Benoît XVI admet "dans certains" cas l’usage du préservatif
Dans un livre sur le point de paraître, un pape parle pour la première fois de cas "justifiés" d'utilisation du préservatif. Un changement de communication qui ne modifie pas la doctrine mais qu'attendait depuis des années de nombreux catholiques.
Il s’agit de deux lignes, tirées d’un livre d’entretiens sur de nombreux sujets d’actualité. Deux petites lignes qui marquent pourtant un tournant dans la politique du Vatican à l’égard de la lutte contre le sida. Dans un livre à paraître mardi en Italie, le pape Benoît XVI admet que l’utilisation du préservatif peut se justifier « dans certains cas », quand il s’agit d’empêcher la transmission du VIH.
Intitulé "Lumière du monde", l’ouvrage dont la parution est prévue le 3 décembre en France a été réalisé durant l’été 2010 avec le journaliste allemand Peter Seewald. Alors que ce dernier lui demande s’il ne s’agit pas d’une « folie » que d’interdire l’utilisation du préservatif, le pape répond que son usage « peut se justifier dans certains cas ». Il cite alors l’exemple d’« un prostitué » qui « utilise un préservatif ». (extrait intégral ci-dessous)
Pour Benoît XVI, cela peut être « le premier pas vers une moralisation, un premier acte de responsabilité pour ouvrir à nouveau la conscience au fait que tout n’est pas permis et qu’on ne peut pas faire tout ce qu’on veut. » En préambule, le pape a certes rappelé que « se polariser seulement sur le préservatif signifie la banalisation de la sexualité ».
Néanmoins, Benoît XVI se démarque du discours de Jean-Paul II, qui affirmait notamment le 7 février 1993, à Kampala (Ouganda), devant des milliers de séropositifs, que « la chasteté est l'unique manière sûre et vertueuse pour mettre fin à cette plaie tragique qu'est le sida ».
Les propos de Benoît XVI sont d’autant plus inattendus qu’en mars 2009, ses prises de position sur le préservatif dans l’avion qui le menait en Afrique avaient suscité un tollé dans la presse et l’opinion internationales. Il y avait estimé que distribuer des préservatifs ne résoudrait pas l’épidémie. Ajoutant qu’ « au contraire cela aggrave le problème ».
Les réactions de colère et d’incompréhension que ces propos avaient soulevées, y compris au sein de l’Église catholique, ont-elles été entendues au Vatican ? Difficile de l’établir. La question du préservatif nourrit un vif débat chez les catholiques depuis l’apparition de l’épidémie il y a trente ans.
Un grand nombre de chrétiens, de prêtres et d’évêques (par exemple, Mgr Di Falco en 2004 sur le plateau de Thierry Ardisson) ont mis en avant la notion de moindre mal, face au danger que représente la transmission du virus. On se souvient qu'en 1988, le professeur Marc Gentilini, spécialiste de maladies infectieuses, avait interpellé l’institution dans La Vie. En 1996, c’est la commission sociale de l’épiscopat, présidée par Mgr Albert Rouet, qui après avoir consulté autorités médicales, malades, familles de séropositifs, psychanalystes, moralistes, associations, avait conclu : « Beaucoup de médecins compétents affirment que le préservatif de qualité fiable est actuellement le seul moyen de prévention. A ce titre, il est nécessaire.»
Par ses propos, Benoît XVI entérine lui aussi l’idée d’un moindre mal. Cette ouverture a été saluée par le président de l’Onusida, Michel Sidibé : "C’est un pas en avant significatif et positif". L’Onusida rappelle qu’avec 7000 nouvelles infections par jour, l’emploi du préservatif doit être associé à une combinaison d’autres méthodes, telles que le choix d’une entrée moins précoce dans la sexualité, une diminution des partenaires, la circoncision des hommes et la réduction de la discrimination.
Ils réagissent
- le professeur Marc Gentilini: "une grande ouverture" d'un pape "étonnant".
- Jean
de Savigny, ex-président de Chrétiens et sida: "la position antérieure n'était pas tenable".
Intégralité des propos du pape
"Se polariser seulement sur le préservatif signifie la banalisation de la sexualité et cette banalisation représente précisément la raison périlleuse pour laquelle tant de personnes ne voient plus dans la sexualité l'expression de leur amour, mais seulement une sorte de drogue qu'ils s'administrent à eux-mêmes. C'est pour cela aussi que la lutte contre la banalisation de la sexualité fait partie d'un grand effort pour que la sexualité puisse avoir une valeur positive et exercer son effet positif sur l'être humain dans sa totalité.
Il se peut qu'il y ait des cas singuliers qui soient justifiés, par exemple quand une prostituée utilise un préservatif, et ceci peut être le premier pas vers une moralisation, un premier acte de responsabilité pour ouvrir à nouveau la conscience au fait que tout n'est pas permis et qu'on ne peut pas faire tout ce que l'on veut. Cependant, ceci n'est pas le moyen vrai et juste pour vaincre l'infection du VIH. Une humanisation de la sexualité est vraiment nécessaire."
Traduction par Jean Mercier d'un extrait en italien, publié par l'Osservatore Romano, de "Lumière du Monde", livre d'entretiens de Benoît XVI avec le journaliste allemand Peter Seewald, à paraître en France le 3 décembre.
Claire Legros
publié le 21.11.10 sur lavie.fr