Charles de Foucauld, un exemple ?
Le dimanche 15 mai a été canonisé Charles de Foucauld. Sa vie est trop connue pour qu’on y revienne. Cependant il nous semble intéressant de nous pencher sur son cas très singulier. Canoniser quelqu’un, c’est demander aux chrétiens de prendre exemple sur lui. Dire qu’il est « au ciel » n’a pas grand sens, nous ne savons rien de l’au-delà si ce n’est que nous croyons (il y faut la foi) que nous sommes tous appelés à la vie de Dieu, pas seulement ceux qui servent d’exemple. Alors quel exemple nous donne-t-il ?
D’une part on peut dire que sa vie est sujet de controverses. Voilà un ancien officier, puis explorateur, qui s’enterre au milieu du désert. Et là il voudrait convertir les Touaregs. Il est tout-à-fait dans l’air de son temps : il faut convertir les païens, en n’hésitant pas à se faire aider par la colonisation. A ce que l’on sait il renseignait les officiers de l’armée française, avec l’idée que si la France arrivait à s’implanter la conversion des populations serait plus abordable. Le sabre et le goupillon « AMDG », « à la plus grande gloire de Dieu » ! À sa décharge, c’est en s’enfouissant parmi les Touaregs qu’il espérait les convertir, par l’exemple de sa vie, quand, ailleurs, les méthodes d’évangélisation étaient plus directes... Pour l’exemple, il faut chercher ailleurs.
Il a mené une vie d’abnégation, de pauvreté et d’adoration du Saint Sacrement. Mais là encore, est-ce un bon exemple ? L’abnégation pour elle-même a-t-elle un sens ? Ce n’est pas évident. Et que signifie le Saint-Sacrement ? L’Eucharistie, le pain et le vin, « présence réelle » de Jésus Christ parmi nous, a-t-elle un sens si ce n’est pas le pain partagé ? Le Christ est présent parmi nous quand nous partageons le pain en rappelant le repas de la Cène intimement lié à la Croix et la Résurrection. N’y a-t-il pas un peu d’idolâtrie dans cette adoration du Saint Sacrement coupé de tout ? On s’en sort en disant que lorsqu’il consacrait le pain, en esprit il le faisait en union avec l’Église et il vivait ainsi ce partage avec tous les hommes. Mais enfin, est-ce un exemple à suivre ?
Et pourtant Charles de Foucauld nous interroge, il ne nous laisse pas indifférents, on sent en lui une mystique sincère et surtout vraie. On ne peut donc pas s’arrêter à ces difficultés rencontrées quand on considère sa vie.
Qu’est-ce que sa vie a apporté au monde ? Là est la question fondamentale. Et la réponse, paradoxale, semble être : rien. Il vivait seul au fond du désert, il y a été assassiné seul. Il n’a pas converti les Touaregs et son exemple n’a pas été suivi par ses amis officiers qui « pacifiaient » les lieux, il n’a réuni personne autour de lui. Là se trouve le mystère de sa vie qui nous interroge. Il a été humainement totalement inefficace. Parti annoncer la Bonne Nouvelle, il n’a pas été entendu.
Sa vie est exemplaire, à notre avis, en cela qu’il a été totalement fidèle à sa vocation malgré l’échec patent qu’il vivait. Sa confiance en Dieu était telle qu’il n’a pas dévié, malgré les doutes qui devaient bien le miner. Il nous enseigne, à son corps défendant peut-être, que l’efficacité de notre témoignage de Jésus Christ n’est pas mesurable par nous. Nous ignorons toujours les résultats de notre mission. Ce n’est pas celui qui semble écouté qui peut être certain d’être « efficace » aux yeux de Dieu. Il nous enseigne que c’est l’Esprit qui travaille à travers nous, mais que ce n’est pas nous qui menons les choses. Notre action est au service de l’Esprit. Et c’est après sa mort que son « efficacité » a pu apparaître. Il n’a pas pu fonder de congrégation religieuse comme il le projetait, mais après ont éclos les « petits frères » et les « petites sœurs ». Si lui n’a pas évangélisé, les petits frères (presque disparus aujourd’hui, mais qu’importe, d’autres prendront le relais), eux, ont évangélisé. Rappelons l’action du Père Voillaume et de tous ces prêtres ouvriers vivant de la spiritualité de Charles de Foucauld. Quant aux petites sœurs, elles ont essaimé partout dans le monde, au service des plus démunis, et elles sont encore bien là.
C’est donc l’espérance que Charles de Foucauld nous donne en exemple, espérance fondée sur notre engagement plein à la suite du Christ, espérance malgré l’échec patent de l’Église aujourd’hui. Espérance et humilité, nous sommes des instruments de l’Esprit. Nous ne savons ni où, ni quand, mais si nous sommes fidèles nous savons que l’Esprit travaille. Cela ne nous dispense pas de nous atteler à la tâche, il n’est pas question d’attendre passivement que les résultats tombent, c’est par nous que l’Esprit passe. Mais il le fait sans nous en informer.
C’est un peu vexant, mais c’est ainsi.
Marc Durand