Ascension 2022

Publié le par Garrigues et Sentiers

 

Un cycle se termine. Depuis quarante jours nous naviguons sur un petit nuage, nous sommes sauvés, l’Apocalypse nous a fait rêver du triomphe total qui nous attend (sans minorer les combats qu’il va falloir mener). Par l’Ascension, la disparition de Jésus, nous sommes ramenés sur terre : « Galiléens, que restez-vous à regarder le ciel ? » (Ac 1, 11). Nous entrons dans un autre temps, intermédiaire entre le départ de Jésus et la venue de l’Esprit.


Chez les trois synoptiques, tout se passe en à peu près une journée, l’Ascension suit immédiatement la Résurrection : mort, Résurrection, Ascension sont le même mouvement, on ne peut les séparer. Chez Jean on observe un décalage de huit jours qui laisse le temps à Thomas de reconnaître le Ressuscité, et il n’est pas question d’Ascension.

Et voilà que le même Luc parle dans les Actes de 40 jours, nécessaires à un enseignement final de Jésus à ses apôtres, qui ont bien du mal à croire :

« il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu » (Ac 1, 3). Le but de son texte n’est pas le même que dans son évangile. Il s’agit dans les Actes d’exposer la marche des disciples vers la fondation du peuple sauvé par Jésus. On ne peut pas encore parler d’Église instituée, mais de tout un cheminement au cours duquel les actes des apôtres sont décrits en parallèle avec ceux de Jésus : Jésus part de Galilée pour monter au centre du Judaïsme et y être jugé, condamné et exécuté ; Paul passe par Jérusalem pour se faire adouber et monte vers Rome pour y être jugé et probablement exécuté (aucun texte ne décrit son exécution). Rome est le centre du monde connu par ceux qui écrivent alors, cette montée vers Rome souligne l’universalisme du message, adressé d’abord par Jésus aux Juifs, à Jérusalem : « la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem » (Lc 24, 47).

 

Il se trouve une autre différence fondamentale entre les textes des synoptiques et celui des Actes au sujet de l’Ascension. Chez Mathieu et Luc, les disciples se prosternent devant Jésus, considéré ainsi comme souverain (Mt 28, 17 ; Lc 24, 52). Mathieu insiste en faisant dire à Jésus : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28, 18). Marc, plus explicite, écrit : «[Jésus] fut enlevé au ciel et s’en alla siéger à la droite de Dieu » (Mc 16, 19). Ainsi, dans ces textes, Jésus a acquis la souveraineté universelle sur le monde et les disciples sont envoyés dans le monde dans la soumission à cette royauté.

 

Il en va autrement dans les Actes, écrits par Luc, eux aussi1. Ce texte développe un peu ce qui se passe et commence par la question qui devait tarauder les disciples, surtout après l’échec de la Croix et leur désillusion : « est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir le Royaume en faveur d’Israël ? » (Ac 1, 6), soit en termes plus triviaux : « vas-tu enfin bouter dehors nos ennemis et refonder notre Royaume ?» avec l’espoir des bonnes places pour les amis ! Et Jésus d’évoquer « le temps et l’heure que le Père a fixés de sa propre autorité » (Ac 1, 7). Jésus renvoie les disciples à la souveraineté du Père, pas la sienne, et à l’avenir en gestation, l’eschatologie (le temps et l’heure). Il se contente de promettre de leur donner la force nécessaire à leur mission de témoins. Quant aux anges, ils viennent confirmer que c’est sur terre que les choses se passent, et que Jésus a laissé la place vide. Le trône de David est resté vacant, Jésus ne l’occupe pas. « Il se tient maintenant pour nous devant la face de Dieu » (He 9, 24). Le lieu du pouvoir est laissé vide, aux hommes de l’occuper, sans faire de Jésus une idole qui justifierait leurs actes. Le Christ règne...mais ne gouverne pas.

 

Ainsi ce récit de l’Ascension nous invite à nous mettre au travail pour organiser un monde fidèle à l’enseignement de Jésus, un monde appelé à faire fructifier l’amour entre les hommes dans la reconnaissance de l’amour du Père. La construction des liens sociaux nécessaires au développement de cet amour, la construction des communautés au sein desquelles les hommes pourront vivre de cet amour, tout cela est de notre responsabilité. Jésus ne siège pas sur le trône de David, ce qui lui permettrait de tout gouverner,

faisant de nous de simples intendants.
Les textes de l’Apocalypse nous ont révélé ce vers quoi nous tendons, ils décrivent la Parousie qui doit succéder à nos luttes, ils nous renvoient à la fin de l’Histoire. Mais pour le moment redescendons sur terre, le temps pascal est clos, nous vivons dans l’heure de nos combats pour lesquels le Christ nous laisse notre entière responsabilité.

 

Marc Durand

 

1 – On peut discuter pour savoir si c’est bien le médecin Luc qui est l’auteur, ce qui semble établi est que c’est le même auteur (ou le même groupe) qui a écrit le 3ème évangile et les Actes.

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