La responsabilité pastorale accordée à des laïcs
Depuis deux ans, le diocèse d’Amiens expérimente le partage des responsabilités entre prêtre et laïcs dans la paroisse de Saint-Antoine du Bocage
Bénédicte Thobois, 65 ans, le reconnaît : elle n’a pas dit « oui » spontanément. Mais, parce que la demande du P. André Damay était « dans la continuité » de ses engagements passés et parce que son nom était apparu dans la consultation organisée un dimanche pendant la messe, elle a accepté.
Comme toutes les paroisses du diocèse d’Amiens, celle de Saint-Antoine du Bocage (Somme) expérimente depuis deux ans les « équipes de conduite pastorale », ECP. La nouveauté ? Alors que jusque là le curé choisissait les quelques laïcs (essentiellement des femmes) qui allaient lui prêter main-forte, désormais « l’assemblée paroissiale » est consultée : un dimanche, en guise d’homélie, chaque fidèle est prié de remplir un petit bulletin et de proposer des noms de laïcs pour chacune des cinq fonctions de l’ECP.
Seuls le curé et le vicaire général procèdent au dépouillement – les résultats ne sont pas publiés, pour laisser les candidats pressentis libres de leur réponse – et appellent les membres de l’équipe.
Il n’empêche : pour Bénédicte, responsable de « l’annoncer », Béatrice Marcel, 32 ans, chargée du « servir », Marie-Jo Debarge, 63 ans, du « célébrer », Bernard Ludger, 63 ans, responsable de la vie matérielle et économique de la paroisse, et pour leur bouillonnant coordinateur, Gérard Vandermolen, le changement n’est pas mince. Désormais, tous les cinq partagent avec leur curé la charge pastorale de la paroisse : un regroupement de 25 villages comptant près de 17 000 habitants.
« Avant, j’étais déjà connu. Désormais, je suis reconnu »
Le manque de prêtres, bien sûr, a été décisif dans la mise en œuvre de cette réforme. Le P. Noël Kiken, qui arrive tout juste, a également la charge de sa voisine, Notre-Dame du Gard, et réside dans sa communauté de lazaristes à Amiens…
Chacun apprend donc à fonctionner avec ce nouveau système. Tellement nouveau que l’« organigramme » est seulement en cours de rédaction : la célébration des funérailles relève-t elle du « célébrer » ou du « servir » ? Et la catéchèse, de « l’annoncer » ou du « célébrer » ?
Les anciens réflexes n’ont d’ailleurs pas tous disparu. Quand Bernard évoque son engagement de laïc « derrière nos prêtres », ses voisins et voisines se récrient : « Derrière ? » Non, « avec » nos prêtres !
Comme quoi le changement n’a rien d’évident. Côté positif, il y a cette reconnaissance permise par le nouveau mode de désignation. « Avant, j’étais déjà connu. Désormais, je suis reconnu », avance Bernard Ludger. Alors que les responsabilités étaient très « mélangées » au sein de l’ancienne équipe d’animation pastorale dont elle faisait partie, Bénédicte apprécie aussi le fait « d’avoir une casquette » et se sent plus responsable.
Temps forts intergénérationnels sur le pardon
Côté négatif, il y a cette « lourdeur » de la tâche et parfois cette impression de la « porter tout seul » quand il est si difficile de mobiliser les bonnes volontés au-delà du coup de main ponctuel. D’autant que leur évêque, Mgr Jean-Luc Bouilleret, a été très clair : les ECP ne sont pas là pour gérer l’existant, mais pour permettre aux paroisses de redevenir « missionnaires ».
Quelles que soient leurs responsabilités, tous disent donc avoir accepté leur tâche à la condition du travail en équipe. Une équipe dans laquelle, visiblement, règnent une joyeuse ambiance et une radicale inventivité.
Pour recréer de la proximité dans une paroisse de 25 kilomètres de diamètre, le mardi et le vendredi la messe est désormais célébrée à domicile, chez les paroissiens qui le souhaitent, et non plus au presbytère. Déjà 50 personnes se sont portées candidates, assure Gérard Vandermolen, qui a trouvé sa technique : « Si vous demandez aux gens de s’inscrire sur une feuille, rien ne se passe. Mais si vous allez les voir directement, ils ne disent jamais non. »
Le mois dernier, 32 malades sont venus recevoir l’onction qui leur était proposée lors d’une cérémonie célébrée dans un gymnase. D’autres idées sont encore en chantier : des temps forts intergénérationnels sur le pardon ou comment vivre Noël en chrétien, organisés juste avant la messe, des distributions de feuilles paroissiales dans les boîtes aux lettres…
Une invitation à "se recentrer"
Mais le bouleversement est tout aussi – voire encore plus – radical pour les prêtres, contraints de repenser totalement leur ministère. Ordonné en 1974 et alors curé d’une paroisse de 600 habitants dans laquelle « il faisait de tout », le P. Kiken reconnaît qu’il lui « faut faire preuve d’imagination ».
Mais pour lui qui a « tellement ramé pour faire prendre conscience aux laïcs qu’ils devaient reprendre la place qu’ils auraient toujours dû avoir », travailler avec eux est « une évidence ». Il le voit comme une invitation à « se recentrer, par exemple en allant davantage vers les malades, les personnes en difficulté ». S’ils disent n’avoir pas eu trop de difficultés à se couler dans cette coresponsabilité, pour y avoir été préparés par les curés précédents, les laïcs de l’ECP leur reconnaissent toujours une place à part.
« Vous avez été appelés : vous devez nous dire si on est de Jésus-Christ. C’est cela qu’on attend de vous », résume le coordinateur. Un seul regret ? Le manque de temps de pause spirituelle pour des laïcs absorbés par leur tâche.
« Nos prêtres doivent être déchargés de tout le matériel pour vraiment se consacrer à leur mission. Les paroissiens bénéficient de cette paix-là. Mais nous, on ne l’a pas, il faut qu’on la retrouve ailleurs », reconnaît Gérard, qui envisage de demander à l’évêque des récollections sur le modèle de celles organisées pour les prêtres.
Anne-Bénédicte HOFFNER
sur lacroix.com