Réponse à un “romain” répondant au théologien Hans Küng…
Sans chercher à défendre Hans Küng – qui : 1° n’a pas besoin de moi ; 2° m’agace souvent par sa suffisance ; 3° n’est pas “parole d’Évangile” – je voudrais reprendre, dans leur ordre, les arguments de Pierre Piccinin afin d’en montrer la légèreté, voire la dangerosité pour la cause même qu’il cherche à défendre, tel l’ours au pavé de la fable.
Lorsqu’on essaie d’analyser les attaques subies par Rome, il serait de bonne méthode d’en mieux distinguer les deux catégories : celles qui viennent des adversaires délibérés et systématiques de l’Église (et ils ne sont pas toujours de bonne foi) ; celles qui émanent de catholiques, non pas gratuitement hostiles, mais navrés de voir leur Église ballotée de gaffes en scandales, sans qu’aucun effort ne soit réellement fait pour en analyser posément les causes, ni proposer d’autres remèdes que d’exprimer des regrets, et d’opposer diverses dévotions, qui ne sont pas à mépriser, mais ne régleront pas des défauts structurels. Si “acharnement” il y a, il n’est que la contrepartie à l’acharnement de l’institution à refuser de se mettre sérieusement en question.
Puisque le “professeur d’histoire … à l’École européenne de Bruxelles ” veut situer le débat sur la papauté à partir de la “ primauté” de Pierre ”, il convient de lui rappeler que ce même Pierre, qui a trahi trois fois son maître en le reniant, s’est fait moucher par Jésus (Marc 8,33) et, vigoureusement, par Paul (Galates 2,14). Si donc le “proto-pape” (premier et prototype), tout en étant capable d’aller au sacrifice suprême du martyre, était susceptible d’erreurs, on ne comprendrait pas pourquoi ses successeurs auraient le privilège de n’en commettre aucune.
L’argument du retrait du permis d’enseigner au théologien de Tübingen pour le disqualifier est étonnant chez un “historien” (ça fait quelques décennies pourtant que l’histoire de l’Église s’était globalement déconnectée de l’apologétique). On sait que d’autres théologiens, tels Yves Congar ou Henri de Lubac, ont été privés de parole avant d’être nommés experts au concile Vatican II, puis cardinaux. Mais peut-être P.P. regrette-il que leur voix ait pu se faire entendre dans l’aula conciliaire ?
Les partisans de Rome ont tort d’ignorer que la “langue de buis” traditionnelle, qui n’est que le patois propre à un petit groupe d’humains, n’est pas perceptible par le “monde”, même lorsqu’il n’y met pas de mauvaise volonté. La levée de l’excommunication pesant sur les traditionalistes n’est certes pas une “réintégration” pure et simple en droit canonique, mais pour la masse des non-catholiques (et même de beaucoup de fidèles) la nuance est un peu subtile, et pour tout dire trop technique. Pour eux, c’est bien une porte ouverte à une “restauration” que tant d’autres signes venus de Rome confirment (liturgie, nominations…). C’est un procédé éprouvé de se retrancher derrière une exactitude formelle pour cacher la réalité à venir.
Pour un historien (j’en suis un aussi), l’affaire Pie XII est un cas d’école. Il est exact que Pie XII a été injustement jugé par beaucoup, alors même que des autorités juives ont reconnu les gestes positifs qu’il avait pu faire, ou recommandé de faire en faveur des personnes menacées par la barbarie nazie ; il est exact que les chefs d’État, tout aussi au courant que lui, n’ont rien fait pour interrompre le sinistre va-et-vient des trains de la mort, etc. Mais ce pape était le “vicaire du Christ ” (non, aucune allusion ici à la pièce sommaire de Rolf Hochhuth). Question : qu’aurait fait Jésus en pareille occurrence ? Peut-être se serait-il laissé crucifier ? Le problème n’était pas simple. Qui souhaiterait avoir à régler un tel cas de conscience ? Mais il y avait que deux attitudes possibles : la diplomatie, en essayant de limiter les dégâts (si l’on peut dire), ou le prophétisme. Pie XII a choisi – en conscience sans aucun doute – la première solution ; il n’y a pas à le vouer à la géhenne, mais il n’y a pas lieu non plus de le canoniser.
Même remarque de méthode sur l’attitude des papes à propos du préservatif. Ce n’est sûrement pas la panacée au problème du sida, pas plus d’ailleurs que pour un contrôle des naissances. Mais il peut être considéré comme un “moindre mal”. Le “moindre mal” n’a pas ses lettres de noblesse en théologie morale, mais il est souvent effectivement un moindre mal, comme l’était sans doute, aux yeux de la Curie, en faveur des Églises allemande ou polonaise, le fait de ne pas condamner solennellement la shoah. Avec cette réserve, et si les papes ne sont pas formellement et officiellement contre l’emploi absolu du préservatif (je dis bien : considéré comme un pis aller,) qu’ils le disent plus clairement. Tout en continuant à expliquer, c’est leur devoir, que “faire l’amour” ce n’est pas seulement une activité sexuelle sans “amour”.
Sans doute y a-t-il injustice à attaquer Benoît XVI à propos de la pédophilie
sévissant dans une partie du clergé, alors qu’il a le mérite d’avoir débridé l’abcès. Malgré sa gravité morale et l’écœurement que ces pratiques suscitent, cette question n’est sûrement pas un
“détail”, mais n’est pas la plus urgente dans la crise actuelle. Sur le fait précis, la hiérarchie ne paie-t-elle pas, tout simplement :
1° son trop long silence à ce sujet, et la couverture qu’elle a assurée de facto à certaines de ses brebis un peu galeuses ; 2°une réaction face à son obsession tatillonne en
matière de morale sexuelle 1 ? L’opinion publique attend peut-être de ses membres qu’ils fassent ce qu’ils disent. L’Église a souvent, au cours de l’histoire, eu la
prétention de tenir ses clercs hors du droit commun et ne devant être jugés que par ses seules instances. Benoît XVI a hérité d’un dossier lourd et sur lequel, malheureusement c’est vrai, la
presse, souvent mal informée et mal informante, a tendance à dire n’importe quoi.
À propos d’œcuménisme, il y aurait beaucoup plus à dire. Les textes de Vatican II étaient révolutionnaires à cet égard. Les traditionalistes ne s’y sont pas trompés en votant contre certains décrets. Quelques beaux textes ont également été publiés depuis. Mais il y en a eu d’autres aussi qui ont pu provoquer la méfiance, telle la déclaration Dominus Jesus du cardinal Joseph Ratzinger, qui a provoqué colère et tristesse dans les “Églises” chrétiennes non-catholiques. D’ailleurs, puisque, comme P.P. nous le rappelle, catholique veut dire universel, pourquoi ne pas corriger l’affirmation du Credo : « je crois à la sainte Église catholique » en la remplaçant par « je crois à l’Église universelle » ? Cela engloberait nos frères orthodoxes et réformés, qui ont le même Credo. Ce serait un geste facile, ne mettant pas en péril le “patrimoine” catholique romain, ne coûtant pas cher, et qui constituerait un petit geste de bonne volonté œcuménique ; car, en vérité, pour l’heure l’Église de Rome n’est pas vraiment “universelle” comme semble le déplorer P.P. L’essentiel est-il de garder son petit drapeau blanc et jaune, ou de voir se rassembler un jour tous les disciples sincères de Jésus-Christ selon sa prescription expresse ?
Sur le vrai fond de l’affaire : P.P. est-il vraiment persuadé qu’il n’y a rien a reprendre dans le “trésor” de l’Église en matière de formulation dogmatique, de rites, de dévotions diverses, et surtout de manières de s’exprimer 2. Il fait allusion au texte effectivement très riche et parfois courageux de Veritas in Caritate. Mais si l’on veut que le monde lise ce type de texte, à l’abri des interprétations douteuses de journalistes pressés ou hostiles, il faudrait :
1° suivre quelques règles élémentaires de communication. Une encyclique n’est pas un traité exhaustif,
c’est une “lettre”, elle doit rester abordable sauf si, comme aux siècles passés, elle n’est destinée qu’à un petit nombre d’évêques, de techniciens de la chose religieuse, et non, comme écrivait
le “bon pape Jean XXIII, aux “hommes de bonne volonté”. Une lettre de 147 pages, surchargée de rappels historiques, peut décourager le recenseur, pas forcément malveillant, qui veut rendre compte
de la pensée du pape. Rerum novarum (1891), texte au moins aussi important, était nettement plus brève ;
2° Prendre des mesures concrètes pour donner de la crédibilité aux réflexions généreuses (§ 22-25, 27…), par exemple, prévenir plus radicalement les latifundiaires d’Amérique du Sud (souvent
“bons catholiques”) qu’accaparer des terres qui manquent aux paysans ce n’est pas… très catholique. Des évêques sud-américains ont le courage de le dire… ils se font parfois assassiner cause de
cela.
Quant à convoquer un nouveau concile, il n’est pas sûr que ce soit une bonne idée. Le corps épiscopal paraît majoritairement trop au garde-à-vous, sauf quelques exceptions d’hommes libres (je ne pense pas à Küng, qui n’est d’ailleurs pas évêque, mais plutôt à Mgr Rouet) pour qu’un nouveau concile puisse contribuer à préciser les acquis de Vatican II. Il suffirait peut-être que Rome prenne au sérieux l’existence des conférences épiscopales nationales, et les incite à transmettre au magistère les problèmes, les doutes, les angoisses du “Peuple de Dieu”.
Résumons-nous. L’intérêt de la lettre de Küng incriminée est de faire un bilan de ce qui ne va pas. Le principal problème de notre Église aujourd’hui – ce n’est pas le seul – c’est d’avoir un système de gouvernance autocratique. Pierre était le “premier”, mais dans un collège d’apôtres (primus inter pares, ce que bien des orthodoxes et certains réformés, seraient prêts à accepter). Les coresponsables de Pierre dans la transmission de la Parole le reprenaient parfois, tel Paul déjà cité. Le pape depuis quelques décennies, et spécialement depuis Vatican I (1870) qui plaît tant à P.P., est devenu un monarque absolu, objet d’un véritable culte de la personnalité, entouré d’une “curia” repliée sur elle-même, qui excuse ses propres erreurs en les rejetant systématiquement sur le “monde”, présenté comme une entité mauvaise (et, certes, elle n’est pas bonne !) qu’il connaît mal ; il est alourdi d’énormes péchés, mais marque aussi quelques progrès (par exemple, une solidarité un peu plus forte que par le passé) et offre des espérances.
Une deuxième urgence : chercher à trouver un mode de communication avec ce monde (où nous vivons), qui soit ni dans le style “leçon à ceux qui ne savent rien de l’humain”, ni sous forme de publicité, comme on en voit quelques tentatives ces temps-ci pour recruter, ou “évangéliser”, ou trouver des fonds. Les gens ne sont pas moins généreux qu’avant, que se soit pour s’engager ou pour faire des dons ; encore faut-il qu’on leur donne envie de s’engager ici et maintenant. Le travail du prêtre est devenu difficile, lourd et dispersé, et le genre de vie offert à eux, trop solitaires et peu considérés (on pourrait y revenir) est devenu pour beaucoup… “infernal”. Quant aux versements en argent, ils se font davantage vers les actions paraissant immédiatement utiles (œuvres humanitaires, caritatives, etc.).
À nous de prouver que nous sommes plus qu’“utiles” : indispensables.
Albert OLIVIER
1 - Et, sur plus d’un point, il faut le dire mais c’est un autre
sujet, elle a en partie raison, quoiqu’elle s’exprime maladroitement.
2 - Un exemple mineur : la mitre est-elle indispensable pour asseoir l’autorité des évêques ? Celle du pape a bien résisté à l’abandon de la “seda
gestatoria ” …