Ce qu’un candidat à l’élection présidentielle de 2017 devrait dire au pays
Voici une esquisse de ce que pourrait être un texte
d’une centaine de pages à rédiger.
Vos remarques et suggestions permettraient d’améliorer le propos.
Ou mieux encore d’engager une rédaction collective.
- de placer tous ses espoirs dans la croissance pour lutter contre le chômage
- et d’admettre que les experts internationaux de l’évolution du climat « apportent des projections qui sont effrayantes, que ce sont des cataclysmes qui se préparent, la biodiversité qui disparaît »
Car c’est l’ensemble du système socio-économique et culturel fondé sur la croissance (telle que nous la mesurons avec le PIB) qu’il faut changer pour lutter contre le changement climatique.
Si les français ne font plus confiance aux hommes politiques, c’est que les partis qui se succèdent à la tête de la nation donnent l’impression de ne plus avoir barre sur les événements. Ils sont incapables de tenir leurs promesses. Il en résulte une grande défiance et un désarroi qui profitent aux démagogues et à la recherche de boucs émissaires. Nos démocraties sont en danger parce que les politiques sont englués dans les débats du passé autour de la répartition de la richesse telle que la calcule le PIB ou autour des questions du niveau de vie monétaire. Aujourd’hui, nos démocraties sont menacées car la course à la richesse économique qui était le mauvais ciment de la dynamique de nos sociétés nous mène à l’impasse pour deux raisons.
L’économie ne s’intéresse qu’aux biens rares et elle compte pour rien les richesses naturelles qu’elle considère comme illimitées. C’est le coût de l’extraction du pétrole ou du charbon que prend en compte l’économiste et pas la valeur du capital naturel des produits fossiles. L’économie dominante ne tient pas compte non plus dans ses calculs de la qualité de l’environnement ou de la biodiversité ou de la qualité du vivre ensemble. Il est grand temps de dénoncer « l’imposture économique »1, car nous avons changé d’ère. Nous sommes entrés dans l’anthropocène ce qui signifie que les activités agricoles et industrielles bouleversent le système terrestre et risquent de le rendre invivable. Prochainement la montée des eaux dans le Pacifique pourrait rayer de la carte des îles entières. Les abeilles sont victimes de certains pesticides. Si elles n’assurent plus la pollinisation c’est un maillon clef de la chaîne alimentaire qui disparaîtrait etc.
L’autre raison est en congruence avec la première. Certains d’entre nous n’ont pas attendu la prise de conscience des dégâts de la croissance sur l’environnement pour dénoncer le non sens pour notre société et notre culture d’une subordination du politique aux logiques économiques et scientifiques. Ils prenaient au sérieux l’apostrophe de G. Bernanos : « Aller plus vite par n’importe quel moyen. Aller vite ? mais aller où ? Comme cela vous importe peu, imbéciles ! »2. Le postulat de l’homo oeconomicus, qui est à la base du raisonnement économique donne à penser que la recherche par chacun de son intérêt personnel est le meilleur moteur de l’enrichissement collectif : vices privées, bénéfices publics selon la formule de Mandeville.
Nous sommes dans une société où « il n’y a plus de débat sur les fondements et les fins de la vie sociale », et où la politique est abaissée à la nécessité de « répondre aux contraintes économiques et techniques ainsi qu’aux demandes des individus »3. Consommer tout et n’importe quoi est une exigence pour que la grande machine poursuive sa course folle.
La pire expression de notre malheur, c’est lorsqu’on fait de la culture un levier de croissance ou lorsque l’on tend à donner à l’éducation la tâche prioritaire de préparer à l’emploi.
Un candidat à l’élection présidentielle de 2017 se doit au contraire de faire un pari, celui de croire possible un sursaut pour échapper au scénario catastrophe qui mènera à la foire d’empoigne généralisée. L’homme devenant alors plus que jamais un loup pour l’homme. C’est « d’espérer qui est difficile » Il s’agit de croire comme de Gaulle que « Les français sont capables de tout, même du meilleur ». Ce candidat à l’élection présidentielle devrait montrer qu’un autre avenir est possible pour échapper au processus mortifère dans lequel nous sommes engagés. Cela suppose d’appeler tous les citoyens à leurs responsabilités, sans leur donner à penser qu’un changement radical d’orientation sera facile. Autrement dit, montrer que chacun peut être partie prenante d’un changement de cap en vue d’un autre système social. Il s’agit de refuser le chômage de masse et l’exclusion avec une organisation de la production qui permette de satisfaire les besoins essentiels de tous, de faire en sorte que nous soyons les jardiniers de notre environnement. Il s’agit de mettre au cœur l’éducation et la culture.
Mais la tâche est immense, car comment rendre possible la transition d’un monde à l’autre ? Comment ne pas jouer les belles âmes au risque d’être écrasés ? Car la guerre économique est une réalité. Impossible d’échapper facilement à l’imbrication de notre économie dans l’économie mondiale. Pour citer encore Bernanos qui écrivait pourtant à une époque où la mondialisation était moins avancée : « Comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus synchronisés ». Impossible de décider tout d’un coup que nous nous retirons de la course et que nous ne voulons plus jouer le jeu.
La difficulté de passer d’un système à un autre est redoutable, elle suscite de manière bien compréhensible des craintes et des luttes. Faute de savoir où l’on va, les conflits se multiplient et les résistances aux changements entraînent des manifestations de toutes les catégories sociales qui descendent dans la rue. Sans doute peut- on considérer qu’il y a aujourd’hui deux types de conflits sociaux : ceux qui se situent dans le prolongement du système socio économique actuel et ceux qui relèvent des essais de passage à un autre système.
Pour les conflits à l’intérieur du système économique actuel et sous prétexte que nous sommes en guerre économique, les patrons représentés par le président actuel du Medef donnent à penser que nous ne pouvons plus maintenir un système d’assurance sociale trop coûteux ou un droit du travail trop protecteur. Mais pour survivre faudra-t-il aligner notre niveau de salaire et de protection sociale sur celui des plus démunis de la planète ? Une telle perspective est une impasse. L’avenir n’est pas non plus de s’arc-bouter sur les acquis, car la certitude qu’il n’y aura pas retour de la croissance suppose de penser autrement la nécessité de donner à chacun des moyens de bien vivre. Pour le dire trop vite, ce sont les débats entre une certaine droite et une certaine gauche autour de la répartition de la richesse économique, qui doivent s’inscrire dans une problématique plus globale, celle de la recherche d’un système post croissance.
Parallèlement aux conflits à l’intérieur du système ancien pour la répartition de la richesse, on voit se multiplier les conflits entre ceux qui dénoncent le système actuel comme une impasse et ceux qui s’y accrochent : conflit au nom de l’écologie entre les opposants à un barrage et les agriculteurs qui considèrent que le barrage leur est nécessaire pour poursuivre leur activité ; conflit entre les opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes et ceux qui prennent en compte les emplois qui pourraient être créés.
Le candidat à l’élection présidentielle devra donc faire approuver certaines orientations essentielles pour un changement du système socio-économique tout en cherchant à rassurer. C’est parce qu’il aura parlé vrai en enterrant les illusions du toujours plus de consommation de n’importe quoi, en donnant le cadre général des changements essentiels à réaliser qu’il aura la légitimité voulue pour surmonter les réticences et les freins, pour garantir que la collectivité aidera ceux qui feront les frais d’un changement du système de production.
- Expliquer pourquoi la croissance telle que nous la mesurons n’est plus possible. Montrer aussi que cette croissance n’est même pas souhaitable puisqu’il est avéré que les indicateurs de bien être se sont dégradés, alors même qu’il y avait croissance5. Promouvoir dans le débat public, de nouveaux indicateurs de richesse en complément du PIB et des statistiques de chômage.
- Poser en termes nouveaux la question de l’emploi. « Cela va créer des emplois » est une justification aujourd’hui déterminante du bien fondé d’un projet. Nos sociétés riches ont réduit considérablement le temps de travail, elles doivent maintenant avoir trois exigences : que les emplois soient socialement utiles au bien vivre ensemble, que chacun ait un revenu suffisant, que chacun soit éduqué au bon usage de ses temps libres6.
- Freiner le réchauffement climatique. A titre d’exemple voilà selon J. Rifkin7 les cinq piliers de ce que pourrait être une troisième révolution industrielle qu’il cherche à vendre aux grands de ce monde :
1) le passage aux énergies renouvelables,
2) la transformation du parc immobilier en ensemble de microcentrales qui collectent des énergies renouvelables,
3) déployer un système de stockage des énergies intermittentes,
4) utiliser Internet comme inter-réseau de partage de l’énergie,
5) Passage des voitures, camions, trains en véhicules électriques branchables ou à pile à combustible.
- La concentration actuelle des richesses est inadmissible. Toutes les études montrent une accentuation dans les pays avancés du fossé entre riches et pauvres depuis plusieurs décennies. Une grande réforme fiscale s’impose. Le succès mondial du livre de T. Piketty manifeste une prise de conscience de la gravité de la situation. Pour remédier aux inégalités colossales des patrimoines, T. Piketty est favorable à un impôt annuel sur le capital, alors que P. Madinier plaide pour un impôt sur les successions8. Cet impôt pourrait prévoir des abattements importants à la base et des taux s’élevant progressivement jusqu’à des taux très élevés pour les grandes fortunes.
- Proposer une vision neuve de la protection sociale, compte tenu des évolutions de l‘économie et de la société depuis un demi siècle. Proposer un système plus cohérent et plus efficace pour les plus vulnérables et pour ceux qui auront à souffrir des mutations vers un nouveau système socio-économique.
- Libérer l’économie de la financiarisation. Les réformes récentes ne permettent pas « de remettre banques, monnaie, finances et marché à leur juste place »9.
- Libérer la presse et les systèmes d’information des pouvoirs de l’argent, de la trop grande dépendance à l’égard de la publicité.
- Combattre plus sérieusement les lobbies qui parfois désinforment et freinent des changements salutaires (les grands industriels du tabac, de l’agro-alimentaire, de la chimie notamment) en insistant davantage sur la prévention. Des experts considèrent que les systèmes de santé qui n’auront pas su prévenir l’obésité sont voués à la faillite. D’autres pensent que bien des maladies, dont les maladies neuro-dégénératives, sont en grande partie les conséquences de notre environnement.
- Last but not least : repenser notre conception de la laïcité. Voici ce qu’écrivait P. Ricoeur à ce propos10 : « On ne peut se contenter de faire abstraction des convictions. Il y a… à construire, à côté de la laïcité d’abstention de l’État, une laïcité de confrontation, de débat, qui est celle de la société civile… L’école est un bon exemple des travers propres à la laïcité à la française, elle en fait les frais dans la mesure où l’on considère que son rôle est de projeter sur la société civile la conception de la laïcité que nous avons attribuée à l’État. L’école est un foyer de totale neutralisation des convictions. On ne doit pas s’étonner de trouver comme résultat une société sans conviction, sans dynamisme propre qui va tout demander à l’État. Ne serait-ce que pour alimenter le débat public sur les grands choix de société ».
Un pouvoir fort de sa légitimité, parce qu’il aura fait approuver quelques orientations essentielles, devra organiser la concertation pour construire la transition vers la postcroissance, vers la subordination de l’économie à un projet de société.
Après la libération, le Commissariat Général du Plan a permis aux représentants de l’État, au patronat, aux syndicats, à divers experts de se rencontrer, de confronter leurs vues pour reconstruire le pays. Reconstruire c’était pour l’essentiel revenir à des situations antérieures connues. Il sera plus compliqué d’inventer un système économique post-croissance pour lequel on a peu de repères.
Pour penser autrement l’avenir, il faut élargir le recrutement des élites. Aujourd’hui, les élites françaises sont construites dans l’entre-soi des grandes écoles. En sus des représentants du patronat, des syndicats, des experts, il sera essentiel de faire appel au monde associatif, « à une frange de la société - invisible médiatiquement - qui tient à bout de bras des pans entiers de la société française, dans les quartiers délaissés ou dans les zones rurales »11. Faire appel aussi à tous ceux dont les multiples initiatives montrent la voie d’un autre monde possible.
Les politiques sont dans le court terme sous la contrainte des échéances électorales, et ils compartimentent les problèmes à l’image des cloisonnements administratifs. Il faudrait dégager une vision prospective de long terme, tenant compte des multiples interactions.
Les échanges de point de vue organisés dans la durée, à l’intérieur des groupes de travail d’un commissariat à la transition rendraient plus difficiles les arguments simplistes encouragés par la médiatisation. Cela permettrait d’échapper à des oppositions simplistes qui brouillent les échanges. Par exemple, selon D. Salas, la récente réforme pénale a su échapper à l’opposition simpliste entre les soit disant partisans du laxisme et les forcenés du sécuritaire12.
Ces échanges dans la durée à l’intérieur de groupes de travail seraient le meilleur moyen de faire évoluer les façons de voir grâce à la reconnaissance de la légitimité partielle des divers points de vue. Ceux qui sont obnubilés par la guerre économique ou la recherche de la compétitivité ont raison d’un certain point de vue, ceux qui en font une critique virulente ont raison d’un autre point de vue. Comment « faire la part des choses » ? Comment surmonter la contradiction qui consiste à reconnaître que nous sommes en guerre économique mais qu’en rester là est absurde. Comment faire comprendre aux guerriers qu’une guerre doit aboutir à la paix ? Comment faire comprendre aux partisans de la décroissance que l’addiction à la croissance est fondée pour tout un chacun sur la nécessité de survivre ? Comment chercher ensemble à sortir progressivement des contradictions ?
Quelle serait la liste optimale des commissions à réunir dans la durée à l’intérieur d’un commissariat pour la transition vers la post-croissance ? On peut penser que les différentes orientations dont il a été question supra et qui auraient été approuvées par l’électorat pourraient donner lieu à création d’une commission. D’autres thèmes seraient possibles, par exemple la nécessité de mettre en question l’agriculture industrielle, au nom de la lutte contre la faim dans le monde. Olivier de Schutter après six ans au poste de rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation déclarait : « le modèle agro-industriel mondial est dépassé »13.
Quelles seraient les échéances pertinentes pour faire la synthèse des travaux et fixer un nouveau cap ?
Agir à divers niveaux
Que chacun puisse situer son action dans un ensemble cohérent de projets de changement.
- Le niveau national est évidemment à privilégier puisqu’il s’agit délections présidentielles, mais plus fondamentalement c’est a à ce niveau que l’on peut espérer voir se constituer une « volonté générale » en faveur d’un changement d’ère.
- Une transformation personnelle est à la base d’une transformation du monde nous dit P. Rabhi14 : « Une sobriété volontaire et heureuse est une gageure en même temps éthique, politique, écologique et stratégique. »
- Des réalisations exemplaires dans une multitude de domaines sont prophétiques pour annoncer qu’un autre monde est possible. Qu’il s’agisse d’économie fonctionnelle, d’économie circulaire, d’économie solidaire, de l’encouragement au « faire soi-même », des réalisations autour du care dans la perspective d’un renouveau de l’État-Providence etc. etc. La notion de « démarchandisation » est sans doute centrale. Selon B.Perret : « l'idée de démarchandisation s’impose logiquement comme élément de réponse à la triple crise économique, sociale et environnementale et comme clef de voûte d'une autre cohérence socio-économique – sans se cacher l’ampleur des questions politiques que cela pose, tant il est vrai que l’économie de marché a partie liée avec la liberté ».
- Au niveau des territoires où les innovations originales de proximité et de solidarité sont plus faciles, concernant l’habitat, les transports, l’agriculture urbaine, la démocratie locale, les circuits courts.
- Au niveau européen pour constituer non seulement une zone de paix entre nations, mais pour résister contre les dérives d’une certaine mondialisation mieux que ne peut le faire une nation isolée : la puissance des multinationales, la financiarisation des économies. Une politique étrangère et militaire européenne permettrait de mieux défendre notre conception de la démocratie. La France à elle seule ne peut jouer ce rôle. Le souci du long terme ne doit pas empêcher de critiquer la politique myope d’A. Merkel soucieuse de caresser dans le sens du poil l’opinion publique allemande (la crainte de l’inflation et la fierté de l’équilibre budgétaire) alors que l’Europe a besoin de lutter contre la déflation…
- Au niveau mondial, plaider pour un meilleur contrôle de la financiarisation des économies, pour une politique de lutte contre le réchauffement climatique, pour favoriser l’agriculture paysanne etc.
Guy Roustang
1 Titre du livre de Steve Keen, paru aux éd. de l’Atelier, 2014, avec une préface de Gaël Giraud, lui-même auteur d’Illusion financière chez le même éditeur en 2012.
2 La France contre les robots, écrit en 1944, (p.137).
3 P. Thibaud, in Mémoires en crises, édition Parole et Silence, 2013, pp 47 à 94.
4 O. Rey : Une question de taille. Stock 2014.
5 J. Gadrey, Adieu à la croissance. Les petits matins/Alternatives économiques 2010.
6 R. Camus, Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi. P.O.L.1994.
7 J. Rifkin, La troisième révolution industrielle. Babel Essais, 2013.
8 P. Madinier, Une économie de services sans servilité. L’Harmattan. 2013, p.113.
9 Collectif Roosevelt, Stop à la dérive des banques et de la finance. Les éditions de l’Atelier. 2014.
10 P. Ricœur in Esprit, janvier 1991.
11 C. Peugny, sociologue, dans Le Monde des 7 et 8 déc. 2014.
12 D. Salas in Esprit juillet 2014 : « Cette réforme pénale a su patiemment forger une majorité d’idées avec les professionnels concernés et les hommes politiques de bonne volonté ».
13 Voir Le Monde du 30 avril, 2014.
14 P. Rabhi : Manifeste pour la terre et l’humanisme. Babel Essais 2011. Voir également J.B. de Foucauld. L’abondance frugale. Pour une nouvelle solidarité ; Odile Jacob 2010.