Le figuier desséché
Pourquoi publier cet article le jour des Rameaux ? Voilà la question que vous devez vous poser, amis lecteurs ! Mais j’espère que vous ne vous la poserez plus dans quelques minutes…
Cet épisode ne se trouve qu’en Matthieu 21,18-22 et en Marc 11,12-14.20-24. Il est d’un seul tenant en Matthieu mais de part et d’autre de l’épisode des Vendeurs du Temple en Marc (la malédiction du figuier avant, la constatation de son dessèchement et un enseignement sur l’efficacité de la prière après).
Le figuier – arbre important dans les Écritures juives – est en général symbole de fécondité. Son nom hébreu, te’énah, signifie aussi bien figuier que désir, rut. J’en parle abondamment dans un de mes livres 1
Cette connotation de fécondité en a fait pour les juifs le symbole de la Parole – féconde ! – de Dieu : la Torah… nom qui ne signifie pas Loi, mais enseignement (verbe yiarah, enseigner) de Dieu… une notion malheureusement complètement perdue dans la traduction française… et les textes juifs actuels.
Suivant la tradition juive, chaque fois qu’on approche de la Torah – et donc du figuier – on doit y trouver des fruits.
La symbolique de la Torah et le contexte de l’épisode – qui se passe lui aussi au Temple – font de ce texte une allusion évidente à l’enseignement juif qui – selon Jésus – ne porterait pas de fruits (Cf. Jérémie 8,13 : Je vais les supprimer (les judéens) – oracle du Seigneur – plus de raisins à la vigne, plus de figues au figuier, même le feuillage se flétrit : je leur ai fourni des gens qui les piétinent !)
Il s’agit bien d’un épisode totalement complémentaire – jumeau – de celui des vendeurs du Temple : Jésus part en guerre physiquement contre l’activité des marchands du Temple qui le corrompent par leurs activités (cf. l’article Jésus violent ou non-violent ? ) et symboliquement – à travers le figuier – contre les enseignements des prêtres du Temple et des docteurs de la Loi.
On est en présence d’un double développement sur la lutte de Jésus contre la profanation du Temple par des impies 2 qui corrompent le peuple en voulant l’enseigner.
La complémentarité de ces épisodes est pleinement attestée si on se réfère au texte suivant : Ce fut le jour même où le Temple avait été profané par les étrangers que tomba le jour de la purification du Temple, c'est-à-dire le vingt-cinq du même mois qui est Kisleu. Ils célébrèrent avec allégresse huit jours de fête à la manière des Tentes, se souvenant comment naguère, aux jours de la fête des Tentes, ils gîtaient dans les montagnes et dans les grottes à la façon des bêtes sauvages. C'est pourquoi, portant des thyrses, de beaux rameaux et des palmes, ils firent monter des hymnes vers Celui qui avait mené à bien la purification de son lieu saint. Ils décrétèrent par un édit public confirmé par un vote que toute la nation des Juifs solenniserait chaque année ces jours-là (2Maccabées 10,5-8).
Il y est question d’une fête, qui ressemble par le rite des rameaux et des palmes à celle des Tentes, pour la purification du Temple profané.
Ce texte du second Livre des Maccabées 3 raconte un événement qui s’est passé au deuxième siècle avant Jésus-Christ, au cours de la lutte des résistants juifs contre le souverain séleucide Antiochus Épiphane – qui profanait le Temple et persécutait les juifs – pour obtenir la liberté de leur culte. Judas Maccabée remporta une série de victoires, purifia le Temple et obtint la liberté religieuse pour son peuple.
La fête de la purification dont il est question est la fête de Hannoukah, qui commémore la purification du Temple – en décembre 164 – par Juda Maccabée 4.
Elle est célébrée le 25 du mois de qisleu, qui correspond au 15 décembre, loin de la saison des figues ; il était donc normal que Jésus n’en trouvât aucune sur le pauvre figuier… comme le fait remarquer un des évangélistes : car ce n’était pas la saison des figues (Marc 11,13) !
Il y a donc un intervalle d’environ deux à trois mois entre l’entrée de Jésus à Jérusalem (fête des Tentes) et les épisodes relatifs à la souillure et à la purification du Temple (fête de Hannoukah)… ce qui confirme qu’environ six mois s’écoulent entre l’entrée à Jérusalem et la Passion.
Malheureusement, cette période a été ramenée à une semaine par la liturgie chrétienne : la semaine qui sépare la fête des Rameaux de Pâques.
Comme je l’ai déjà fait remarquer dans mon article Les tentes des Rameaux, ce raccourcissement important de la période où Jésus vécut à Jérusalem avant sa Passion – inventé par les autorités de l’Église – a malheureusement eu pour conséquence un jugement contre les juifs de la part de bien des prêtres et autres prédicateurs : « vous rendez-vous compte de l’ignominie des juifs qui ont acclamé Jésus le jour des Rameaux et ont exigé sa mort cinq jours plus tard, le Vendredi saint ?! »
Dommage ! Vraiment dommage !
René Guyon
1 – Que cachait donc la feuille de figuier ? que j'ai édité à compte d’auteur en 2001. Pour vous le procurer contactez blogmestre-gs@yahoo.fr
2 – Les hypocritaï des joutes verbales avec les Pharisiens, mot traduisant le c hanaph hébreu qui ne signifie sans doute pas hypocrite mais impie, ce qui est sévère mais ne met pas en cause l’honnêteté intellectuelle des adversaires.
3 – Il y a deux Livres des Maccabées, appelés aussi Livres des martyrs d’Israël. On ne connaît d’eux que le texte grec ; ils ne font pas partie de la Bible hébraïque, bien que les événements qui y sont racontés fassent partie intégrante de la tradition juive.
4 – Appelée aussi fête de la Dédicace (cf. Jn 10,22 : il y eut alors la fête de la Dédicace à Jérusalem ; c’était l’hiver). En hébreu, son nom est c hanoukah, inauguration, car il s’agit bien la fête du renouvellement, de la re-naissance du Temple.
Dans le Temple il y avait depuis toujours un chandelier à sept branches – signe de la Présence de Dieu – qui ne devait jamais être éteint. Au moment de la renaissance du Temple, on s’apprêta à rallumer le chandelier ; la tradition raconte qu’on trouva un flacon contenant de l'huile pour un jour seulement. On s’en servit quand même pour allumer le chandelier… et l’huile brûla pendant huit jours.
C'est pourquoi on utilise pour Hannoukah un chandelier à neuf branches (huit pour le symbole et une pour allumer les autres !) – le Hanoukiyah – et la fête est aussi appelée fête des lumières, c hag ha’ourim.