Peut-on être au four et au moulin ?
Parmi les serpents de mer républicains, il en est un qui réapparaît régulièrement à l'approche d'élections, en prenant rang – très provisoire – dans les programmes : le non-cumul des mandats. Ce refus de la multiplicité des fonctions de nos hommes et femmes politiques peut s'appuyer sur un certain nombre d'arguments rationnels et de morale publique.
- 1°Pour "remplir" correctement un mandat, cela suppose une disponibilité et une présence totales du responsable, qui ne soit pas un turbo-député ou un turbo-maire, comme on le dit pour les professeurs d'université qui habitent à des centaines de kilomètres de leur lieu d'enseignement, et n'y font que de brefs passages pour délivrer leurs cours sans remplir les autres fonctions afférentes : commissions, réunions de coordination ou pédagogiques (oui, oui, ça arrive), de gestion etc. Cette dispersion favorise l'absentéisme.
- 2°La multiplication des charges ("honneurs" ?) plaçant des professionnels de la politique à de multiples nœuds de décision, facilite le clientélisme. Jadis, certains hauts-fonctionnaires étaient mutés au bout d'un certain temps pour éviter des conflits d'intérêt, alors qu'on peut représenter une circonscription pendant des décennies et finir par y lier des relations qui peuvent favoriser des compromissions.
- 3°On répète qu'il est nécessaire de renouveler la classe politique, et qu'il convient donc de permettre à des jeunes, à des femmes, à des personnes de la société civile de faire leur apprentissage, afin de pouvoir à leur tour servir le pays et sa population. Passons à l'acte.
À ces arguments de bon sens, les défenseurs du cumul en opposent un qui n'est pas sans poids : il serait indispensable pour des personnalités politiques occupant des fonctions législatives de garder les pieds sur terre et donc un contact concret avec les populations, cas des conseillers généraux, par exemple, et surtout dans des fonctions exécutives ce que permettent les rôles de maires etc.
La thèse est parfaitement recevable. Mais on croirait plus facilement à la sincérité de ces personnes si elles acceptaient de ne percevoir qu'un seul des traitements correspondants à leurs diverses fonctions.
Et la République, généreuse, pourrait même leur en laisser le choix !
Marc Delisle