C'est le moment, il faut y aller... Continuons la route !
Nous avons reçu il y a plusieurs mois le témoignage d'une amie parisienne sur Marie, qu'elle avait écrit en 1998. Nous l'avons gardé, au cas où... Répondant à l'appel à témoin que nous avons adressé à nos abonnés à la Newsletter du blog, elle nous a envoyé un nouveau témoignage, sur le même sujet...
Nous avons alors pensé qu'il serait intéressant de publier ces deux témoignages, pour que nos lecteurs puissent
voir comment la sensibilité spirituelle de notre amie a évolué au cours de ces neuf années... et réfléchir sur leurs propres évolutions.
Mai 1998
J'ai envie de vous dire quelques mots de Marie, la mère de Jésus.
Dans l'éducation religieuse que la plupart d'entre nous avons reçue on représentait Marie comme un modèle. Un modèle de soumission,
celle qui accepte le message de l'ange Gabriel sans broncher ; un modèle d'abnégation, celle qui souffre au pied de la croix ; un modèle de sérénité, celle qui semble passer à travers
toute cette épopée de l'Évangile sans manifester ses sentiments.
Eh bien, moi je voudrais mettre l'accent sur une autre Marie, qui me touche profondément, 2000 ans après.
D'abord, c'est Marie à Cana. Vous savez : les noces de Cana. Vous connaissez l'histoire. Marie est invitée à une noce. Son fils,
tiens donc !, y est aussi.
Il lui avait donné du tracas, son fils... Déjà à douze ans, alors que Joseph, Jésus et elle rentraient de fêter la Pâque à Jérusalem,
il s'était écarté d'eux pour aller discuter avec les prêtres. Ils l'avaient cherché trois jours. Imaginez un peu leur angoisse et leur fureur.
Et puis, il ne s'était pas marié : étonnant dans une famille juive, ce fils de vingt ans qui ne prend pas femme, ne fait pas
d'enfants. Et il fréquentait son cousin Jean, une sorte d'illuminé qui vivait en ermite dans le désert de Judée, était entouré de disciples auxquels il prêchait l'ascèse et la
repentance, et tonnait contre la débauche d'Hérode. Jésus avait été baptisé par Jean dans l'eau du Jourdain, mais Jean affirmait qu'il n'était rien, à côté de Jésus.
Déroutant. Inquiétant. Sans doute. Mais elle avait confiance. Depuis sa grossesse, elle le sentait appelé à un grand
destin.
À Cana, son fils avait une trentaine d'années. Depuis quelque temps, il s'était lui aussi choisi un groupe d'amis ; oh ! des
gens simples, des pêcheurs, un fonctionnaire de l'état. Et ils disaient des choses nouvelles : « ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour
eux ».
Un discours de miséricorde et d'amour...
Au cours du repas de noce à Cana, le vin vient à manquer.
Marie se dit: « c'est le moment, ça. y est ». Il reste à le convaincre, lui, Jésus.
Alors elle lui suggère : « ils n'ont pas de vin ». Pas besoin d'ajouter quoi que ce soit : le ton de sa voix, ses yeux sans doute parlent pour elle, Mais il lui répond :
« mais qu'est-ce que tu veux ? »... et en même temps, une complicité absolue ; il recule : « mon heure n'est pas encore venue »... mais en même temps
cette assurance que lui donne tout-à-coup la certitude de sa mère. Il comprend qu'elle a compris ; que le feu qui est en lui est prêt à s'allumer. Et elle l'aide à franchir le pas. Le fils
tressaille, et c'est parti ! Comme le dit la théologienne France Quéré : après avoir mis au monde un fils, Jésus, maintenant elle engendre le Messie. Cette Marie, cette mère,
me bouleverse et m'inspire.
Marie était aussi au pied de la Croix. Point de robe bleue et de voile blanc, point de couronne de roses comme sur ses portraits du
début du XXe siècle. Non : une femme écrasée de douleur, repassant dans sa tête les rumeurs lancinantes colportées sur son fils. Elle souffrait, elle souffrait de son impuissance, elle
souffrait parce que son fils était en train de mourir dans l'indignité et le désespoir. Cette Marie, cette mère qui éprouve la douleur de toutes les mères, me bouleverse et
m'inspire.
Marie est encore là, cinquante jours après Pâques, alors que son fils est revenu se montrer à ses disciples ; d'aucuns disent
qu'il est ressuscité et que, comme lui, nous voici tous appelés à ressusciter.
Les disciples les plus proches, ceux qui avalent fui après sa Passion, sont revenus à Jérusalem et se sont enfermés dans la maison
d'un ami.
Voici qu'en cette journée de Pentecôte, ils décident d'ouvrir les portes bien grandes, de partir enseigner l'amour, et de constituer
le peuple que nous sommes encore aujourd'hui.
Et je ne peux m'empêcher de penser que, comme à Cana, Marie est intervenue pour leur dire « c'est le moment, il faut y
aller ! ».
Cette Marie là, décidément, je l'aime.
Janvier 2007
Avec Marie, ma première complicité, c'est d'abord celle de la mère, de la mère dans l'incompréhension des événements qui se
déroulent.
Qui a vécu les affres de l'adolescence au côté d'un enfant intelligent, curieux, désireux de prendre toute sa place au milieu des
siens, peut comprendre qu'elle soit déroutée : un fils qui en remontre aux rabbi de la synagogue, un fils qui se perd, seul à Jérusalem, à l'âge où les enfants pensent au jeu, c'est
pour le moins surprenant et même inquiétant : que promettent donc ces attitudes pour l'avenir ? Et quel avenir ? Dans ce pays pauvre, où l'on est berger ou pêcheur... ? Où les
Romains imposent leur loi, et où Hérode - issu d'une famille qui a chassé du pouvoir les Asmonéens, qui l'avaient convertie de force au judaïsme - se
conduit en collaborateur du pouvoir dominant !
Des jeunes gens, imprégnés de tradition juive, font un retour à la foi de leurs pères ; d'aucuns s'installent, isolés, dans les
montagnes, d'autres prennent les armes - enfin couteaux et lances ! - pour résister à l'occupant... C'est comme cela qu'ils disent !
Et le temps passe. De quel côté est Jésus ? Il a renoncé au métier de son père, il s'est rapproché de son cousin Jean qui l'a
baptisé dans le Jourdain et puis il erre dans tout le pays, Galilée et Judée...
Marie, que pense-t-elle, que fait-elle ? A-t-elle imaginé qu'il se tramait là, à travers elle d'abord, à côté d'elle ensuite,
quelque chose d'inouï ? L'annonce de l'ange, la visite à sa cousine Élisabeth, qu'ont-elles été dans sa réalité de paysanne de 15 ans, elle, la petite paysanne, sans doute illettrée, qui,
comme les femmes de son temps, ne pénétrait pas à la synagogue et a fortiori dans la cour sacrée du Temple de Jérusalem ?
Puis il y a Cana ; les noces, elle y était c'est sûr, et sans doute, l'évangile de Jean en témoigne, a-t-elle joué un rôle de
« détonateur » : elle croyait en lui , mais qu'est-ce à dire ? Croyait-elle à une dimension divine ? Pensait-elle qu'il devait accomplir quelque chose de
phénoménal ? Mais elle n'imaginait pas quoi, sans doute... Et à Cana, à coup sûr, il s'est passé « quelque chose » qui l'a propulsé, lui, dans une aventure qui a retourné le monde
(ressuscité le monde !). Et son charisme et son message ont fait le reste, jusqu'au pied de la Croix : le voici homme devenu Dieu. Et tirant derrière lui l'humanité tout entière. Et
puis enfin Pentecôte, où Marie au milieu des disciples (accueillant l'Esprit) prend avec eux la décision de partir sur les routes et d'enseigner le message de la vie
éternelle : celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra (Jean 11,25).
Mais si cela est l'Histoire, vient ensuite le coeur.
Je dis le coeur et non la foi. La foi est affaire personnelle dont il est malaisé de débattre. Et parce qu'avec la
foi, pointe le dogme. Or le coeur, c'est un sentiment, une inclination qui engage librement, sans contrôle ni garde-fou.
Le dogme en effet a installé Marie à une place qu'elle avait déjà gagnée par le coeur. Pourquoi ? Parce qu'au delà de l'Histoire
il y a ce qu'une mère manifeste toujours : l'Amour et l'Abnégation. Et chacun de se dire que si, face à ce fils Jésus, qui l'a menée à tant d'épreuves, elle a tenu le choc, elle est vraiment
celle qui symbolise le mieux la Mère.
Alors, elle est celle qui console, celle qui donne l'espoir, qui sait aussi convaincre et engager.
Et finalement, c'est celle de Pentecôte qui m'inspire et que j'aime.
Mais on peut aussi tomber dans un piège : le refuge de la mère, tellement plus facile que la colère du Fils, celle qui met
en jeu la vie, mais pour quelle autre Vie !
Faut-il pour autant se méfier de cet élan du coeur ? Oui, je crois, s'il se substitue à l'apprentissage du message et à
l'engagement au service de ce message. Attention à la manipulation du faible par le fort : « confie-toi à moi, à ma bienveillance et à ma compétence, et je déciderai pour toi le
Bien et le Mal. »
Quelle est donc la signification des « apparitions » de Marie à Lourdes, Fatima, Medjugorje ? Même si nous voulons
croire à la réalité de ces visions d'enfants - qui mériteraient d'autres réflexions et développements - que voulait donc Marie ?
A-t-elle été comprise dans son message ? D'autres, aux intentions « variées », ont-ils orienté son message ?
Messagère de la Paix, disaient ces messages : Pourquoi alors l'Église, qui promeut ces lieux de révélation, ne se fait-elle pas davantage l'apôtre intransigeante de la Paix et de son
corollaire, la Justice ?
Marie, mère de Dieu a souvent été utilisée par la structure ecclésiale pour la consolation, et seulement la consolation. C'est-à-dire l'acceptation, sans
débat possible, d'une situation souvent dure, voire inextricable, et pour la glorification d'une espérance pour demain.
Il est vrai que son approche est plus facile que celle du Fils et qu'à coup sûr développer la ferveur mariale est plus simple que de
promouvoir le message complexe et si exigeant du Fils.
Comme si la Croix et la résurrection de Jésus n'avaient pas traduit la révolution de l'Amour, de la Paix et de la Justice, pour ici et
maintenant ! Quand d'autres révélations de Marie se manifestent à certains - car nous ne doutons pas que d'autres, aujourd'hui encore, entendent la voix de Marie, mais ne courent pas
forcément en avertir leur curé - elle doit à coup sûr envoyer le même message : Paix, Amour, Justice.
Et il faut espérer que, l'entendant, ceux-ci se mettent en marche !
La rencontre avec la Mère peut ainsi être un passage vers le Fils. Charge à chacun de ne pas s'arrêter à Elle et de vouloir vraiment
continuer la route.