Levée des excommunications : jusqu’à l’insupportable…
Un événement grave s’est produit, alors que notre n° 10 – cherchant à discerner le poids de l’institution dans les problèmes actuels de l’Église – venait d’être “bouclé”. Il justifie la poursuite d’une réflexion sérieuse sur l’avenir de ce ”corps” comme demeure de l’Esprit ou bastion de la Loi.
Décret publié, à Rome, le 24 janvier 2009 : « … Sa Sainteté Benoît XVI – sensible comme le serait un père au malaise spirituel manifesté par les intéressés à cause de la sanction d’excommunication, et confiant en leur volonté, exprimée dans la lettre [de Mgr Bernard Fellay datée du 15 décembre 2008] de ne ménager aucun effort pour approfondir, via des colloques nécessaires avec les autorités du Saint Siège, les questions qui restent en suspens afin de pouvoir parvenir rapidement (à) une pleine et satisfaisante solution au problème qui s’est posé à l’origine – a décidé de reconsidérer la situation canonique des évêques, Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta qui avait suivi leur consécration épiscopale.
Avec cet acte on désire consolider les relations réciproques de confiance, intensifier et stabiliser les rapports de la Fraternité Saint Pie X avec le Siège Apostolique. Ce don de paix, au terme des célébrations de Noël, veut être aussi une preuve pour promouvoir l’unité dans la charité de l’Église universelle et arriver à supprimer le scandale de la division.
On espère que ce pas sera suivi de réalisation rapide de la pleine communion avec l’Église de toute la Fraternité de Saint Pie X, témoignant ainsi de la vraie fidélité et de la vraie reconnaissance du Magistère et de l’Autorité du Pape avec la preuve de l’unité visible … » [Suit la notification de la levée d’excommunication]
Card. G.-B. Re, Préfet de la Congrégation pour les évêques
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À G&S, nous ne sommes pas très portés sur les excommunications. Et nous ne pourrions que nous réjouir lorsque des “frères séparés” veulent se retrouver en communion. Mais qu’en est-il en ce cas ? On sait que ce qui a rejeté ceux que l’on appelle “intégristes”, ce ne sont pas seulement des questions de discipline ecclésiastique (ordination d’évêques en dépit de l’interdiction du pape), ni des choix liturgiques (on peut discuter sur l’opportunité de certaines réalisations postconciliaires), mais bien le refus profond, délibéré, irrémissible des décrets du concile Vatican II, en particulier ce qui touche à l’ouverture au monde et à la liberté religieuse. Un document du 3 avril 2004, émanant de la FSSPX, trouvé sur internet, ne laisse aucun doute sur une totale hostilité envers l’œcuménisme considéré comme une «apostasie silencieuse et (qui) dissuade les non-catholiques d’entrer dans l’unique arche de salut […] L’œcuménisme a fait de cette cité sainte qu’est l’Église une ville en ruine. Marchant à la suite d’une utopie —l’unité du genre humain— ce pape n’a pas réalisé combien l’œcuménisme qu’il poursuivait était proprement et tristement révolutionnaire : il renverse l’ordre voulu par Dieu.»
Les “schismatiques” en voie de réunion (avec, il est vrai, des tempéraments et une agressivité variés) ne brillent souvent pas par leur esprit de réconciliation. Le site Virgo-Maria.org nommait, pas plus tard que le 25 janvier 2009, l’irénique pape actuel l’« abbé apostat Ratzinger-Benoît XVI » ; et vous chercheriez en vain la présence d’un quelconque esprit de paix (et de l’Esprit tout court) sur le site Internet qui s’intitule la Paix liturgique, dont le contenu oscille entre haine, délation et triomphalisme, et dont le seul but apparent, en fait de mission, semble d’obtenir le plus de lieux possibles où la messe soit dite en latin, en oubliant que Jésus parlait l’araméen et que la première langue liturgique a été le grec, langue dans laquelle les évangiles ont été rédigés.
Comment réagit le clergé français à la levée de l'excommunication des quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X, ordonnés le 30 juin 1988 par Mgr Lefebvre ? Dans une interview radiophonique antérieure de quelques jours à la promulgation du Décret du Cardinal Re, Mgr Di Falco, évêque de Gap, a passé son temps à “botter en touche” par des réponses en parfaite “langue d’encens” : tantôt affirmant que « rien n’était encore sûr », tantôt constatant qu’« il n’était pas le pape ». Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, parlant lui aussi avant la publication officielle, manifestait une grande compréhension, mais précisait utilement que la levée des excommunications ne signifiait pas qu'il fût possible d'être catholique en faisant un tri dans l'enseignement de l'Église, dans la doctrine et la Tradition de l'Église. « Des gens qui, pour la plupart, se présentent sincèrement comme des défenseurs de la Tradition, se donnent le pouvoir magistériel de distinguer la bonne Tradition de la mauvaise Tradition. Mais un tel acte de discernement ne peut être qu'un acte de l'Église et pas celui d'un groupe particulier dans l'Église. »
Quant au cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et membre de la Commission Pontificale Ecclesia, il a fait une déclaration lucide, le 24 janvier :
« Le pape Benoît XVI a voulu aller jusqu’au bout de ce qu’il pouvait faire comme main tendue, comme invitation à une réconciliation. Le pape, théologien et historien de la théologie, sait le drame que représente un schisme dans l’Église. Il entend la question qui est souvent posée dans cette histoire des schismes : a-t-on pris vraiment tous les moyens pour éviter ce schisme ? Lui-même s’est senti investi de la mission de tout faire pour retisser les fils déchirés de l’unité ecclésiale. […] La levée de l’excommunication n’est pas une fin mais le début d’un processus de dialogue. Elle ne règle pas deux questions fondamentales : la structure juridique de la Fraternité Saint Pie X dans l’Église et un accord sur les questions dogmatiques et ecclésiologiques. Mais elle ouvre un chemin à parcourir ensemble. Ce chemin sera sans doute long. Il demandera meilleure connaissance mutuelle et estime. A un moment, la question du texte même du Concile Vatican II comme document magistériel de première importance devra être posée. Elle est fondamentale. Mais toutes les difficultés ne seront pas forcément de type doctrinal. D’autres, de type culturel et politique, peuvent aussi émerger. Les derniers propos, inacceptables, de Mgr Williamson, niant le drame de l’extermination des Juifs, en sont un exemple. »
Les réactions des autorités religieuses non catholiques et de nombreux médias sont moins conciliantes que celles de nos prélats. Souvent d’ailleurs à propos de ce “négationnisme” de Mgr Williamson, qui, notons le, n’est pas directement un problème d’Église, car celle-ci ne pourra jamais empêcher un de ses membres, fût-il participant de sa hiérarchie, à faire des déclarations hors du domaine religieux, aussi ineptes, inacceptables et choquantes soient-elles.
Que les intentions du Souverain Pontife soient de ramener à la “maison du Père”, les “brebis égarées”, il n’y a aucune raison d’en douter. Mais se pose alors la question d’une “miséricorde à deux vitesses”. Pour quoi laisser hors du corps ecclésial les prêtres et militants d’Action catholiques, brisés par des diktats de Rome depuis un demi siècle et sortis à petits pas ou avec éclat ; pour quoi gâcher la vocation de prêtres, qui, en se mariant se sont placés en rupture disciplinaire, (souvent d’ailleurs à la suite de leurs engagements sociaux), mais ne sont pas à proprement parler des “schismatiques”. On préfère dans ces cas de rupture du célibat cacher d’éventuelles unions libres, “pourvu que ça ne se sache pas”. De même, les “divorcés remariés” sont privés de sacrements, alors qu’ils peuvent avoir été la partie victime de la séparation, avoir réussi à rebâtir, sur un authentique amour, un vrai couple, et être des personnes profondément croyantes, pratiquantes et engagées dans leur paroisse ou des mouvements. On répond à leur douleur par des phrases convenues. Là encore, Mgr Di Falco a réussi, dans une interview radiophonique, à faire de la voltige théologique pour expliquer qu’ils ne pouvaient pas communier, certes, mais n’étaient pas excommuniés (sic) !
Voilà une nouvelle cause de désarroi pour bien des chrétiens qui s’interrogent sur les orientations de leur Église de moins en moins lisibles, à moins qu’elles le soient trop…
Albert OLIVIER