Le baptême, accomplissement de la création

Publié le par Garrigues et Sentiers

Chers frères et sœurs, en m’invitant à préfacer Vox populi, vox Dei, le livre de votre Conférence-débat du 26 septembre 2015, Anne Soupa m’avait fourni l’occasion de remercier ceux d’entre vous qui m’aviez envoyé des vœux à l’occasion de mon 100e anniversaire. Vos lettres étaient si personnelles, si fraternelles, si nourries de riches réflexions que je les conservais avec soin dans l'espoir d'y répondre quelque jour, mais elles continuaient à arriver jusqu'à atteindre le chiffre d'environ six cents, et je dus renoncer à cet espoir. J'ai alors sollicité l'hospitalité de votre Conférence pour vous exprimer ma gratitude de façon collective, et Anne m'a proposé de le faire en vous disant comment je sentais et comprenais le Baptême qui nous a fait nous rencontrer et travailler ensemble : voilà ce que je vais chercher à vous dire dans cette Lettre, avec mon cœur autant qu'avec mon esprit.

Est-ce le rite d'eau, d'huile et de paroles sacrées dont nous avons été l'objet dans un passé lointain, moi bien longtemps avant vous, dont nous étions bien incapables de sentir et comprendre quoi que ce soit, hormis peut-être la froideur de l'eau et l'acidité du sel, sans qu'il en reste aucun souvenir susceptible d'avoir créé une mémoire commune entre nous ? Je ne le pense pas. – Si, m'objectera-t-on : il en est resté la grâce, le "caractère" d'une même foi. Mais la foi n'est pas née en nous sans que nous lui ouvrions la porte de notre esprit par un acte volontaire et conscient, souvent répété, faute duquel beaucoup, baptisés enfants, ne se sont jamais sentis devenir chrétiens et ne nous permettent pas de leur imposer une identité dont ils n'ont jamais été conscients.

D'ailleurs, notre Église a longtemps hésité à reconnaître que les baptisés qui n'obéissent pas au pape (par exemple les protestants ou les orthodoxes) appartiennent à l'unique vraie famille de Dieu, tandis que d'autres Églises réservent le don de l'Esprit à ceux qui ont bénéficié des rites fixés par une tradition immuable. Mais aujourd’hui les catholiques "éclairés" tiennent pour frères tous ceux qui paraissent vivre selon l'esprit du Christ quoi qu'il en soit de leur passé. De plus, le dogme tient la valeur du « baptême du désir » qui nous promet d'innombrables frères et sœurs qui n'auront jamais bénéficié du rite baptismal et que le Christ nous présentera dans son Royaume comme les enfants que Dieu lui a donnés, ses frères (Hébreux 2,11-13). Voilà pourquoi nous ne nous fions pas aux rites du passé pour juger de l'appartenance au Christ, mais aux chemins de vie que la foi dans l'avenir de l'histoire projette en avant de nous et qui entrecroise l'existence des uns et des autres pour en faire la demeure de Dieu avec nous. La foi reçue de l'Esprit Saint au baptême tend à « s'accomplir » dans la rencontre du Dieu qui vient au-devant de nous.

Ainsi Jésus demandait à ses disciples s'ils étaient disposés à accueillir le baptême dont il allait être bientôt baptisé (Marc 10,38-39) en témoignant de sa hâte à le recevoir "jusqu'à ce qu'il soit accompli" (Luc 12,50). Peu importe ce qu'il voulait dire exactement dans ces deux contextes différents, mais il ne faisait sûrement pas allusion au baptême qu'il avait reçu de Jean comme plusieurs d'entre eux et il englobait sous ce mot la totalité de la mission dont le Père l'avait chargé et des souffrances qu'il aurait à endurer pour cela. Voilà pourquoi le baptême dont vous portez le nom ne s'identifie pas au signe dont vous avez été revêtus au début de votre vie, mais s'origine à la mission dès lors reçue de l'Esprit Saint, appel et impulsion à aller de l'avant, à parcourir le monde en lui annonçant la bonne nouvelle de Jésus présent en nous (Matthieu 28,18-20) pour accueillir Dieu dans l'histoire des hommes. Ce n'est pas une assignation à rester à l'abri dans l'enceinte de l'Église, mais la vocation à devenir les "pierres vivantes" de la construction de la maison de Dieu (1Pierre 2,5) ouverte à tous les hommes dont il veut faire ses enfants par la liberté et la fraternité qu'il leur inspire.

La vocation baptismale est donc appel à la liberté d'une parole nourrie de prière et de méditation, à l'activité d'une tendresse émue par toute souffrance, à l'audace d'une nouveauté inventive, prompte à ouvrir notre Église à qui frappe à ses portes, à frapper à la porte des autres pour s'enquérir de leurs besoins, à ouvrir des chemins pour rendre la terre plus habitable à tous. Nous entendons cet appel de l'Esprit et nous y répondons en humant l'air des temps nouveaux, en écoutant les cris de ceux qui se sentent spoliés de tout avenir et même les blasphèmes de ceux qui se croient abandonnés de Dieu.

Le baptême qui nous attend, qui nous appelle à renaître chaque jour, à redevenir "enfant", "homme nouveau", est celui de l'accomplissement de la création dans la nouveauté d'une humanité toujours à réconcilier avec elle-même (2Corinthiens 5).

Joseph Moingt s.j.
Lettre aux baptisés n° 5 – Mars 2016
Ndlr : le titre est de G&S

Publié dans Réflexions en chemin

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
DES « PIERRES VIVANTES ». <br /> Beaucoup plus qu'admirable. Une vérité de la foi, de la foi ressentie, qui s'imprime en soi à la lecture. Comme pour un temps de familiarité avec l’Esprit<br /> Davantage peut-être un texte de Pentecôte que pour Pâques - encore qu’il y soit bien question, de bout en bout, d'une résurrection - celle de la foi.<br /> <br /> "La vocation baptismale est donc appel à la liberté (...). Nous entendons cet appel de l'Esprit et nous y répondons en humant l'air des temps nouveaux, en écoutant les cris de ceux qui se sentent spoliés de tout avenir et même les blasphèmes de ceux qui se croient abandonnés de Dieu. Le baptême qui nous attend (...) est celui de l'accomplissement de la création dans la nouveauté d'une humanité toujours à réconcilier avec elle-même".<br /> <br /> Arrêtons-nous à cet ‘’appel à la liberté d'une parole nourrie de prière et de méditation’’ : quelle plus belle conclusion, en aussi parfaite résonance avec ce qui fait notre attente, aurait pu venir nous accueillir à la fin de cette lecture ?<br /> <br /> Comment ne pas être frappé du nombre de voix, et parmi elles de voix presque aussi éminentes que celle-ci, qui hic et nunc reprennent à leur compte cette invitation à la liberté. Et qui, corrélativement (et plus ou moins ouvertement), reconnaissent et valident l’aspiration à la liberté que cette invitation vient combler<br /> <br /> Ce qui certes pèse de peu d’impact et fait un petit nombre, quantitativement, au regard du poids et du pouvoir dont l'institution, sa hiérarchie et ses normes accablent - persistent à accabler- le peuple ‘’éclairé’’ de la foi. Mais le poids et le nombre (cf. Sodome et Gomorrhe que dix justes auraient suffi à sauver de la destruction ...), comptent peu et finalement pour rien. N'est-ce pas une théologie de la liberté qui est en train d'émerger face à l'incrédulité du monde, et face, dans nos sociétés, à l'insubordination de l'intelligence, du savoir et de la recherche ?<br /> <br /> Autant dire une épiphanie du libre examen - non pour retomber de celui-ci dans le littéralisme qui nourrit, et qui a toujours nourri, tous les intégrismes et tous les fondamentalistes (tels les courants dits évangélistes, leurs devanciers historiques, et leurs équivalents dans les autres confessions), mais pour transcender les questionnements et les doutes dans le plus authentique dialogue avec la transcendance. On est tenté d’écrire dans la plus grande richesse et profondeur de la prière, et dans sa dimension la plus intime ?<br /> <br /> Pour autant que ce n’est pas s’abuser de faux espoirs que d’entrevoir cette perspective émancipatrice, comment concevoir que cette émergence de la liberté de conscience au sein même du croire ne s'accompagne pas d'un dépérissement, progressif mais inéluctable, de tous les clergés - au sens où nous entendons ceux-ci. Le nouveau croyant s'appuiera nécessairement sur des ''ministres du culte'', détenteurs d'une expertise théologique, exégétique, éthique philosophique ... mais quant au contenu des matières de la foi, il récusera les directeurs de conscience, et tout donne à penser qu’il s'en passera très bien.<br /> <br /> Didier LEVY
Répondre