Et si on ouvrait les yeux sur le monde ?
Un autre fidèle lecteur nous a adressé un commentaire très argumenté des deux articles de Guy Roustang, La Révolution selon Macron, et de Didier Levy, Une nuit du 4 août à l’envers est bien à craindre... Nous le publions sous forme d’article afin d’en faciliter la lecture.
G&S
Et si on ouvrait les yeux sur le monde qui nous entoure et sur l'horizon qui préfigure le lendemain de nos petits-enfants ?
J'ai lu dans les deux articles qui précèdent un certain nombre d'affirmations qui m'ont fait une fois de plus sursauter. Car ce n'est pas la première fois que nos échanges sur ce registre prennent une tonalité plus vive. Pour un Blog de réflexions chrétiennes, nous voici projetés en pleine politique politicienne. Mais pourquoi pas après tout si la finalité du débat est la recherche d'un monde plus juste ?
Avant d'aborder des points plus précis, je crois qu'il est utile de rappeler quelques vérités élémentaires, qu'il n'est pas nécessaire d'être en possession d'une maîtrise en Economie pour connaître :
- Il faut arrêter de diaboliser l'argent (un syndrome catholique) qui n'est qu'un simple outil indispensable pour le développement et les échanges dans une économie moderne.
- Quand on parle du patrimoine des riches, il ne s'agit pas de fantasmer sur des tonneaux de pièces d'or dans leurs caves. À part quelques milliers d'euros roulants nécessaires à leur confort mensuel, il s'agit de la possession d'actions ou de parts de sociétés. Des biens immobilisés dans des flottes de camions, ou de navires, ou d'avions, ou d'usines de production, ou de réseaux d'antennes-relais, ou d'intelligence artificielle..... Leur collectivisation n'enrichit en rien la population ; sinon que leur gestion passe de managers privés à des Enarques, hauts fonctionnaires. On en a fait l'expérience, même en France. On se souvient notamment de la Société Générale ; le plus grand crack financier de l'histoire des banques françaises. Cependant la nationalisation peut s'avérer nécessaire pour des raisons stratégiques, comme c'est le cas aujourd'hui à Saint-Nazaire.
- L'argent... tout le monde se plaint de « manquer de moyens ». Les familles modestes ; les associations ; les ONG ; les services publics ; l'Armée ; l'Etat.....Pour y remédier, le seul moyen est de créer des richesses. La façon de les redistribuer est du rôle du Politique, garant du bien commun. Mais les deux doivent aller dans cet ordre.
- Depuis 35 ans, nous faisons l'inverse : nous promettons et distribuons une partie des promesses, et nous soucions ensuite de trouver les ressources. Le résultat est que cette distribution se fait à crédit. Un déficit de l'Etat de 3 à 5 % par an... Nous avons accumulé une dette abyssale, dépassant le montant du PNB annuel. Ceci entraîne d'énormes intérêts annuels sur ces emprunts ; sommes qui seraient plus utiles dans l'investissement industriel et l'amélioration des Services Publics que réclament nos deux rédacteurs. Ce fut tenable jusque là grâce aux taux d'intérêts très bas. Mais une hausse sensible de ceux-ci mettrait la France dans une situation similaire à celle de la Grèce. Nos deux écrivains se gardent bien de parler de ce qui advient aux plus pauvres dans cette situation.
- La Gauche a commencé, par démagogie. La Droite a suivi, par lâcheté et électoralisme. Les quelques hommes d'Etat qui ont eu le courage de parler de banqueroute ont été écartés. Je n'ai pas grande sympathie pour le président précédant mais je reconnais son courage d'avoir engagé le pays dans un début de réformes, évidemment insuffisantes pour commencer le désendettement, mais suffisant du moins pour stopper l'hémorragie qui nous entraîne vers le gouffre. Le prix à payer fut l'atomisation d'un PS français encore trop marqué par 1789 et ses suites marxisantes du XIXe siècle.... Il n'y a plus que des leaders amères et nostalgiques de l'Algérie française créateurs d'une nouvelle Extrême Droite et le tribun tangérois, saltimbanque vendeur d'illusions, pour voir le salut dans la sortie de l'Europe, l'abandon de l'euro, le rempli derrière des frontières verrouillées... solutions condamnées par pratiquement l'ensemble des Economistes.
- L'Economie... L'élite intellectuelle française y serait-elle majoritairement imperméable ? beaucoup plus qu'aux idéologies diverses ? Mes liens familiaux m'ont amené parfois à déjeuner autour d'une table en compagnie d'enseignants, d'universitaires, en Lettres, Philo, Histoire... Lorsque, il y a une vingtaine d'années de cela je posais la question à la cantonade: « Savez-vous que chaque bébé qui naît en France a déjà une dette de 120.000 Francs ? », je voyais un cercle de regards étonnés et sceptiques.
- Ceci n'est pas anodin. Je pense qu'il serait obligatoire d'enseigner dans le Secondaire quelques rudiments simples d'Economie à chaque Français. Ce qui éviterait peut-être que presque un Français sur deux ne juge pas utile de se déplacer pour voter puisque l'Etat-Providence, de Droite comme de Gauche, n’est capable de répondre à ses aspirations. Puisque la solution existe : on entend souvent cette musique, « Ya-ka prendre aux Gros ».
On lit cela dès le début, « Les valeurs éclipsées au profit des changements à promouvoir » Comme s'il ne fallait avant tout se donner les moyens de satisfaire ces valeurs?
« La cause de l'Homme », Macron dixit. Je ne pense pas qu'il s'appuie sur une doctrine judéo-chrétienne, mais après tout, si son humanisme s'inspire historiquement de la première, soutenons le là-dessus. Je n'ai pas été écouté de mes amis à qui je conseillais de conserver des contre-pouvoirs en ne donnant pas pleins pouvoirs à l'Exécutif....Mais la diversité de ces jeunes nouveaux représentants du peuple va sans doute jouer en faveur de la démocratie ?
Oui, le rappel à Michelet. Mais chaque révolution, violente ou pas, retire les privilèges des uns pour les confier à d'autres. Le 4 août, on les a retirés à la noblesse pour les confier à la bourgeoisie. En octobre 17, on les a retirés à la noblesse et à la bourgeoisie pour les confier à des apparatchiks. À chacun de juger si le petit peuple y a gagné.
« ...Pour ramener le déficit à 3 %...cet objectif est discutable... » J'ai dit ce qu'il fallait en penser... et ce qu'on peut penser de ceux qui n'ont toujours pas compris !
« ...Pour répondre aux exigences de Mme Merkel... » Il faut éviter de faire de la Chancelière un épouvantail. C'est une femme de caractère, lucide et généreuse. L'Allemagne a accueilli, intégré, 21 millions d'Allemands de l'Est ; renoncé à son Mark, l'une des plus solides monnaie du monde, pour permettre l'Euro ; elle a surmonté la crise économique, réduit fortement le chômage ; accueilli un maximum de réfugiés... Sa balance exportatrice est excédentaire. Plus sérieux : depuis le retrait de la Grande-Bretagne, l'axe franco-allemand est le pilier central de l'Europe unifiée. Si l'un des deux flanche, il n'y a plus d'Europe. Chacun se retire dans ses frontières, dans un nationalisme resurgi, dans les égoïsmes nationaux... on sait où ça mène. Ceux qui ne comprennent pas cela sont irresponsables.
« ...L'impôt sur la fortune prévoit d'exclure les actifs financiers du calcul pour ne garder que les actifs immobiliers.... » Aurait-il échappé à l'auteur que les experts de Bercy jugent que l'ISF a coûté plus cher à la France qu'il n'a rapporté ? Si on ne peut facilement faire franchir la frontière à un immeuble, il suffit d'un clic pour passer des capitaux à investir sur un pays voisin. Ce n'est pas seulement un calcul financier. C'est l'économie française qui souffre du manque d'investissements et donc... d'emplois. C'est vraiment le cas typique, presque caricatural, du triomphe de l'idéologie : on se fait plaisir en prenant aux riches aux dépens de l'économie et de l'emploi. Et on va pleurnicher après cela que l'américain Whirepool transfère ses usines en Pologne... Nous savons à Marseille comment nous avons perdu pratiquement toutes nos industries depuis 30 ans, les syndicats ouvriers y mettant du leur.
« ...Emprise de la publicité sous toutes ses formes sur nos sociétés... » Après 22 ans de technique, de navigation en mer, j'ai terminé ma carrière ingénieur commercial dans un multinationale américaine. Cela a commencé par six mois d'immersion complète dans une tour de La Défense. Jusque là, je professais un certain mépris pour les « représentants de commerce » que je considérais comme des parasites aggravant le prix des produits vendus. J'ai appris l'ABC du processus économique. La différence entre « Vente » et « Marketing » (qui nous vient d'Outre-Atlantique) Ce dernier consiste à faire une étude de marché sur le besoin du consommateur ; puis l’étude du produit ; puis sa fabrication et enfin sa vente. J'ai appris que le meilleur produit du monde, mis en vente au meilleur prix, ne se vendra pas si on ne le fait pas connaître. D'où le budget qui m'a stupéfié de la direction Publicité (Le Tigre Esso, 1er Prix de la Pub en France). J'ai également constaté qu'un produit médiocre perdait rapidement ses ventes, avec ou sans publicité. Cela pour dire que nous devons revoir certains de nos concepts. Il ne faut pas accabler les industriels de nos reproches, mais songer à éduquer nos enfants (voire les adultes) à ne pas sombrer devant la première tentation, le premier argument.
« ...Idée fixe de la compétitivité ...restaurer un Etat protecteur.... » Voilà deux notions qui interviennent dans des domaines très différents. Que cela nous plaise ou non, en construisant une Europe progressivement passée à 28 états membres sans frontières douanières et en encourageant une forme de mondialisation des échanges, nous sommes entrés dans une compétition sans concessions, dont l'emploi est l'un des volets. L'économique et le social sont intimement liés. Les mettre en opposition, c'est revenir une fois de plus à des idéologies dépassées de « lutte des classes ». Quel intérêt aurait la composante Capital de garder le maximum au détriment de la composante Travail ? Il faut évidemment donner le maximum (compatible avec la rétribution des actionnaires qui prennent des risques et les investissements de développement) de pouvoir d'achat aux salariés pour acheter la production. Cela pour l'aspect économique, qui est du ressort de l'industriel. Pour ce qui est de « protéger » le citoyen, (Macron en parle beaucoup, notamment « une Europe qui protège »), c'est du ressort du Politique : la sécurité ; l'encouragement au développement économique ; l'environnement...
« ...Egalité, le principe même de la démocratie... » De quelle égalité parle t-on ? Voilà encore une dérive bien française qui s'est transformée progressivement en une forme d'égalitarisme stérilisant, démobilisateur, qui ne profite ni à l'individu lui-même ni au développement du pays. Certes, l'égalité de traitement, l'égalité devant la loi, l'égalité des chances, sont imprescriptibles en démocratie et représentent l'une des grandes valeurs de la civilisation judéo chrétienne. Cela ne veut pas dire qu'il faille donner un coup de rabot pour tout égaliser. La nature étant essentiellement inégalitaire, notamment sur les plans climatique, biologique, intellectuelle, une société démocratique et généreuse se doit se doit d'adapter ses traitements de façon à corriger dans la mesure du possible ces différences.
Et cela nous fait revenir sur la notion d'une société juste. Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger sur ce sujet ces dernières années et de constater la différence de conception entre les Français et le monde anglo-saxon. Notamment les conceptions de John Rawls, économiste et philosophe politique à Harward (remplacé à sa mort par le francophone Philippe Van Parijs, enseignant également à l'université catholique de Louvain et à Oxford) – Rawls qui a fortement influencé le regard des Américains sur cette question. Il considérait que pour un monde juste, il fallait des différences, des inégalités entre individus : inégalités qui stimulent l'homme et l'amènent à donner le meilleur de lui-même pour prendre l'échelle sociale. Il est vrai que contrairement aux Français, les Américains attachent beaucoup plus d'importance aux talents personnels de le personne plutôt qu'à ses diplômes.
Je l'ai vécu durant de longues années et je peux dire que j'y ai rencontré beaucoup plus de cadres supérieurs autodidactes que n'importe où ailleurs. Le fonctionnement était dit de « participation par les objectifs ». Le management était, il faut bien le dire, assez cynique quand il s'agissait de décisions de caractère stratégique et tranchait dans le vif. Ceci étant, la politique générale envers les collaborateurs voulait que les gens soient heureux pour bien travailler. Les salaires, les primes, les avantages en nature étaient attribués largement et sans mesquineries. À la découverte du gisement de Parentis, les quelque 6.000 salariés de la filiale française ont perçu à l'époque, spontanément, une prime confortable. Cela ne m'empêchait pas de participer aux contre-pouvoirs en portant mandat de représentant syndical au Comité Central d'Entreprise de la filiale du premier groupe mondial, lors duquel les échanges étaient parfois vifs... Je dis cela pour démythifier quelque peu les fantasmes sur les méchants Kapitalistes américains... Comme je l'ai déjà écrit, j'ai une conception plus scandinave des relations capital-travail que celle marxisante du conflit permanent et du rapport de force.
Je souhaite bien du plaisir au nouveau président. Il suffit de lire ces deux derniers articles pour s'en convaincre.
Robert Kaufmann