Les femmes vont-elles prêcher bientôt ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Enzo Bianchi plaide pour l’octroi de la faculté
de prêcher aux laïcs, donc aux femmes

Enzo Bianchi, prieur de la communauté monastique de Bose, Italie, a publié dans l’Osservatore Romano du 2 mars 2016 une tribune sur la prise de parole de fidèles laïcs pendant les assemblées liturgiques. Enzo Bianchi commence par souligner que les appels pour que soit valorisée la femme dans l’Église sont de plus en plus nombreux. D’ailleurs, insiste-t-il, « malgré la discipline actuelle, dans de nombreuses Églises locales » des fidèles laïcs, hommes et femmes prennent la parole pendant les assemblées liturgiques. Aussi juge-t-il « opportun d’aborder le délicat sujet de la prédication par des fidèles laïcs. L’annonce de l’Évangile est une responsabilité qui échoit à tous, poursuit-il, et si pendant longtemps la prédication a été le monopole des seuls clercs, le moment est venu de l’élargir aux fidèles laïcs. » Pour justifier son propos, il rappelle que « des laïcs, y compris des femmes, étaient autorisés, au Moyen Âge à prêcher la parole de Dieu. » Et Enzo Bianchi de citer des laïcs et des femmes prêcheurs. Il invite donc « à s’appuyer sur ses expériences du passé pour donner aujourd’hui à des laïcs la possibilité de prêcher la parole mais à condition d’en recevoir le mandat de l’évêque, d’avoir un charisme pour le faire et d’en être chargé par le prêtre qui préside l’Eucharistie. Ainsi, continue-t-il, cela permettrait aux communautés religieuses féminines de ne pas écouter toujours et seulement l’homélie de l’aumônier qui leur est assigné ».

Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 2 mars 2016 (*)

Dans l’Église de la période postconciliaire, depuis que le pape Jean, avec le discernement prophétique qu’on lui connaît, a repéré parmi les « signes des temps » l’entrée de la femme dans la vie publique, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander que la femme soit davantage valorisée au sein de l’Église, pour que sa participation s’accroisse dans les diverses institutions qui la régissent et l’organisent, pour que lui soient reconnues toutes les facultés qui, en tant que baptisée, lui reviennent de droit.

Il existe une voie décisive permettant de valoriser la femme dans l’Église, une possibilité qui concerne de manière plus générale les fidèles, hommes et femmes, une possibilité déjà éprouvée et expérimentée dans l’histoire de l’Église, et de fait, présente, malgré la discipline actuelle, dans de nombreuses Églises locales : la prise de parole dans l’assemblée liturgique par des fidèles, hommes ou femmes. Celle-ci risque cependant de se manifester de manière sauvage, pire encore, de façon simulée, de sorte qu’on finisse par appeler par d’autres noms – comme « résonances » ou « propositions » – ces prises de parole qui doivent simplement être nommées homélies. Le sujet est délicat, mais j’estime qu’il est urgent de l’aborder, ne serait-ce que brièvement en cet instant : bien sûr, pour les fidèles laïcs en général, mais surtout pour les femmes, cela constituerait de fait une évolution fondamentale quant à la manière de participer à la vie ecclésiale.

Tout d’abord, il faut reconnaître que, ces dernières décennies, il y a cette prise de conscience que tous les baptisés sont appelés à prendre part à la mission et que l’annonce de l’Évangile est une responsabilité qui échoit à tous : ce n’est pas un hasard si les prédicateurs laïcs sont bien présents et nombreux dans la mission. Il s’agit donc d’un ministère de la parole un temps réservé aux seuls clercs, et aujourd’hui, au contraire, présent dans toutes les composantes de l’Église. Les textes liturgiques actuels attestent que les baptisés sont appelés par Dieu « parce qu’ils annoncent avec joie l’Évangile du Christ dans le monde entier » (rite du baptême, bénédiction et invocation sur l’eau) et qu’ils sont « rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ » (onction d’huile, onction avec le Saint Chrême). Cette maturation en partie s’est opérée dans le peuple de Dieu, capable aujourd’hui d’accepter également que des laïcs se chargent de la prédication.

L’histoire nous dit que la prédication auprès des laïcs a été autorisée aussi dans le domaine liturgique et qu’au Moyen Âge, quelques femmes reçurent même, du pape ou de l’évêque, cette autorisation. Avant que Grégoire IX (1228) ne décrète l’interdiction de la prédication aux laïcs, parmi les diverses formes de prédication, il y avait aussi celle qui prévoyait un mandatum praedicandi accordé à de simples fidèles. Surtout, aux Xe-XIIe siècles, et en particulier dans le contexte de la Réforme grégorienne, il est attesté que l’officium praedicandi fut pratiqué de manière féconde, tout spécialement au sein de ces mouvements évangéliques laïcs qui se développèrent au début du deuxième millénaire chrétien.

Les pauvres de Lyon, plus tard appelés Vaudois, les Humiliés de Lombardie et d’autres groupes demandèrent au pape de Rome d’approuver leur mode de vie et l’exercice de la prédication, ce qu’il fit. La vie évangélique de ces prédicateurs leur conférait une grande autorité, si bien que leur parole semblait performative : on pense à Robert d’Arbrissel (1045-1116), qui prêchait devant le clergé, les nobles et le peuple, avec l’approbation d’Urbain II ; ou à Norbert de Xanten (1080-1134) qui reçut l’officium praedicandi de Gélase II. On se souvient aussi que cela fut également possible pour quelques femmes parmi lesquelles se distingue Hildegarde de Bingen (1098-1179), proclamée par Benoît XVI docteur de l’Église. Cette abbesse prêcha dans diverses cathédrales, à la demande d’évêques. Parmi ceux qui l’écoutaient figurait aussi le pape Eugène III.

Ce sont là quelques exemples de ce qui a été vécu, il y a des siècles, au sein de l’Église romaine. La peur des hérésies, répandues justement par des prédicateurs de l’Évangile eux-mêmes, interrompit cette expérience. Bien sûr, afin de pouvoir exercer le ministère de la prédication, il était nécessaire d’obtenir l’autorisation de la part de l’Église, ou bien la licentia praedicandi, car l’ignorance de certains prédicateurs ou leur « charismatisme » pouvait souvent mener à l’hérésie, à la confusion et non à l’édification de l’Église. Il est significatif qu’Innocent III, par exemple, ait accédé à la demande de prédication formulée par François et ses premiers compagnons (1210), exigeant d’eux la tonsure en contrepartie. En tout cas, François, sans avoir reçu l’ordination (ni diaconale, ni presbytérale), prêcha publiquement, toujours avec l’approbation de Rome, en dépit de l’adversité de certains évêques locaux. Et même après l’interdiction prononcée par Grégoire IX, cette possibilité pour les laïcs d’accéder à la prédication fut maintenue. Il était recommandé que ces homélies aient un caractère moral et exhortatif, et non doctrinal ou théologique mais, de fait, elles furent autorisées. Et il ne manqua jamais de femmes pour prêcher, de la béguine belge Marie d’Oignies (1177-1213), à Catherine Paluzzi (1573-1645), chargée de la prédication dans les monastères féminins par le cardinal Paolo Sfrondati.

Et aujourd’hui ?

Dans la période postconciliaire, la conférence épiscopale allemande demanda à Paul VI, en 1973, le mandatum praedicandi en faveur de quelques fidèles engagés dans la pastorale (dont un certain nombre de femmes). Le Saint-Siège leur accorda l’autorisation ad experimentum pour huit ans. De même, le Directoire des messes d’enfants (1973) permet que l’homélie soit tenue par des laïcs préparés, et aussi par des femmes (1). Ce sont là des ouvertures dont on devrait tirer parti. Il serait tout de même important que, sans dévier aucunement de la doctrine traditionnelle, soit donné aux laïcs, hommes et femmes, la possibilité de prendre la parole au sein de l’assemblée liturgique, si certaines conditions précises sont remplies.

Tout d’abord, il est absolument nécessaire qu’un mandatum praedicandi (même temporaire) soit accordé par l’évêque à un fidèle, homme ou femme, qui soit préparé et ait le charisme de la prédication. En second lieu, la liturgie eucharistique étant un acte de culte uni en soi, avec une présidence unique, il appartient au prêtre qui préside l’Eucharistie de charger rituellement celui ou celle qui, ayant reçu de l’évêque la faculté de prêcher, rejoindra l’ambon, en lui donnant la bénédiction.

Enfin, le fidèle appelé à prêcher, homme ou femme, le fait par charisme et par institution c’est-à-dire en étant conscient que ce don qu’il a doit être utilisé pour les autres et qu’il a besoin d’un mandat qui le rattache à la tradition. Sans charisme et sans chirotésie (cette imposition des mains est une forme de bénédiction, et non un sacrement), le ministère de la parole ne pourrait se manifester dans la liturgie, car il a toujours besoin du don du charisme et de l’autorisation épiscopale.

L’octroi de la faculté de prêcher, à ces conditions, permettrait aux communautés religieuses féminines de ne pas écouter toujours et seulement l’homélie de l’aumônier qui leur est assigné. Et la communauté chrétienne pourrait écouter la prédication faite par des femmes (aux accents différents, donc), et des hommes qui ne sont pas tous ordonnés. N’oublions pas que Jésus prêcha dans les synagogues de Nazareth et d’autres villes alors qu’il n’était ni prêtre ni rabbin ordonné. Il le fit parce qu’il était doté d’un charisme prophétique et parce que les responsables de diverses synagogues l’en avaient chargé.

N’oublions pas non plus que, lorsqu’un évêque voulait empêcher le laïc Origène de prêcher, les autres évêques répliquaient : « Là où se trouvent des hommes capables de rendre service aux frères, ils sont invités par les saints évêques à s’adresser au peuple » (Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, VI, 19, 18).

2 mars 2016, tribune d’Enzo Bianchi
sur la prise de parole de fidèles pendant les assemblées liturgiques
(*) Traduction de Sophie Gallé pour La DC. Titre de La DC, note de la traductrice
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Publié dans Signes des temps

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S
Quand va-t-on reconnaître que la femme est un être humain à part entière et par là une créature HUMAINE au même titre que l'homme et, de ce fait, devant avoir les mêmes privilèges que l'homme, car tous deux sont des créatures de Dieu.<br /> <br /> Jésus n'a, à aucun moment, déclaré que la femme était un être inférieur, incapable de « raisonner ». et que la propagation de la Bonne Nouvelle lui était interdite en public !<br /> D'emblée, l'homélie ne lui est pas permise, pouquoi donc.<br /> L'actualité me prouve que ma réflexion est réaliste<br /> <br /> Pourquoi l'homme a voulu de tout temps rabaisser la femme au niveau d'un être juste capable de lui obéir et de le servir ! La femme est, dans l'Eglise, comme un mouton... pardon ! une brebiie (les scribes ont confondu Communauté et Pastoralisme! (1)<br /> <br /> A quoi sert une brebie ? <br /> R : à satisfaire le bélier, mettre au monde des ageaux, êtres tondue, et être sacrifiée puis être dévorée en distribuant les meilleurs morceaux aux... hommes de la tribue !!!<br /> <br /> Je suis une brebie égarée et fière de l'être car j'ai profité de ma liberté pour parcourir les pâturage réservés aux béliers. En religion à l'homme. <br /> <br /> S.V. Une femme pas aussi égarée que l'on pense<br /> <br /> P.S. Je me suis laissée dire (peut-être à tors) Que pour enseigner dans une Sinaguogue il était éxigé d'être Rabin ( du moins l'équivalent? ) je me tompe ? Alors excusez-moi.<br /> <br /> 1) - Pastoralisme. Source : Wikipedia. Le pastoralisme décrit la relation interdépendante entre les éleveurs, leurs troupeaux de ruminants et leur biotope.
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L
Moins une ouverture qu'une mise en adéquation sociétale. Les conditions qui y seraient mises se lisent de façon contradictoire selon l'angle de vue dans lequel on se place. Au regard de l'institution ecclésiale catholique multiséculaire, de ses canons et de ses normes, des précautions de simple bon sens. Si on élargit la perspective, la mise en lumière ou la confirmation de deux conceptions qui s'opposent, et dont tout donne à penser qu'elles s'opposeront de plus en plus radicalement : la fixation sur un ministère conféré à un clergé, interprète et gardien d'une pureté doctrinale qui procède du principe irréfragable de la supériorité absolue de l'd'autorité VERSUS l'émergence d'une Eglise émancipée de la dichotomie clergé/"simples" fidèles et corrélativement abolitionniste de la relégation du féminin. Chacun voyant bien que cette Eglise du peuple des croyants se concevra nécessairement en Eglise du libre examen. Quels que soient les tous petits pas - pour méritoires que soient ceux-ci - accomplis (ou suggérés) en vue de ménager aux laïcs une place (étroitement mesurée) dans les fonctions imparties à la caste sacerdotale, le débat dont nous voyons les éléments déjà largement mis en place - crise des vocations, contestations diverses du dire et du fonctionnement clérical, notamment - s'annonce inéluctable. Et il ne s'arrêtera pas à desserrer le carcan qui emprisonne la pensée du croire et l'éthique qui en découle, sauf à ce que l'Eglise.s'avère incapable d'être autre chose que le musée qu'elle est en train de devenir I l est un temps pour la discipline de la foi, il est un autre temps pour l'intelligence partagée et créatrice de la foi. Didier LEVY
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