Trump ou le triomphe de la « télé réalité ».

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’élection d’un « milliardaire », professionnel de la « télé-réalité » à la tête de la première puissance du monde, alors que plus de 80 % des journaux lui tournaient le dos et que la quasi totalité des sondages le donnait perdant a été un choc pour les opinions publiques. Dans une chronique intitulée « le krach de la démocratie » publiée dans le journal Le Figaro, l’essayiste Nicolas Baverez écrit ceci : « Les démocraties entrent dans une nouvelle ère dominée par les hommes réputés forts, par la démagogie, par la recrudescence de l’instabilité et des risques. L’élection de Donald Trump marque le krach de la démocratie. Elle découle de la déchirure du corps politique et social des nations qui a été niée. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les stratégies d’endiguement de la déflation et de relance ont été efficaces. Mais si les banques et les entreprises ont été sauvées, les hommes ont été perdus, livrés à la colère et au désespoir »1. Le choc aurait été moins brutal si l’on avait accordé l’attention qu’elles méritent à quelques données chiffrées. Les 1% plus riches américains ont capté 85% de la hausse des revenus intervenue entre 2009 et 2013. Parallèlement, si 26 millions d’Américains bénéficiaient de l’aide alimentaire en 2007, le chiffre est passé à 43 millions en 20162.
Il y a plus de 4 mois, l’écrivain et réalisateur Michaël Moore écrivait ceci : « Un homme m'a interpellé la semaine dernière : "Mike, nous devons voter pour Trump. Nous DEVONS faire bouger les choses !" C'était là l'essentiel de sa réflexion. Faire bouger les choses. Le président Trump sera l'homme de la situation, et une grande partie de l'électorat souhaite être aux premières loges pour assister au spectacle »3.
Cette substitution du spectacle à un débat démocratique d’argumentations rationnelles avait été déjà analysée en 2007 par Al Gore, ancien vice-président des États-Unis, comme le signe d’une décadence de la démocratie américaine. Dans un ouvrage intitulé La Raison assiégée, il écrit ceci : « Nos pères fondateurs comprenaient fort bien qu’en Amérique notre forum public serait une discussion continue sur la démocratie. (…) Leur monde était dominé par l’écrit. Il y a plus de quarante-cinq ans que les Américains ne reçoivent plus leurs informations sous forme écrite (…). Ils regardent en moyenne la télévision quatre heures et quarante cinq minutes par jour ! c’est à dire quatre-vingt-dix minutes de plus que la moyenne mondiale »4. Contrairement au débat participatif qui avait résulté de l’invention de l’imprimerie, il y a moins d’échanges d’idées au profit du spectacle : « La profession journalistique s’est transformée en business de l’information, pour devenir peu à peu l’industrie médiatique qui est désormais presque uniquement la propriété des grands groupes » Et Al Gore conclut : « une information assujettie aux règles du divertissement représente un danger pour la démocratie »5.
Durant la campagne électorale, Donald Trump s’est livré à plusieurs sketches misogynes, homophobes, racistes et agressivement nationalistes. Au soir de son élection, il s’est adonné à d’autres démonstrations du type « bisounours » avec tous ceux qu’il avait caricaturé. Ce comportement illustre la réflexion désabusée de l’ancien Vice-Président Al Gore : « De trop nombreux membres de la Chambre ou du Sénat se sentent désormais obligés de passer la majeure partie de leur temps, non pas à débattre consciencieusement des questions posées, mais à collecter des fonds pour acheter des spots publicitaires de trente secondes »6.

Bernard Ginisty

1 – Nicolas Baverez : Le krach de la démocratie, journal Le Figaro du 13 novembre 2011
2 – Guillaume Duval : Les faux semblants de la réussite économique américaine, http://www.alterecoplus.fr, 05/10/2016.
3 – Michaël Moore : Cinq raisons pour lesquelles Trump va gagner http://www.huffingtonpost.fr/ 26/07/2016
4 – Al Gore : La raison assiégée (titre original anglais The Assault on Reason), éditions du Seuil 2008, pages 13-14.

5 – Id. page 26
6 – Id. page 250.

Publié dans Signes des temps

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P
Bonjour à tous,<br /> <br /> Je suis très étonné de certaines réactions à l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis visant en quelque sorte à justifier ce vote. Tenter d'expliquer est une chose, justifier en est une autre. <br /> <br /> Dire, comme on l'a entendu à satiété, que le peuple américain a voté contre les « élites », ne signifie pas grand chose, ce sont au maximum 50% des américains qui ont voté dans ce sens, Trump étant même minoritaire en nombre de voix : alors qui est le « peuple » américain ? La moitié qui a voté Trump ou la moitié qui a voté Clinton ?<br /> <br /> En arriver à écrire que Trump est le représentant et le défenseur de son « peuple » quand on connaît la fortune, simple héritage au demeurant, de ce milliardaire qui fait partie de « l'élite financière » confine à l'absurde. <br /> <br /> Mais il y a peut-être plus préoccupant, c'est cette quasi-certitude qui s'installe dans les cerveaux que la décision populaire, sous prétexte de démocratie électorale, est nécessairement la « bonne décision » : est-ce que le « peuple » a toujours raison ? Il suffit de regarder vers le siècle passé en Europe pour avoir la réponse, l'arrivée au pouvoir du parti nazi s'est faite par les urnes et un vote ...populaire.<br /> <br /> Pour les lecteurs de la Bible que nous sommes, une attention particulière portée aux livres prophétiques devrait alerter. Certes les prophètes bibliques, les crieurs de Dieu en période de crise (cette circonstance nous rapproche d'eux) dénoncent l'injustice et s'en prennent, parfois vigoureusement, aux élites de l'époque, le roi, leurs conseillers, la cour, parfois les prêtres. Mais ils n’épargnent pas le peuple d'Israël, le peuple élu, qui est vilipendé pour son infidélité à la parole divine. Ils ne caressent pas le peuple dans le sens du poil quand celui-ci se trompe de chemin. Les prophètes bibliques dénoncent toutes les idolâtries, et ne sacralisent pas le « peuple » comme nous avons tendance à le faire aujourd'hui.<br /> <br /> Jésus de Nazareth a été condamné à mort par une partie de l'élite de son temps, les sadducéens et les prêtres du temple, mais quand la question s'est posée de choisir entre Jésus et Barabbas, qui a fait le choix sinon le peuple de Jérusalem ? <br /> <br /> Ne faisons-nous pas une confusion malheureuse entre, d'un coté, le pauvre de YHVH de l'AT ou celui des béatitudes et, de l'autre, le « peuple » des démagogues de toutes obédiences  ? N'est-il pas temps de retrouver notre vocation prophétique qui n'a rien à voir avec un quelconque populisme ?
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F
« L’amour n’a pas besoin d’être parfait, il a simplement besoin d’être vrai » ai-je lu quelque part…Le règne du politiquement, religieusement, idéologiquement correct arrive à son terme. Ce règne n’a pas tenu ses promesses, contrairement à ce qu’affirme la déliquescence de l’intelligentsia…Cependant, les tenants de ce règne, accrochés à leur certitudes qu’ils nomment « vérités » ou « valeurs » (quel que soit le qualificatif adjoint) ne se laisseront pas dépouiller si facilement d’un pouvoir bien confortable…et la « masse » des victimes de ce règne, actuellement le subissant en ordre dispersé, n’auront plus comme autre choix que de s’unir sous la coupe d’un inconnu astucieux. Quasiment toutes les réactions que j’ai entendues de la part de soi-disant experts de tout bord, ou de personnes plus proches, condamnent ce président car il n’est pas « politiquement correct ». Dans un monde très instable, nous avons besoin d’un Homme simplement intelligent, capable de discernement appuyé sur une espérance concrète. Le pape François répondrait bien à cette définition…encore faut-il qu’il survive aux « loups » qui l’entourent.<br /> PS je suis content de vous relire, merci à tous ceux qui ont rétabli ce site.
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