Samedi-Saint
Dans la liturgie, ce jour est vide...
et pourtant plein de richesse…
Jour de désespoir. Échec total. Jésus venait nous libérer, Dieu était avec lui, Isaïe l’avait annoncé. Ses disciples avaient été conquis, leur confiance était grande, et le voilà exécuté, comme le pire des criminels. Dieu l’a abandonné, même lui l’a reconnu : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Par deux fois Israël s’est vu au fond du gouffre, après la chute de Samarie, puis surtout lors de l’exil à Babylone. Cette fois-ci c’est plus grave, c’est le Fils qui est abandonné et avec lui tous ceux qui le suivaient.
Lors de l’exil, non seulement les Israéliens avaient été déportés dans une première vague, mais dix ans après cela avait recommencé, et cette fois avec la chute de Jérusalem, la destruction du Temple (qui va être renouvelée en 70 par les Romains). YHWH a abandonné son peuple en exil, ou pire, il s’est montré incapable de le protéger. Comment avoir confiance en Lui ? Déjà Jérémie disait « Ne pleurez pas celui qui est mort [le roi Josias en qui on avait cru] ne le plaignez pas. Pleurez plutôt celui qui est parti [en déportation], car il ne reviendra pas, il ne verra plus son pays natal » (Isaïe 22,10). À Babylone les exilés peuvent clamer leur désespoir : « Notre espérance est morte, c’en est fini de nous. » (Ézéchiel 37,11).
Ne serait-ce pas notre désespoir actuel, aussi ? Les églises se vident, plus de prêtres, nos concitoyens – et souvent nos propres enfants – n’ont plus rien à faire avec une religion décriée, méprisée. Quel avenir ? Quelle espérance possible ?
Et les événements actuels ? Il y a toujours eu des criminels, mais ce refus d’accueillir les victimes, cette volonté de nos gouvernants de ne pas s’entendre et le soutien qu’il reçoivent des peuples pour refuser de voir la souffrance (si ce mot suffit !) de tous ces migrants ? Dieu les aime-t-il qui laisse faire ? Ou est-il impuissant ?
Et nous-mêmes, en notre for intérieur ? Jamais libérés de nos liens, de nos pesanteurs, de nos peurs, de nos chutes et de nos abandons ? Toujours se repentir et toujours recommencer (saint Paul lui-même…). Où se trouve le soutien de Dieu ? L’Esprit, force de Dieu, vit-il en nous ?
Ne courons pas trop vite vers Pâques pour nous consoler, pour nous bercer d’illusions. Profitons de ces quelques heures de vide au cours desquelles Jésus va nous chercher tous dans les enfers, dans notre enfer. Profitons-en pour entrer en nous-mêmes, pour méditer sur notre situation, sur ce qui dirige nos vies, sur la relation que nous pouvons nouer avec le Père.
En exil, Ezéchiel, après avoir fustigé et menacé le peuple pendant des années, apporte un début de réponse d’espoir. Mais cet espoir ne peut plus être celui qui a nourri le peuple pendant les siècles précédents. Ce ne sont plus Jérusalem ni les murs du Temple qui peuvent nous sauver. Une rupture s’est produite avec la destruction du Temple, le monde n’est plus le même. Compte désormais ce qui se passe dans le cœur de l’homme et non plus son appartenance à telle ou telle communauté. Jésus a dit à la Samaritaine : « Crois-moi, femme, ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père...L’heure est venue, et c’est maintenant, où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l’esprit et la vérité » (Jean 4,21-23). Et Ezéchiel aux exilés : « Faites-vous un cœur nouveau » (18,31), puis « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (36,26) et « Je mettrai mon esprit en vous » (36, 37).
C’est au plus profond de nous que nous devons plonger pour pouvoir renaître. Renoncer à la sécurité du temple, de nos institutions pour recevoir l’esprit dans un cœur nouveau. Reprendre notre relation avec Jésus après un dépouillement total. « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous... Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis eux aussi soient avec moi » (Jean 17,21.24).
Reste la question lancinante : sommes-nous certains que Dieu puisse nous sauver ? Le centre de la foi s’est déplacé, c’est au fond de notre cœur que l’essentiel se passe. Compte d’abord l’Esprit de Dieu qui nous habite. Mais quand nous voyons le résultat, en nous, dans le monde, dans l’Église, on peut douter ! Comment garder la Foi en cet Esprit quand nous constatons les dégâts dans le monde et au plus profond de nous-mêmes ?
Une fois encore, revenons à Ézéchiel. Après avoir annoncé tous les malheurs, le voilà qui proclame le salut ! Il reprend l’histoire d’Israël. Il rappelle la fidélité de YHWH qui a toujours sauvé son peuple malgré ses infidélités. Il faut relire Ézéchiel 16, cette histoire des relations entre YHWH et son peuple, de son amour pour son peuple infidèle. Le peuple est appelé à se souvenir des bienfaits de YHWH. Le deuxième Isaïe peut proclamer : « Consolez, consolez mon peuple... » (Isaïe 40,1sq). Mais la consolation est hors du Temple et de ce qui l’entoure.
Toute l’histoire d’Israël nous dit la fidélité de Dieu qui nous aime. Cet amour est don gratuit, il ne dépend pas de nos efforts. Dieu ne nous appartient pas, il nous appartient de l’accepter, de l’accueillir. Tout vient du Père, et nous savons qu’il parle au cœur de tous les hommes, ce n’est pas à nous d’en juger. Notre foi est notre affaire à chacun et s’ancre au fond de notre cœur. Elle est don gratuit de Dieu et non résultat de nos efforts. À nous de la recevoir, de l’accepter. Si nous acceptons cette conversion du cœur, nous devenons ce « petit reste », dépositaire de la bonne nouvelle, représenté par le Serviteur d’Isaïe (Isaïe 52,13 – 53,12).
Les voies de Dieu ne sont pas nos voies. Nous ignorons son action, nous ignorons ce qu’il veut pour nous. Notre confiance est fondée sur toute cette histoire de « Dieu avec nous », la grande Histoire et notre histoire personnelle, celle de nos relations avec le Père.
Après cette descente aux enfers,
au fond de nous et de notre histoire,
nous pourrons fêter la Résurrection et repartir de l’avant.
Marc Durand
Samedi Saint 2016