Article anonyme paru dans La Croix du 15 mai 2048
Nous sommes en 2048… Voilà bien longtemps que je me suis écarté de l’Église. 25 ans plus tôt, elle avait été gravement secouée par une série de scandales et de révélations d’abus. Les efforts du pape François pour la réformer n’avaient pas abouti, et le synode qu’il avait organisé s’était terminé sur un échec. La mouvance conservatrice, encouragée par le « nouveau » missel de 2022, avait repris le dessus, la soutane était systématique, les messes dos au peuple s’étaient multipliées. Je ne me retrouvais plus dans cette Église tournant le dos au concile. La liturgie était datée, son vocabulaire abscons, ses formulations d’un autre âge. Les notions de sacrifice, de damnation éternelle, d’oblation sainte, de festin des noces de l’agneau ne me parlaient plus. Je décrochais.
Aujourd’hui, en ce printemps 2048, l’Église en France s’est littéralement effondrée. Les diocèses ont été réduits à six, et il ne reste plus que quelques prêtres dans les grandes villes. Face à cette situation, on assiste cependant à un retour inattendu de la pratique religieuse, non pas au sens de l’assistance à la messe où on l’entendait autrefois, mais sous la forme spontanée d’assemblées de prières.
Apprenant qu’il se tient une assemblée de ce type dans l’église de ma ville ce dimanche à 10 h, et poussé par la curiosité, je décide de m’y rendre. En entrant, je constate de nombreux changements. D’emblée je suis saisi par l’immense toile évoquant le Bon Pasteur, qui remplace derrière l’autel l’ancienne croix qui s’y trouvait. Puis je traverse la nef, vide, parcourue par une longue table, et m’approche du transept où une centaine de personnes s’y installent, assises en disposition circulaire sur deux ou trois rangées.
La femme qui est vêtue d’une simple aube - j’apprendrai qu’elle a été élue par l’assemblée - va présider. En ouverture, ses mots d’accueil sont, non « Que le Seigneur soit avec vous », mais « Que la paix soit avec vous », en souvenir des mots que le Christ ressuscité a prononcés en retrouvant ses disciples au cénacle. Elle lit ensuite une belle prière pour la paix, en y incluant toutes les situations de conflits actuels à travers le monde, et toutes celles qui traversent nos vies, nos familles, nos entourages. Également en remerciant Dieu pour l’immense événement célébré aujourd’hui en Palestine. Puis c’est tout naturellement que les participants échangent alors un signe ou un geste de paix, chacun à sa façon, dans une grande liberté et une ambiance de sincère amitié.
La cérémonie se poursuit par le Notre Père. Suit l’appel au pardon de Dieu par l’invocation « Seigneur, relève-nous », qui remplace le « prends pitié de nous » (qu’on répétait huit fois dans l’ancienne liturgie), enrichie de plusieurs méditations sur la miséricorde infinie de Dieu. Et on chante le Gloire à Dieu, partiellement expurgé de ces mêmes formules. Chacune des trois lectures est précédée d’une courte introduction permettant d’en resituer le contexte ou d’en mieux comprendre la signification. Après quoi la célébrante livre le fruit de sa propre méditation, puis donne la parole aux participants qui désirent intervenir. Elle conclut le partage.
Le Credo qui suit est bien éloigné de celui qui proclamait un Dieu Tout-Puissant. J’en retiens les premières lignes : « Je crois en Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, Trinité d'Amour. Je crois en Dieu : Il est mon Créateur. Il est mon Père. Je crois que le battement du Cœur de Dieu, c'est l'Amour c'est sa Miséricorde sans mesure, sans limite, sans réserve, sans condition. Je crois en Jésus, son Fils Unique, né de la Vierge Marie. Il est venu partager en toutes choses notre condition humaine. Il s'est fait pauvre, infiniment, pour nous enrichir de sa pauvreté. Il s'est fait le Tout-Compatissant auprès des plus petits, et des plus faibles. Je crois que le Chemin du Christ c'est l'homme, et qu'il n'est pas de chemin d'humanité qui ne soit parcouru par le Christ. » Une large place est laissée ensuite à la Prière Universelle. Les participants prennent librement la parole et partagent qui une intention individuelle, qui une préoccupation de nature plus générale.
C’est alors que tous les participants quittent leur place pour venir se placer dans la nef, de part et d’autre de cette longue table qui m’avait intrigué en entrant. Je vois que des corbeilles de pain y sont disposées. La célébrante commence la lecture de la prière dite eucharistique. Celle-ci, comme on me l’expliquera, a été préparée par une équipe liturgique, qui s’est efforcée d’en adapter le contenu en fonction des participants (quelques scouts étaient présents) et de l’actualité (c’est le 90e anniversaire de la Nakba en Palestine) Cette prière eucharistique commence par une longue louange à Dieu, un cri d’émerveillement devant tout ce qui est beau dans le monde. Puis par un rappel du message d’amour et de miséricorde de Jésus, pour qui l’homme est toujours plus grand que ses actes. Enfin par sa promesse que l’Esprit Saint reste présent auprès de nous chaque jour. Elle se continue par une prière à l’intention de notre Église catholique, de tous ceux qui s’efforcent de la faire vivre, laïcs ou ordonnés, de toutes les églises chrétiennes, de nos frères juifs et musulmans, et de tous ceux qui cherchent Dieu avec le secours d’une autre religion. Sont également cités tous nos proches, ainsi que ceux qui souffrent, les exclus, les migrants et tous ceux qui sont privé d’amour ou de liberté.
La célébrante achève la cérémonie en prononçant d’abord la bénédiction du pain, puis en accomplissant le geste de la fraction du pain, en mémoire des circonstances où Jésus fit lui-même le même geste. Ainsi rompu en morceaux, signe de fraternité et de partage, le pain est distribué aux participants qui le consomment en silence. Avant la bénédiction finale.
15 mai 2048, jour de la création de l’État de Palestine et de la signature du traité de paix avec Israël.
Jacques Prunier-Duparge
Aumônier de prison