Pour un renouveau de la parole politique
Dans sa déclaration de politique générale prononcée le 8 avril devant les députés dont il sollicitait la confiance, le nouveau Premier Ministre Manuel Valls soulignait que, pour les Français, « la parole publique est devenue une langue morte ».
La crise économique et sociale suscite en abondance des discours d’experts qui tentent de trouver une rationalité dans cette perte du « crédit », ressort indispensable à l’activité économique. Ce serait une erreur de penser qu’il s’agit là d’une question réservée à des économistes et des financiers. En effet, la crise du « crédit » dépasse la question de l’accès aux prêts bancaires. Elle signifie la méfiance généralisée et la peur de l’avenir qui s’installent dans une société.
Pour comprendre cette situation, écrivains et poètes qui scrutent les ressorts de l’âme humaine peuvent aussi nous éclairer, car la compréhension de nos comportements économiques renvoie à l’analyse de nos pulsions profondes.
Parmi ceux-ci, Charles Juliet, dont les ouvrages semblent si éloignés des Unes des journaux, me paraît particulièrement éclairant : « Être écrivain, écrit-il, c’est vivre le plus possible dans le silence et demeurer à l’écoute de ces mots chuchotés qu’il importe de capter et de coucher par écrit » 1. Il dénonce le verbiage médiatique envahissant : « Il est parfois effarant de voir à quel point des personnes qui ont pourtant accès aux livres, à la culture, à une certaine réflexion, vivent dans l’ignorance de ce qui les meut. Mais dans notre société matérialiste, déshumanisée et déshumanisante rien n‘est conçu pour nous inviter à travailler en nous-mêmes. (…) Il est des êtres surchargés de savoir, mais en qui vécu et pensée ne communiquent pas. C’est à eux que pourrait s’appliquer cette formule : ils savent tout mais ils n’ont rien compris » 2
Le vivre-ensemble ne résulte pas de l’addition d’expertises mais d’abord d’un travail sur soi que l’écrivain Charles Juliet définit ainsi : « S’affranchir de tout ce qui enferme, sépare, asservit. Faire rendre gorge jour après jour à cet être dur et mauvais qui réside en chacun. Cet être sans bonté qui naît de notre égocentrisme, et plus encore sans doute de la peur, de nos peurs, lesquelles nourrissent cet aveugle besoin de sécurité, de puissance, de domination, d’où résultent tant de ravages » 3.
Au mois de mai prochain vont se dérouler les élections européennes. C’est l’occasion, comme l’écrit Gaël Giraud, jésuite et spécialiste de l’actualité économique et financière « de reprendre notre cheminement politique vers d’autres figures du lien social, construites à travers le débat démocratique et non sur le rapport de force muet des transactions financières. Je crois que c’est très précisément le sens spirituel de la construction d’une Europe commune. (…) Comme le dit déjà le Livre des Proverbes, les idoles ne parlent pas. L’enjeu est donc aujourd’hui que les Européens réapprennent à se parler entre eux. Et, en premier lieu, que les élites politiques et économiques consentent de nouveau à parler aux peuples européens » 4.
Bernard Ginisty
1 – Charles Juliet : Ce long périple. Éditions Bayard 2001, pages 45-46.
2 – Id. Pages 47-49.
3 – Charles Juliet : Trouver la source. Éditions Paroles d’Aube, 1992, pages 45-46.
4 – Gaël Giraud : Illusion financière, Éditions de l’Atelier, 2013, page 167.