Les prières de Dame Henriette – Note de lecture sur le livre « Jérusalem, vers toi je marcherai » de Henriette Tommy-Martin

Publié le par Garrigues et Sentiers

Pèlerine anonyme, cliché publie sur le site de l'association La Route de Jérusalem

Pèlerine anonyme, cliché publie sur le site de l'association La Route de Jérusalem

Pour cette note de lecture, il faudra me croire « sur parole » car le livre Jérusalem, vers toi je marcherai  a été publié à compte d’auteur et très peu diffusé. Si je l’ai lu, c’est qu’une amie de la Communauté Saint-Luc de Marseille, Martine Rizzo, en avait conservé un exemplaire et me l’a prêté afin de connaître l’extraordinaire pèlerinage de Dame Henriette (c’est moi qui la surnomme ainsi), dame qu’elle a connu, alors que, peu de temps avant de mourir elle avait élu domicile au boulevard Baille à Marseille et participait à la liturgie de Saint-Luc.

Ce voyage vers Jérusalem relève de l’extraordinaire mais son héroïne ne l’a jamais considéré comme tel, tant il lui paraissait évident qu’à 60 ans, à la retraite, elle partirait vers Jérusalem, même si femme seule, même si le périple cumulait une traversée de 6000 km de contrées différentes dont des pays peu recommandés au voyageur solitaire (pire voyageuse) comme la Turquie, la Syrie, le Liban.

Dame Henriette est croyante, de foi catholique, elle parle un peu l’arabe car infirmière elle a travaillé en Tunisie après y avoir vécu une partie de son enfance. Elle reste très attachée à la culture musulmane et se désole des conflits religieux entre chrétiens, musulmans et juifs. Elle prépare son projet avec l’association « La route de Jérusalem », fondée par le prêtre André Haim, qui prône la paix et la fraternité entre les trois religions monothéistes, mais donne aussi des conseils concrets et des adresses possibles d’hébergements.

Confortée dans son projet Dame Henriette se lance sur la route le 11 juillet 1983 depuis sa Normandie avec une petite charrette à bras où elle a rangé quelques affaires personnelles, non sans avoir récité la prière des évêques des premiers siècles :«…Sois-nous un appui au départ, une amitié sur la route, un peu d’ombre sous le soleil, un manteau contre la pluie et le froid, un bâton dans les chemins glissants, un port dans le naufrage. Porte-nous dans la fatigue, défends-nous contre les attaques. Que sous Ta protection nous atteignions heureusement notre but et revenions sains et saufs à la maison. »

Elle traverse la France en direction de la frontière italienne, sans trop de difficultés, découvrant les cafés de bord de route, les couvents, les mairies qui respectent l’ancien droit au logement des vagabonds. Elle prie, les textes de la liturgie lui font signe en concordance avec ce qu’elle vit : « Quand tu devras aller ou à droite ou à gauche, tes oreilles entendront celui qui te dira :  voici le chemin, prends-le » (Is. 30). Parfois des amis la rejoignent et l’accompagnent quelques jours, ainsi elle traverse les Alpes à Mont-Genèvre avec son frère et se sent bien seule après son départ pour affronter l’inconnu en terre italienne. Son but de marche pour la paix n’est pas toujours compris ni partagé, même des communautés religieuses plutôt méfiantes envers la vagabonde qu’elle est devenue mais elle apprendra à trouver des réseaux d’hospitalité comme les Fraternités de Charles de Foucaud ou les Franciscains.

Après l’automne, le froid et la neige compliquent son avancée, marche sous la pluie, marche dans le vent, difficultés de s’abriter provoquent des crises de désespoir et de larmes mais elles sont momentanées, il suffit qu’une porte s’ouvre d’un accueil bienveillant pour repartir réconfortée car c’est une grande âme que celle de Dame Henriette, elle assume les conséquences de ses actes, ce qui signifie qu’elle ne se plaint jamais, son objectif mystique transcende tous les obstacles à sa progression.

Heureusement la Grèce et ses « papas » orthodoxes poursuivent une tradition d’hospitalité « Partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin, et que votre maison soit toujours accueillante ». (Rom 12), les familles l’accueillent à bras ouvert et en partant elle laisse des dessins d’enfants, de femmes avec qui elle a passé un temps de repos revigorant autour d’une table et dans un lit.

Son récit, écrit neuf années après l’avoir vécu, ne donne pas de précisions concernant les dates et les kilomètres parcourus mais il abonde de croquis des personnes rencontrées. Pour traverser la Turquie elle accepte la compagnie d’un homme jeune qui part lui aussi pour Jérusalem, mais leur foi commune ne leur permet pas de surmonter leurs différents et c’est avec soulagement avant la Cappadoce qu’ils se séparent, elle préfère sa solitude malgré les risques d’agressions sexuelles. Heureusement celles-ci seront rares et se dénoueront toujours à son avantage. Elle aura tout le temps d’admirer les maisons et les chapelles troglodytes aux fresques altérées des anciennes communautés chrétiennes, elle est touchée au cœur par la gentillesse avec laquelle on l’héberge : « Qui est mon prochain » (Lc 1) avant de découvrir pour un temps très court une Syrie sous le régime de Assad ce qui ne l’empêche pas d’aller sur le site très ancien de Saint Siméon le Stylite, mais voilà le Liban, elle qui prie pour la paix se trouve en pleine guerre civile entre les combattants du Hezbollah et les phalanges chrétiennes, dont les combattants ornent la crosse de leurs fusils de portraits de la Vierge Marie ou du Christ. Malgré tout elle ne désespère pas car les religieux qui l’hébergent ont la foi chevillée au corps et si la guerre détruit les immeubles, tuent les civils, eux reconstruisent, soignent, éduquent…  « Je ne veux pas la mort du pécheur, dit le Seigneur, je veux qu’il renonce à ses chemins et qu’il vive ». (Ez 33).

L’arrivée à Jérusalem en juillet 1984 en compagnie de deux amies tient tout à la fois du bonheur que lui procure la visite des lieux saints que du déchirement du conflit israëlo-palestinien. Elle ne veut pas prendre parti ni se laisser aller à des jugements hâtifs mais elle observe la brutalité de l’oppression israëlienne et si elle passe shabbat avec André Chouraqui dans une communion d’âme judéo-chrétienne, elle comprend sans peine que son désir de paix ne rencontre pas la réalité.  Vienne le jour où… « Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur comme les eaux couvrent le fond de la mer. » (Is 11)

 

À l’heure des engouements de croyants et de non croyants pour les pèlerinages comme en témoigne le nombre des marcheurs sur les Chemins de Compostelle, le document que nous laisse Henriette donne à réfléchir sur le sens de la figure moyenâgeuse de l’homo-viator, le pèlerin, l’homme, la femme en chemin.

Dame Henriette a incarné cette figure du pèlerin en marche vers les lieux sacrés de la Chrétienté et pour le réaliser elle a fait preuve de ce que le théologien Paul Tillich définit comme « le courage d’être » : je crois, je marche parce que je crois, en marchant ma foi déplace les montagnes, ou pour le dire autrement la route parcourue fait lien avec l’humanité rencontrée. L’objectif des lieux saints devient secondaire par rapport à l’engagement de vérité qu’il suscite.

Pour le non croyant le sens est le même, adopter la vie nomade c’est peut-être se dépouiller du superflu, rompre avec les comportements consuméristes pour se recentrer sur l’essentiel en quête de sens moins du projet de parcours que de ma vie.

Christiane Giraud-Barra

Publié dans Fioretti

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