Église catholique : déserter ou rester ?
Depuis de longues années, nous nous sentons étrangers au système religieux catholique dans lequel nous avons été élevés, enfants ou plus tard, où nous avons vécu, où nous nous sommes investis de tout notre être. La raison en est notre évolution intellectuelle et spirituelle qui nous a éloignés des croyances et des pratiques traditionnelles toujours en vigueur, et qui nous interdit, par intégrité intérieure, d’y apporter notre caution. Ces derniers temps, nous ne pouvons plus vraiment supporter le système religieux catholique, nous avons envie de le fuir…
Nous sommes sans doute loin d’être les seuls à éprouver ces sentiments. Sa doctrine et son langage dogmatique moralisant, liturgiques et hors sol, nous sont devenus insupportables. Son pouvoir hiérarchique sacralisé repose sur des justifications que l’on peut démontrer infondées ; il réduit objectivement en soumission les simples chrétiens. Son système religieux tourne en boucle, à coup de messes, de prières, d’adorations, de cantiques « nouveaux », de parcours Alpha, Zachée ou autres, de « communautés nouvelles », de rappels doctrinaux, de promesses de vie future. L’institution survit grâce à une classe de théologiens traditionnels, des choix conservateurs pour la formation des futurs prêtres et l’inertie des « pratiquants » qui s’y trouvent à l’aise et souhaitent au plus quelques améliorations intérieures au système. Elle meurt ainsi à petit feu en ignorant l’indifférence du monde et les « désertions » de tous ceux qui la quittent en partant sur la pointe des pieds.
Nous ressentons très profondément cette épreuve ; à certains jours et certaines heures, nous sommes tentés de déserter nous aussi purement et simplement. Qui peut nous aider ? Nous nous tournons alors vers Jésus : comment s’est-il comporté dans la religion juive de son temps ? Nous y percevons des coïncidences avec notre situation. Les déviations qu’il a dénoncées ne sont-elles pas celles-là mêmes que nous trouvons dans le catholicisme actuel ? Le cœur du message de Jésus que nous tenons à promouvoir ne se trouve-t-il pas dans sa manière même de vivre, vécue dans l’ordinaire des jours, en pratiquant le culte « en esprit et en vérité » ? Jésus se situe dans la vie concrète et ordinaire des humains, et non pas d’abord dans des lieux religieux comme les synagogues et le Temple. Jésus passe la majeure partie de son existence publique en arpentant les routes de Galilée, en observant ce qui s’y passe, en rencontrant sans a priori des hommes et des femmes de toutes conditions qui vivent des histoires humaines. C’est cela qui intéresse Jésus. C’est dans cette vie quotidienne, et nulle part ailleurs que se joue pour lui la valeur de leurs vies.
Qu’a-t-il dit et qu’a-t-il fait ?
Jésus s’intéresse à l’existence des personnes, en les écoutant, en leur donnant de la reconnaissance, en les aidant à se libérer de ce qui les entrave, en mettant en relief ce qui est beau et bon humainement, en évoluant à leur contact. Il ne mégote pas son temps passé auprès des marginalisés, des réputés infréquentables, des déboussolés, des culpabilisés, des déséquilibrés… Jésus ne mâche pas ses mots pour dénoncer les impasses dans lesquelles peuvent s’égarer les vies humaines, y compris chez les croyants : l’hypocrisie, le mensonge, l’appât du gain, les combines religieuses, la routine, l’obsession des règlements et de la pureté rituelle au détriment de la promotion de la Vie, le goût des grandeurs, les attitudes machistes, le désintérêt pour les enfants, le culte des habitudes, le refus de s’interroger sur les façons de penser et de vivre… Il affirme haut et fort que la fidélité à Dieu passe par le service de son prochain, notamment celui qui souffre dans son corps, son esprit, son cœur.
Les lieux religieux sont très relatifs et le vrai culte se rend en esprit et en vérité. C’est la droiture du cœur qui manifeste la qualité de la pensée ou de l’action. Jésus ne crée pas de religion nouvelle, il met l’accent sur ce qui est le cœur de la sienne, en l’affinant, en l’approfondissant, en l’élargissant. Il s’engage en paroles et en actes sans craindre de créer des conflits avec les religieux et les bien-pensants, tout en respectant ses adversaires : il argumente, il démontre astucieusement… Il n’a pas peur des représailles. S’il sent venir et grandir la suspicion à son égard, s’il devine la menace qui pèse sur lui, il ne s’autocensure pas et prend consciemment le risque de se faire exclure. De fait, il sera exclu de la manière la plus radicale : on l’arrête, on lui fait un faux procès et on le fait mettre à mort par l’occupant romain comme opposant politique, raison qui n’est pas celle de ses détracteurs.
Jésus ne quitte pas sa religion de sa propre initiative. Il se dépense sans compter pour la rénover en profondeur. Les premiers temps, il croit que c’est possible, mais les conflits se multipliant, il en doute peu à peu, même s’il appelle jusqu’au bout à la transformation des consciences, à une conversion des habitudes de penser, à un retour aux fondamentaux de la religion juive rappelée par les prophètes. Il croit que ce qu’il sème par ses paroles et par ses actes de libération aura, quoi qu’il lui arrive, une fécondité. Il se sent inspiré par plus grand que lui. Ses quelques disciples, hommes et femmes, ne prendront-ils pas le relais ?
Après sa mort, ceux-ci vont commencer à proclamer, à l’opposé de la publicité officielle des religieux, que leur maître non seulement n’est pas le fossoyeur de la religion, mais qu’il est l’initiateur, par sa manière de vivre, du Royaume, ce monde nouveau que tout le monde attend, mais d’une manière inédite. Pour énoncer pareille affirmation, il a fallu pour les disciples expérimenter durant des mois la qualité d’existence de Jésus dans une vie quotidienne avec lui, avoir été subjugués par son autorité, son courage, sa droiture, son intelligence, son écoute et son accueil du tout-venant, sa fidélité à sa Source intime… Il n’est pas question pour eux de quitter leur religion natale, mais de lui insuffler l’esprit de Jésus… Ainsi annoncent-ils dans les synagogues la nouveauté de Jésus de Nazareth.
En dépit de la contradiction et des menaces portées par les adversaires de Jésus, ses disciples ne fléchissent pas. Cependant les disciples de Jésus finissent par être mis à la porte du judaïsme, par ses responsables qui ne supportent plus la concurrence et les déviances de la nouvelle voie. Les premières communautés chrétiennes naissent ainsi hors des murs du judaïsme. Petites communautés rassemblées par la mémoire vivante de Jésus et le souci de vivre à sa manière, qui s’autogèrent pour être fidèles à ce qui les anime et en témoigner. Cheminement qui ne va pas de soi si l’on en croit les tensions et les tentations dont parle Paul dans ses lettres, et qui pourtant se poursuit vaille que vaille durant un bon siècle et demi.
La passion de l’évangile
On sait ce qu’il advint de l’histoire qui a suivi : la prise de pouvoir des communautés au IIe siècle, par des épiscopes masculins (un par communauté) ; la présentation de Jésus comme victime sacrificielle pour le rachat des péchés ; l’imposition d’une seule foi chrétienne à travers les dogmes christologiques et trinitaires des IVe -Ve siècles, exprimée dans les catégories et les représentations de la culture grecque. Le dynamisme existentiel de la pensée évangélique, qui appelle à changer la vie, devient un savoir intemporel et immuable auquel il s’agit d’adhérer. Puis s’est produite au XIe siècle la déchirure entre les Églises occidentale et orientale, en Occident au XVIe siècle c’est la scission du protestantisme d’avec le catholicisme, dans un contexte de déliquescence, qui se caractérise par l’abolition de la hiérarchie religieuse apparue au IIe siècle.
Nous, animateurs du groupe Pour un christianisme d’avenir (1) nous nous retrouvons au XXIe siècle dans une Église catholique romaine infectée par toutes les maladies dénoncées en son temps par Jésus, tout comme par les déviances qui se sont introduites au cours des cinq premiers siècles. Comment nous situer ? Si nous nous inspirons du comportement de Jésus, nous ne déserterons pas notre Église natale : même si nous avons la conviction justifiée qu’elle ne se rénovera pas en profondeur, non seulement en Occident où elle est actuellement en chute libre, mais inévitablement dans les autres régions du monde où aura été cultivé l’esprit critique. Nous nous efforçons, comme Jésus en son temps, de dénoncer ce qui y est inacceptable, infidèle à sa pensée et à ses intentions. Nous gardons le souci de continuer à poser, de l’intérieur de notre Église, les questions de ceux qui l’ont quittée, de gré ou de force, et de certains qui la rejettent pour des raisons proches de notre analyse. Nous nous employons en même temps à mettre en relief et à actualiser dans notre culture, ce qu’est l’appel de Jésus à vivre en humain, à la fois en paroles et en actes. Nos moyens : des publications, des rencontres, un travail en réseaux avec des groupes et des instances dont nous sommes proches, et au sein de petites communautés, un lien étroit avec les chrétiens « libéraux » d’autres Églises.
Cela suppose que nous consentions à exister sans complexe en marge du système catholique, tout en faisant la différence entre l’Église et l’Institution catholique. L’Église au sens profond du terme est la communauté des disciples qui s’essaient personnellement et ensemble à vivre de l’esprit de Jésus. Dans l’Église catholique romaine, il ne manque pas d’hommes et de femmes qui vivent authentiquementet qui témoignent de l’Évangile, avec des représentations diverses de la foi. L’Institution catholique, par contre, c’est l’organisation, la structure qui fait fonctionner l’ensemble, et qui n’a pas grand-chose à voir avec ce que voulait Jésus. Cela dit, il faut s’attendre à ne pas être très bien vus, voire suspectés et mis sur la touche. Rester dans le catholicisme d’une manière marginale, mais visible est pour nous, après mûre réflexion, la voie que nous choisissons maintenant. Elle est bancale et inconfortable, mais elle s’enracine dans un mouvement souterrain de chrétiens, largement éparpillés, qui gardent la passionde l’Évangile.
Jacques Musset
(1) Robert Ageneau, Serge Couderc, Paul Fleuret, Jacques Musset, Philippe Perrin, Marlène Tuininga, GroupePour un christianisme d’avenir : pourunchristianismedavenir@gmail.com
Source : Golias hebdo n° 707, p. 19.