Bénédiction des couples homosexuels : « Doctrine et pastorale, une distinction dépassée ? »
Nous reproduisons la tribune qu’ont publiée dans La Croix Paule Zellitch, la présidente de la Conférence des baptisé.e.s, et un membre de son conseil d’administration, Guy Legrand, à laquelle nous annexons le Communiqué de presse diffusé le 9 janvier la Conférence des baptisé.e.s sous le titre « Petite bronca épiscopale ».
G & S
Fiducia supplicans permettant la bénédiction de couples en « situation irrégulière » constitue au-delà même de son objet une évolution importante dans le rapport que l’Église entretient avec le monde. En effet, ce texte valide la dissociation entre un état de vie juridiquement qualifié par la doctrine et la possibilité d’une reconnaissance par l’Église de la vie spirituelle de ceux qui se situent hors du cadre doctrinal.
L’Église a bâti et consolidé son unité au cours de l’histoire sur le principe suivant : la révélation et le salut ne sont accessibles que circonscrits par un cadre doctrinal. Héritière de la logique romaine, l’Église a prétendu faire un catalogue objectif du contenu de la révélation en le présentant, hors de l’histoire, à travers un cadre juridique contraignant censé englober toutes les réalités de la vie humaine. Le salut des fidèles devait être assuré en tout temps et en tout lieu en plaquant, sur la réalité de leur vie, une doctrine et des normes ayant une valeur absolue, inconditionnelle et contraignante.
Garantir le salut
Une telle approche, qui présente certes l’avantage de créer une unité théorique et de légitimer le pouvoir du Magistère, présente néanmoins l’inconvénient de faire du contenu de la révélation un dépôt figé et un catalogue de normes à appliquer, au risque d’enfermer et de dessécher la vie spirituelle. L’accès au message évangélique ne passe pas par le déchiffrement de l’expérience de vie, mais par la capacité à se conformer à un corpus de règles « garantissant » le salut.
Cette approche théorique n’a jamais fonctionné dans des sociétés en perpétuelles évolutions, ni au vu de la complexité des vies personnelles. Aussi, afin de sauvegarder la crédibilité de son message, l’Église a sagement séparé la doctrine de la pastorale et institué des « amortisseurs » que sont les prêtres confesseurs. Ils permettaient de s’adapter, dans un cadre sacramentel, au contexte concret des vies vécues par les fidèles, mais à la condition expresse que ces adaptations restent privées et secrètes.
Doctrine publique et pastorale privée
Cette distinction entre doctrine publique et pastorale privée ne fonctionne plus quand la connaissance de la doctrine n’est plus l’apanage des seuls clercs qui en adaptaient l’expression et en atténuaient les rigueurs en fonction du contexte où ils vivaient. Aujourd’hui les textes doctrinaux sont immédiatement accessibles par Internet. L’Église pourrait être taxée d’hypocrisie en persistant dans cette distinction. C’est donc au pape, gardien de la doctrine, qu’il revient maintenant de définir le champ de la pastorale, au risque avéré d’être suspecté de remettre en cause la doctrine. Mais ce faisant, la distinction entre doctrine et pastorale va s’atténuer progressivement.
Bien qu’il s’en défende, Fiducia supplicans remet en cause sinon le contenu, au moins le rôle de la doctrine qui était de circonscrire, au moins théoriquement, le champ d’application du témoignage de l’Église. Il faut le constater, par ce texte, une barrière a sauté : la vie vécue n’est plus préalablement déterminée par un cadre juridique qui était conçu pour la qualifier en dépit d’exceptions personnelles et privées accordées par les confesseurs.
Le souffle de Dieu
C’est la conception que l’Église a des rapports entre la doctrine et la vie, entre la norme et l’expérience que le pape vient de modifier en profondeur par un raisonnement en apparence traditionnel : « Les décisions (du magistère) qui, en des circonstances déterminées, peuvent relever de la prudence pastorale, ne doivent pas nécessairement être converties en normes » (n. 37). L’Église peut donc bénir, dire du bien de ce qui n’est pas préalablement normé. On passe de la logique de « tout ce qui n’est pas explicitement permis est interdit » à « tout ce qui n’est pas explicitement interdit peut être béni ».
On ne peut que s’en réjouir : la rouah de YHWH, souffle de Dieu qui habite en chacun, peut à nouveau circuler sous ses multiples visages dans l’ Église, sans être obligé de présenter un passeport en règle. Le 25 mai 2013, le pape François ne disait-il pas que l’Église ne doit pas agir comme un bureau des douanes ? Désormais, elle dispose d’un outil pour mettre en œuvre cette métamorphose.
Paule Zellitch & Guy Legrand
Annexe : Petite bronca épiscopale, Communiqué de presse du 9 janvier 2024 de la Conférence des baptisé.e.s
En France, plusieurs évêques sont intervenus publiquement sur les modalités d'application de Fiducia Supplicans qui rend possible la bénédiction de « couples en situation irrégulière ».
Bien qu'ils s'en défendent, une dizaine d'entre eux et notamment ceux de la province de Rennes se situent en opposition frontale avec le contenu du texte romain : ils refusent de bénir le couple en tant que tel comme le rend possible FS, se limitant à « bénir individuellement chacune des deux personnes formant un couple ».
Ils justifient leur position en se référant à des arguments exclusivement doctrinaux alors que FS se situe explicitement dans le seul champ pastoral.
Cette posture suscite de nombreux étonnements dont celui de la Conférence des baptisés.
En effet, des évêques en situation de responsabilité appellent publiquement à ne pas respecter le rôle du successeur de Pierre et vont jusqu’à enjoindre aux prêtres et aux diacres de leurs diocèses de ne pas tenir compte du sens évident, exclusivement pastoral, de ce texte magistériel adressé à tous. Imaginent-ils que les catholiques, quel que soit leur statut ecclésial, n’ont pas accès aux documents qui émanent du Vatican et ne savent pas les lire ?
Conférence des baptisé.e.s
Source : https://baptises.fr/actualites/communique-de-presse-du-9-janvier-2024