L’islam et les chrétiens d’Orient
Le 29 juin dernier, au Collège des Bernardins, à Paris, la Fondation de l’Islam de France (FIF), en collaboration avec l’Œuvre d’Orient, accueillait une conférence intitulée « l’Islam et les chrétiens d’Orient ». Vaste sujet que les « chrétiens latins » connaissent peu malgré une actualité de plus en plus tragique dans cette partie du monde où naquirent les trois principaux monothéismes. Sujet brûlant où clichés et préjugés font bon ménage, peurs et rejets aussi.
Le président de la FIF, Ghaleb Bencheikh, donne le ton de l’évènement qui s’inscrit dans une recherche de la paix et d’un vivre ensemble harmonieux : « Il ne peut y avoir de paix dans le monde s’il n’y a pas de paix entre les traditions religieuses… Ce qui se passe pour les chrétiens en Orient procède de causes pluriséculaires et plus récemment de la monstruosité idéologique, politique et religieuse de Daech. » Il présente brièvement la Fondation de l’Islam de France : lieu de refondation de la pensée islamique qui est appelée à passer d’une théologie passéiste à une exégèse exigeante, ouverte à une vraie rencontre entre croyants ou non. « D’abord voir chez soi, en soi, est un enjeu de civilisation qui conduit à une spiritualité saine et pourquoi pas sainte ! »
Une première table-ronde réunit notamment Christian Makarian, historien libanais maronite et Charles Personnaz, par ailleurs directeur de l’Institut national du patrimoine, mais également engagé auprès de l’Œuvre d’Orient, et président d’un fond de soutien aux écoles chrétiennes du Moyen-Orient. Ils vont montrer l’extrême complexité historique et géopolitique de ce Proche et Moyen-Orient. Pour le premier, « parler des chrétiens d’Orient, c’est faire l’archéologie de l’islam. Il y a un fond fraternisant entre les traditions musulmane et chrétienne ». L’histoire montre que les conflits ont d’abord eu des causes politiques, économiques et culturelles, les hommes les maquillant souvent en causes religieuses. Les chrétiens d’Orient sont des sémites présents bien avant l’expansion de l’islam et de ses cultures. Ils seront dominés, sauf rares lieux et périodes, pendant des siècles par les empires arabe, perse, turc. Pour sortir du joug ottoman, fin XIXe, ces « chrétiens d’Orient » – terme donné par les Latins à leurs frères qu’ils ne voyaient pas toujours sans un certain mépris – furent, pour ceux de langue arabe, les pionniers de l’arabisme et souvent fondateurs de partis laïques qui prônaient liberté d’expression et pluralisme politique.
Quel avenir pour ces chrétiens ?
Si certains restent ou reviennent, regarder les statistiques démographiques historiques montre que les nuages noirs ne se dispersent guère. Qu’en est-il du dialogue interreligieux ? Même dans les espaces, encore nombreux il y a peu, où régnait une entente cordiale de proximité entre familles sunnites, chiites et chrétiennes, force est de constater que, sauf exception, la grande majorité des musulmans du Proche et Moyen-Orient ne voit pas l’intérêt d’aller plus loin dans un « vivre ensemble ». Beaucoup de chrétiens, surtout chez les jeunes, concluent : « Pas de liberté, pas de rêve ici ! » Nombreux sont ceux qui ne choisissent l’exil que contraints. Les diasporas des dix-sept Églises officielles chrétiennes sont nombreuses aux USA, Canada, Australie, Brésil, Inde. « Elles forment des communautés bien vivantes. Ce sont les apôtres de la mondialisation à leur manière » résume avec optimisme Christian Makarian. Charles Personnaz montre la nécessité et l’urgence, côté Œuvre d’Orient, d’agir en faveur du patrimoine du christianisme oriental en le protégeant sur place et en le faisant connaître en France. Ce très riche patrimoine est le témoin de l’enracinement et de la légitimité des chrétiens dans les sociétés orientales.
La seconde table-ronde réunit notamment Ghaleb Bencheikh et Mgr Pascal Gollnisch, délégué général de l’Œuvre d’Orient. Cette dernière, depuis 1856, est engagée auprès des chrétiens d’Orient dans vingt-trois pays au Moyen-Orient, dans la Corne de l’Afrique, en Europe Orientale et en Inde. En temps de guerre comme de paix, elle soutient l’action des évêques, des prêtres et des congrégations religieuses qui interviennent auprès de tous, sans considération d’appartenance religieuse.
Pascal Gollnisch commence par adresser un vibrant remerciement à tous les amis musulmans qui condamnent les agissements de ceux qui, au nom d’une religion, veulent imposer leurs idéologies et leurs modes de vie. Il plaide ensuite pour le dialogue interreligieux qui « enrichit notre foi chrétienne », invite à être des guetteurs, des veilleurs, souvent ignorés des médias et quelquefois en difficulté dans leur propre communauté. Les chrétiens d’Orient, perçoit-il, ont souvent une vraie relation d’amitié avec les musulmans car ils vivent avec eux, « Mais, il y a une peur qu’il faut entendre. » Il y a une pression sociale, des discriminations et un ressenti d’avoir de la difficulté à exister. Il y a un chemin à construire, on doit régler des questions très concrètes comme l’impossibilité actuelle d’un mariage entre un chrétien et une musulmane (sauf si ce dernier se convertit à l’Islam), le droit de changer de religion ou de ne pas en avoir.
Il met en garde contre le confessionnalisme, cette pensée raciste moderne, ce nationalisme qui génère des conflits. La question du communautarisme fait problème quand un gouvernement « joue » les minorités contre d’autres minorités – comme en Syrie et ailleurs. Alors, comment, dans un tel contexte de déliquescence étatique, faire du fraternel, reconstruire du commun dans une société plurielle ?
Pour Ghaleb Bencheikh, répondre à cette question demande du courage, mais pas seulement. C’est une question de responsabilité :
« Dire et faire ce qu’on pense être juste !…
Ce n’est pas parce qu’on est sommé de se désolidariser de tel ou tel agissement ou conviction, qu’on ne peut pas le faire comme citoyen et comme homme de foi. Je dois dénoncer ce qui est injuste. » Il énumère quelques questions fondamentales auxquelles l’islam va devoir effectivement se confronter, comme reconnaitre la liberté individuelle de choisir sa religion ou de ne pas en avoir, ou encore l’égalité hommes-femmes. Il y a des raisons intrinsèques et extrinsèques pour expliquer la stagnation de la pensée en islam, poursuit-il. Le chantier de la liberté est immense, plus particulièrement, celui de l’exégèse – sortir de l’apologétique –, ceux de la gouvernance et de l’éducation. Il faut le retour des chrétiens d’Orient. « On reconnait un bon État à l’aune de ce que vivent les minorités » conclut-il.
Pascal Gollnisch déplore l’extension des fondamentalismes tous azimuts, dans le catholicisme, le protestantisme, l’orthodoxie, l’islam, le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme et chez les « laïques ». Cette évolution de nos sociétés vers plus de radicalisme fait peur, génère de la désespérance et pose avec plus d’acuité la question de la transmission, de la communication dans un monde moderne et de plus en plus « tribal ». En France, malgré l’avertissement de Régis Debray en 2002 et de bien d’autres, l’éducation aux valeurs du « vivre ensemble », de l’hospitalité réciproque, semble en échec. Pour Pascal Gollnisch, il faut faire connaître la vie ou la survie des chrétiens d’Orient : « Pour nous, les chrétiens latins, il faut nous décentrer, sortir des caricatures, relire une histoire complexe et sur-instrumentalisée, désirer être des ponts et œuvrer en ce sens. » Il ajoute : « Nous autres croyants, avons une vision de la personne humaine. La force des chrétiens d’Orient, c’est leur idéal évangélique, être au service de tous dans les écoles, les hôpitaux, les centres sociaux… Le travail, c’est l’humain. « L’Homme est la route que l’Église doit emprunter (Redemptor hominis, 14). »
Les questions du public porteront sur les questions de droit, – tension entre droit individuel et droit communautaire ; d’un éventuel lien entre la crise actuelle de l’islam sunnite et la crise moderniste dans le catholicisme au XIXe siècle ; de la place des femmes dans les cultures du Proche et Moyen-Orient ; du problème colonial en Palestine que subissent musulmans et chrétiens.
Ghaleb Bencheikh, en conclusion, résume les défis et enjeux que pose la crise politique culturelle, et spirituelle au Proche-Orient où les questions de la place des femmes et de celle des sciences sont prioritaires : « Oui à la déwahhabisation ! Oui à un risorgimento de l’islam ! »
Jean-Marc Noirot
Source : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/07/04/lislam-et-les-chretiens-dorient/