoirs publics qui font lire aux collégiens d'Aix en Provence, lors des commémorations, à voix lente, la liste des enfants des Milles déportés vers l'Est et dont aucun n'est revenu, ne semble pas avoir beaucoup d'échos au niveau national. Je pense donc que les craintes de l'auteur envers le trop plein sont vaines.
La question me paraît grave. Devons-nous encore davantage mettre un couvercle sur notre mémoire pour tenter de sauvegarder un peu de confort intellectuel factice et tout provisoire ? J'ai personnellement été choqué dans les années 70, lorsque l'Education Nationale a décidé de rendre l'Histoire-Géo matière à option au Bac. Ne parlons de la refonte récente des manuels scolaires, occultant des pans entiers de notre Histoire ! Est-ce là le meilleur moyen d'éviter de nouveaux désastres à venir, ou nous bander les yeux en marchant entre deux précipices ? Il y a là, il me semble, deux questions : l'une d'ordre politico-sociale que je viens d'évoquer et l'autre davantage culturo-religieuse. Nous baignons quant à nous depuis de longs siècles dans un environnement sous influence catholique du sacrement de Pénitence, le PARDON... Il EFFACE la faute (si les conditions sont réunies, bien entendu). Il n'en est pas de même d'autres religions dans lesquelles certaines fautes sont ineffaçables. Ainsi, chez « nos frères aînés dans la foi » par exemple, le Pardon consiste à mettre la faute de côté, d'en détourner notre regard, pour regarder vers l'avenir ; tout en restant conscient et vigilant de sa présence et de la menace qu'elle représente. Laissons, là aussi, les théologiens en débattre...
Robert Kaufmann