L’Évangile relativise toutes les frontières
Bernard Ginisty commente l'interview de Mgr Rouet pubié par G&S sour le titre
Église catholique : la fin d'une époque
Depuis plusieurs mois, l’Église catholique est ébranlée par la révélation de scandales pédophiles dans plusieurs pays. Face à cette crise, les attitudes des responsables de l’institution varient de la repentance répétée à la dénonciation d’un complot médiatique ourdi par les ennemis de cette Église. Peu d’entre eux se sont risqués à analyser ce que cette situation révèle du fonctionnement global de l’institution. L’archevêque de Poitiers, Mgr Albert Rouet, fait partie de ceux-là. Dans un entretien publié dans le journal La Croix début avril 1 il se livre à une analyse lucide et sans complaisances de son Église.
Tout d’abord, il dénonce le danger de toute institution qui s’érige en absolu : « Pour qu'il y ait pédophilie, déclare-t-il, il faut deux conditions : une perversion profonde et un pouvoir. Cela signifie que tout système clos, idéalisé, sacralisé est un danger. Dès lors qu'une institution, y compris l'Église, s'érige en position de droit privé, s'estime en position de force, les dérives financières et sexuelles deviennent possibles. C'est ce que révèle cette crise, et cela nous oblige à revenir à l'Évangile ; la faiblesse du Christ est constitutive de la manière d'être de l'Église ». À ses yeux, c’est parce que l’Église catholique de France n’a plus ce type de pouvoir que, malgré les fautes individuelles graves de certains de ses clercs, il ne constate pas ce qu’il appelle « une systématisation des affaires ».
Pour Albert Rouet, la crise de l’institution qu’il sert est due à plusieurs tendances lourdes : « Aujourd'hui, dit-il, on y constate un certain gel de la parole. Désormais, le moindre questionnement sur l'exégèse ou la morale est jugé blasphématoire. Questionner ne va plus de soi, et c'est dommage. Parallèlement, règne dans l'Église un climat de suspicion malsain. L'institution fait face à un centralisme romain qui s'appuie sur tout un réseau de dénonciations. Certains courants passent leur temps à dénoncer les positions de tel ou tel évêque, à faire des dossiers contre l'un, à garder des fiches contre l'autre. En outre, je note une évolution de l'Église parallèle à celle de notre société. Celle-ci veut plus de sécurité, plus de lois, celle-là plus d'identité, plus de décrets, plus de règlements. On se protège, on s'enferme, c'est le signe même d'un monde clos, c'est catastrophique ! ».
Gel de la parole et du questionnement, obsession de la sécurité, centralisation du pouvoir : combien d’institutions aujourd’hui, bien au-delà de l’Église Catholique, souffrent de ces maux. Face à ces blocages, la crise oblige à remettre en cause le fantasme totalitaire qui voudrait limiter le royaume de Dieu sur terre à une organisation. Bien loin de nous conduire à vivre dans une forteresse assiégée qui se définirait comme le camp du Bien contre le Mal, l’Évangile relativise toutes les frontières comme le remarque avec beaucoup de justesse Maurice Bellet : « Être du Christ par naissance, par nation, par parti, par appartenance sociale est toujours une illusion. Car c’est se passer d’écouter l’Évangile, qui toujours prend l’homme dans son passage, et non déjà installé, avec le tout fait et tout su d’avance derrière lui. C’est pourquoi, en un sens, la frontière passe en l’Église même et en chacun de ses membres » 2.
Bernard Ginisty
Chronique hebdomadaire diffusée sur RCF Saône & Loire le 02.05.10
1 - Propos recueillis par Stéphanie Le Bars,
publiés dans le journal La Croix du 4 avril 2010
2 - Maurice BELLET : L’Église morte ou vive.
Éditions Desclée de Brouwer 1991, pages 90-91