Migrants : « La mission de SOS Méditerranée est un chemin d’humilité et les personnes rescapées nous apportent une force d’humanité »
« Nul ne pousse ses enfants sur un bateau à moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre ferme » (Warsan Shire, poétesse britannique) : ces mots résonnent avec une terrible actualité, au moment où de nombreuses personnes rejoignent les côtes méditerranéennes de l’Europe à l’occasion des vacances, tandis que d’autres tentent désespérément de les atteindre pour fuir une vie sans avenir.
Depuis 2014, plus de 24 300 personnes ont officiellement perdu la vie en Méditerranée en tentant de rejoindre les côtes européennes, plus de 19 600 d’entre elles ont perdu la vie en Méditerranée centrale, ce qui en fait la voie migratoire la plus mortelle du monde (Source : OIM). Année après année, jour après jour, les naufrages se succèdent et cette tragédie se poursuit. En avril 2021, les équipes à bord de l’Ocean Viking, le navire-ambulance de SOS Méditerranée, ont été les témoins d’un terrible désastre en mer. 130 personnes embarquées sur une fragile embarcation pneumatique se sont noyées, victimes du manque de coordination des autorités libyennes. Le pape François avait parlé de « moment de la honte » et une commissaire européenne de « tragédie européenne ».
Mais au-delà des chiffres ce sont autant de visages de frères et sœurs en humanité qui ont été happés par les flots.
Alors, quels mots écrire afin de rendre compte de cette injustice, de la violence de cette indifférence face à ces personnes qui continuent de mourir en mer dans d’horribles conditions ? L’Europe serait-elle en train de perdre les valeurs dont elle se réclame tant ? La responsabilité et l’autorité ne sont pas incompatibles avec la solidarité, l’hospitalité et la fraternité. Il n’est pas acceptable de laisser s’installer cette banalisation d’une route de la mort entre les rives Sud et Nord de la Méditerranée.
Les citoyennes et les citoyens européens font preuve d’une solidarité remarquable dans les crises humanitaires. La mobilisation suite à la guerre en Ukraine en est un exemple, tout comme l’initiative même de la création de SOS Méditerranée. Les États européens ont montré que des solutions et des moyens sont possibles, la mise en place d’une flotte européenne de sauvetage permettrait de sauver des milliers de vies et comme le montrent plusieurs études, sans que cela en pousse d’autres à tenter cette traversée périlleuse.
Les témoignages que nos équipes à bord reçoivent sont unanimes sur les terribles atteintes aux droits humains dans les camps de détention en Libye. Le 6 juillet dernier, lors de la 50e session du Conseil des Nations Unies pour les droits humains, la Mission indépendante d’enquête (FFM) en Libye a confirmé « les violations généralisées et systématiques des droits humains envers les migrants ». Elle a aussi rappelé qu’il existait « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité sont commis contre des migrants en Libye ».
Face à ces témoignages de terribles atteintes aux droits humains, la mission de SOS Méditerranée est un chemin d’humilité et les personnes rescapées nous apportent une force d’humanité.
Depuis le début de l’année 2022, les équipes à bord de l’Ocean Viking ont sauvé plus de 1 500 personnes. Ces personnes, nouveau-nés, enfants en bas âge, mineurs non accompagnés, femmes dont certaines enceintes, hommes ont été secourues dans les eaux internationales alors qu’elles étaient à bord de fragiles embarcations en détresse. Certains avaient passé plus de 48 h dans ces embarcations, elles étaient toutes en danger de mort et dans une détresse absolue. Après avoir fui la Libye « l’enfer pour de vrai » pour reprendre les mots d’un rescapé, elles ont parfois été confrontées avant le sauvetage à la disparition de leurs proches engloutis par la mer. À plusieurs reprises depuis le début de l’année, des rescapés ont témoigné d’événements tragiques survenus quelques heures avant leur sauvetage. Des personnes sont tombées par-dessus bord et toutes n’ont pas pu remonter à bord de leurs fragiles embarcations.
En mai dernier, les personnes rescapées ont dû attendre dix jours avant qu’un port sûr de débarquement ne soit désigné. Cette période d’attente, d’incertitude est une souffrance supplémentaire pour toutes les personnes rescapées à bord. Ce retard injustifié dans l’attribution d’un lieu sûr de débarquement pour les personnes rescapées est contraire au droit maritime international qui stipule clairement que les états doivent prendre les dispositions nécessaires pour que ce débarquement ait lieu dans les meilleurs délais raisonnablement possibles.
À l’heure où j’écris ces lignes, 387 rescapés sont à bord de l’Ocean Viking, ils ont été sauvés, épuisés après avoir passé des heures en mer sous un soleil torride. N’oublions pas cette crise humanitaire silencieuse en Méditerranée aux portes de l’Europe à quelques centaines de kilomètres des côtes italiennes. La vie n’a pas de prix, le sauvetage en mer est un devoir moral et légal. Face à l’absence des États, SOS Méditerranée poursuit sa mission essentielle afin de continuer à sauver des vies.
Les équipes à bord de l’Ocean Viking, mains tendues d’une grande chaîne solidaire de citoyennes et de citoyens européens, permettent à ces femmes, ces hommes, ces enfants de se rapprocher à nouveau de l’humanité, lorsqu’ils arrivent à bord ils retrouvent des regards de fraternité et une hospitalité inconditionnelle.
Les témoignages des personnes rescapées qui relatent leurs parcours nous bouleversent. « Le meilleur souvenir de ma vie c’est aujourd’hui » : ces paroles chaleureuses d’un jeune rescapé de 17 ans sont un phare au milieu de cette tragédie, ils nous donnent force et détermination pour poursuivre la mission indispensable de SOS Méditerranée.
Le triplement du coût du carburant marin a un impact important sur notre budget. Le soutien des dizaines de milliers de donatrices et donateurs, et la mobilisation des centaines de bénévoles qui nous accompagnent nous permettent d’être présents dans cette zone humanitaire où nos marins sauveteurs tendent la main pour sauver des vies. Une journée de sauvetage a un coût de plus de 14 000 euros, chaque don est un message solidaire.
Merci de répondez à ce S.O.S. Votre don est vital pour sauver des vies.
François Thomas
(Président de SOS Méditerranée France)