L’Oubli du Pape : la femme et le féminin de l’Être...
J’ai tant attendu, tant espéré en suite à l’article proposé par G&S il y a quelques jours de cela (Du vitriol de François pour la Curie romaine, publié le 23 Décembre 2014) que quelqu’un se manifeste, en parle...
Un homme peut-être me disais-je dans le secret de mon cœur… Mais aucun mouvement sur le blog, même pas le doux murmure d’une brise légère… Et pourtant… Il est vrai que je suis un peu timide, surtout quand il faut parler de ces sujets là... Mais ce soir c’est trop fort, je ressens une voix qui me dit « ose Caroline, ose parler de ce qui blesse ton cœur et qui blesse le cœur de nombreuses femmes depuis tant d’années ».
Quel oubli de la part de notre pape ! Oui les amis, il y a une autre maladie gravissime dont souffre la Curie romaine… : l’oubli des femmes… Le non accueil de la femme et du féminin de l’Être.
Certes, doucement les femmes prennent de plus en plus conscience qu’elles ont la possibilité et la responsabilité de repenser les textes afin de les enrichir d’une interprétation féminine. Et cela peut être une grande chance et une force supplémentaire pour les religions, notamment dans leur travail et leur engagement pour la paix.
Toutes les religions sont imprégnées et dominées par un regard masculin ; pourquoi les femmes de toutes religions ne pourraient-elles pas s’engager dans de nouvelles voies d’interprétation et d’expression ? Je me ressens fatiguée de ce regard un peu borgne, de cette façon un peu bancale et boiteuse d’appréhender le Réel…
Il n’y a que des hommes au Vatican, pouvons-nous savoir pourquoi ? Il n’y a que des hommes prêtres et célébrants dans l’Eglise Romaine, pouvons-nous savoir pourquoi ? Si le masculin reste dans un monologue de l’égo c’est toute une fermeture au Réel. Peut-être pouvons-nous avoir l‘humilité de le reconnaître et ouvrir large et grand nos bras, nos cœurs, nos psychismes, nos esprits vers le féminin…
J’ai relu les jours derniers deux auteurs qui parlent très bien de cette difficulté et qui pourraient ainsi inspirer nos réflexions des jours à venir…
Voici en partage quelques extraits…
« À l’époque de Yeshoua, les rabbins ne s’adressaient qu’ à des hommes, il n’y avait pas de transmission de la Thorah à des femmes, et c’est donc là un sujet d’étonnement pour ses propres disciples. Yeshoua s’adresse avant tout à des personnes quels que soient leur sexe, leur milieu social, leur origine, leur race… mais ce n‘est pas par provocation qu’il s’adresse plus particulièrement à des femmes pour transmettre les aspects les plus importants de son enseignement ; sans doute est-ce le féminin (chez les deux sexes) qui est le plus apte à recevoir et à comprendre les messages du Verbe (Logos) et à se laisser féconder par lui. Yeshoua révèle à la femme adultère que c’est la miséricorde qui est au cœur de la justice et que le Dieu qu’il incarne est cette miséricorde… Ensuite il y a la rencontre de la femme de Samarie à qui Yeshoua révèle que la vraie religion ne dépend pas d’un lieu saint ou d’un temple. Quand Yeshoua veut indiquer à quelqu’un le chemin vers l’expérience de Dieu, il ne le conduit pas dans une église, il ne lui fait pas lire un texte considéré comme sacré, il l’invite à entrer dans la conscience de son Souffle, à prier : en pneumati kai aletheia : dans le souffle (pneuma) et la vigilance (a-lethè : hors de la léthargie)…
Enfin vient la révélation de « l’Amour plus fort que la mort »… De nouveau, c’est à une femme que sont transmis ce secret et cette certitude : à Myriam de Magdala, la première à l’avoir vu ressuscité. L’Évangile de Marie précisera par ailleurs comment la vision d’un corps ressuscité peut être possible.
Trois femmes archétypes qui symbolisent trois lieux d’accueil de la transcendance dans l’être humain :
- transcendance de la miséricorde au cœur de la justice ;
- transcendance de la prière dans le Souffle et la vigilance, par rapport à toutes les formes de cultes ou de religions institués ;
- transcendance de l’Amour, la seule puissance qui intègre et n’est pas arrêtée par la mort.
Le Logos se révèle à cette dimension silencieuse et contemplative de l’être humain, il s’adresse au féminin de l’homme comme à celui de la femme.
Le contact avec la dimension spirituelle de l’être passe à travers la réconciliation avec notre féminin.
Chacun, lorsqu’il descend dans les profondeurs féminines de son être, peut avoir ce triple pressentiment évoqué dans les évangiles :
- pressentiment de la miséricorde,
- pressentiment de la liberté que donne la véritable prière à l’égard de toutes les formes instituées,
- pressentiment que c’est l’Amour plutôt que la mort qui aura le denier mot.
C’est dans ce triple pressentiment que le Logos se fait chair, qu’il s’incarne dans ce qu’on pourrait appeler des « matrices de reconnaissance ». En intériorisant certains textes des évangiles on pourrait également comprendre que lorsque le Christ demande à Myriam de Magdala d’aller annoncer la bonne nouvelle de la Résurrection à ses frères, c’est à l’intuition de s’adresser à la raison…
Les conflits entre Pierre et Marie sont l’écho extérieur que chacun peut vivre à l’intérieur de lui-même, entre ses côtés féminin et masculin, entre ce pressentiment intuitif d’une réalité qui déborde de ce que l’analyse peut saisir et contenir de ce même Réel. Il y a des vérités qui ne peuvent être saisies que par le silence et par la dépossession de toute volonté de prendre et de comprendre. « Il ne faut pas séparer ce que Dieu a uni » : l’homme et la femme, la raison et l’intuition, l’Orient et l’occident et leurs différentes façons d’appréhender l’unique réel.
Le but de l’enseignement de Yeshoua, c’est l’Anthropos, l’intégration des polarités… L’archétype de Marie-Madeleine nous conduit vers l’Anthropos, qui est intégration des qualités masculines et féminines, non leur opposition ou leur destruction.
Marie-Madeleine nous montre une femme qui intègre sa dimension masculine en devenant capable de parole et d’argumentation (face à Pierre par exemple), sans perdre ses qualités féminines, ses qualités esthétiques (les cheveux, le corps), émotionnelles (les larmes) et intuitives ou noétiques (les visions).
Homme ou femme nous avons à devenir des êtres humains, des Anthropos, c’est à cela que nous invitent les Evangiles, à faire le deux un, à fonctionner avec les deux hémisphères de notre cerveau, sans que la perspective de l’un l’emporte sur l’autre.
La guerre des sexes commence dans notre cerveau, et peut être que toutes les autres guerres en découlent. Sortir de nos fonctionnements prédateurs ou séducteurs implique une révolution qui ne soit pas uniquement sexuelle mais cérébrale : ce que les Évangiles appellent une métanoïa, passage à une intelligence du réel non duelle, c'est-à-dire à un fonctionnement du cerveau non binaire (Les profondeurs oubliées du christianisme par Jean Yves Leloup, extraits du chapitre 3).
Je voudrais encore citer une autre auteure : « Pour moi, le sacerdoce propre à la Femme est intimement lié au Cœur, qui lui inspire une parole visionnaire. Certes, on s’est moqué de la Pythie, inspirée par Apollon et mâchant du laurier, on a douté des Sibylles à l’allure libre et au regard lointain, on a insulté Cassandre à la lucidité dérangeante ; certes, au cours des siècles, toutes les femmes qui délivraient une parole divinatoire ou inspirée, qui étaient gratifiées de visions ou d’extases, furent considérées comme des magiciennes, des sorcières maléfiques, puis des malades mentales : elles étaient juste bonnes à être brûlées, exorcisées, ou enfermées dans un asile. Dure, éprouvante, s’avère la mission prophétique de la Femme dans le monde méfiant, rivé aux réalités tangibles, et face à des hommes garants de la Loi et imbus de Savoir. C’est pourquoi la plupart des femmes y renoncent, préférant se taire et rester dans le rang, dans la foule des croyants anonymes et gentilles servantes du Seigneur.
Mais voici le nouveau, l’inouï : la Femme est prophétesse non de malheur, mais d’amour. Le Cœur qui désigne son sacerdoce n’a rien à voir avec l’affectivité ou la sentimentalité auxquelles on réduit trop souvent la nature féminine : il est le lieu des révélations intérieures, de la connaissance spirituelle inséparable de l’amour, il communique avec le monde invisible. Le Cœur n’est pas gentil ni mièvre : il est puissant, ardent, visionnaire.
Et c’est alors que je m’afflige, parce que tant de femmes, qui sentent en elles la puissance débordante de l’amour, se contentent dans l’ Eglise de rôles subalternes, de prières murmurées, d’un silence d’acquiescement ou de résignation ; parce qu’elles se croient indignes, incapables de parler, de témoigner du Souffle.
D’un autre côté, si je considère l’attitude séculaire, volontiers arrogante, du clergé catholique qui suspecte ou étouffe toute parole féminine inspirée, amoureuse soit en raison d’une théologie influencée par l’intellectualisme aristotélicien, soit par misogynie héritée de divers Pères de l’Eglise et d’abord de l’apôtre Paul, je me dis qu’une femme n’a à présent d’autre choix que de servir en se taisant ou d’abandonner les lieux de la pratique d’une telle religion…
Le cérébralisme est rassurant mais desséchant. Il empêche l’élan, la ferveur, glace toute imagination et l’approche symbolique. Il ordonne et maîtrise, redoutant tout bouleversement… Il se méfie du corps et de l’amour, en ses gestes et langage, lui paraît inquiétant et impie. Voilà pourquoi Simon le pharisien injurie et chasse l’Amoureuse au vase de parfum dont l’attitude, dans son univers confiné, lui semble si peu convenable, si troublante aussi. Or, la mission dévolue à la femme est de déborder la loi, la lettre, les conventions, par un flot d’amour ; ou encore de les irriguer par le flux de l’Esprit. Le grand adversaire des hommes confits en religion, tel Simon, n’est autre que le corps soyeux des femmes. Mais Jésus reçoit l’hommage de l’Amoureuse et devant l’assistance éberluée, prend sa défense.
Aujourd’hui, la mission de la Femme dans l’Église de Rome consiste, je ne crains pas de le dire, à sauver la religion du formalisme, de l’intellectualisme et des structures dans lesquels elle s’enferme et par lesquels elle croit régner sur les esprits. Elle consiste à faire entendre le chant du Cœur, tel le formidable bruissement d’ailes des quatre Vivants qu’entendit Ézéchiel, à vivifier de l’intérieur un message qui paraît essoufflé, usé par un clergé qui le répète sans le vivre. Elle a à sauver de l’extériorité une doctrine autant qu’une pratique, qui deviennent lettre morte et conduite hypocrite si le désir et la saveur font défaut, si l’amour est absent. Autant dire que la femme a à transmettre l’intransmissible, à témoigner de l’inouï. Rude tâche face à des cerveaux prudents, à des regards moqueurs. Marie de Magdala, la première, en fit la douloureuse expérience au matin de la Pâque, lorsqu’elle revint annoncer l’incroyable nouvelle aux apôtres prostrés. Relisons l’Evangile selon saint Marc, qui rapporte cette scène capitale : Ressuscité le matin, le premier jour de la semaine, Jésus apparut d’abord à Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons. Celle-ci alla le rapporter à ceux qui avaient été leurs compagnons et qui étaient dans le deuil et les larmes. Eux, l’entendant dire qu’il vivait et qu’elle l’avait vu, ne la crurent pas (Marc 16, 9). Rarement les femmes sont prises au sérieux, surtout lorsqu’il s’agit de choses sérieuses… (Lettre d’une Amoureuse à l’adresse du Pape, de Jacqueline Kelen p 19 à 24, extraits)
Plus que des réflexions ou de la littérature il y a peut-être dans les extraits de ces deux livres écrits l’un par une femme, l’autre par un homme, une très ancienne mémoire ou une urgente prophétie ; l’esquisse d’un autre christianisme ou d’une autre humanité…
Un avenir… En devenir ?
Caroline de Candia
Trois Épis
L’illustration est un tableau de Charles Courtney Curran : Les lanternes… J’aime cette femme encore dans l’ombre, pas tout à fait dans le jour, qui tient sa lampe allumée…