Nativité

Publié le par Garrigues et Sentiers

Nativité du Maître de Salzbourg v.1400,  Kunsthistorisches Museum, Vienne

Nativité du Maître de Salzbourg v.1400, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Noël, fête de l’Incarnation. Qu’est-ce à dire, au-delà de tout un enseignement sur la façon qu’a Dieu de se présenter à nous, d’entrer en relation avec nous ? Avant de méditer sur l’enseignement porté par le récit de la Nativité ou sur l’essentiel de l’enseignement de Jésus, arrêtons-nous sur ce que peut signifier ce plan de Dieu révélé dans l’Incarnation du Verbe.

Osons le dire : plus on médite sur l’Incarnation, plus le mystère s’épaissit, nous obligeant à renoncer aux images assez simplistes que nous nous forgeons. Il s’agit du plan de Dieu, rien de moins. Le Prologue de Jean nous y introduit : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en face de Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1).

Dieu est relation entre le Verbe et l’Un, dans l’Esprit. L’Un sort de lui-même en se projetant dans le Verbe, lié à Lui par l’Esprit. Cela constitue la Trinité, Dieu trine et Un.

À cela s’ajoute que depuis toujours Dieu a voulu sortir hors de soi, projetant son Verbe dans des êtres créés à cet effet, créés donc finis, afin de les attirer à Lui. De tout son être, Dieu est sorti de soi pour nous prendre avec soi. La création n’est pas un acte de toute puissance (« Je crois au Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre »), mais un acte d’amour. Dieu crée pour aimer. Ce monde créé, c’est notre monde, c’est nous. Monde marqué par le temps et la finitude. Alors, par son Verbe, Dieu est entré dans le temps et dans la finitude, « et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14) ; « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. En lui était la Vie (1), et la Vie était la Lumière des hommes ; et la Lumière luit dans les Ténèbres et les Ténèbres ne l’ont point arrêtée » (Jn 1, 3-5).

Le Verbe est alors devenu le Fils par qui nous sont données la lumière et la Vie. Jean ne dit pas que le Verbe est Jésus, c’est tout au long de sa vie que doit se dévoiler la parfaite intimité entre Jésus et son Père, la Résurrection nous signifiera que le Fils est Dieu auprès du Père.

Jésus est déclaré par Paul « le premier né de la Création » (Col 1, 15) car c’est par le Verbe que tout a été créé. Il est « le premier né d’entre les morts » (Col 1, 18) parce qu’à travers sa mort il a été ressuscité pour vivre éternellement comme Fils. Nous sommes nés dans la suite de ce « premier-né », ce qui fera de nous des fils comme lui se révèlera le Fils de Dieu. Ainsi le salut consiste en ceci : grâce à la Vie du Verbe en Jésus, ce dernier, devenu Christ, nous permet à nous aussi de devenir fils, ce qui est de tout temps le projet du Père.

Cela semble bien abstrait. C’est pourtant la source de notre espérance. L’Incarnation, projet éternel de Dieu, change totalement notre condition humaine. A la suite du « Premier né » nous entrons dans un monde nouveau qui trouve sa source dans l’amour de Dieu, monde nouveau promis à la Vie éternelle : « Car voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 65, 17) et encore : « Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap 21, 5).

Noël nous annonce que notre monde n’est plus ce qu’il apparaît, il s’inscrit dans l’acte d’amour qui est le cœur de la vie de Dieu. La Révélation de Dieu par Jésus est que l’être même de Dieu est ce don de l’amour qui nous fait fils. Pour nous faire fils, le Verbe s’est incarné en Jésus, vrai homme né d’une femme (et dans une histoire précise – la généalogie du premier chapitre de Mathieu nous le certifie et cite son père Joseph) et mort comme tout homme. Parallèlement le Verbe est engendré par le Père depuis toujours et le Père a ressuscité Jésus pour l’éternité. Notre histoire est vécue sur deux plans, celui qui va de notre naissance à notre mort, et celui qui s’inscrit dans le projet de Dieu pour nous, depuis toujours et pour toujours. Ce second plan est celui du monde nouveau dans lequel nous sommes appelés grâce à l’Incarnation. À la suite de Jésus, nous sommes des hommes nouveaux, toutes nos vies sont transformées jusque dans leur fondement.

Ainsi l’Incarnation est l’irruption du Dieu infini, éternel et inconnaissable dans notre humanité finie, temporelle dans laquelle il se révèle. Elle est aussi pour nous l’élévation de notre condition terrestre (finie et temporelle) à la dignité de fils appelés vers la vie de Dieu. L’Incarnation, acte de « descente » de Dieu vers nous, est en même temps exhaussement (assomption) de nous vers lui. Elle nous concerne dans notre vie autant qu’elle est au cœur de la sienne.

Dans le temps de sa nativité, Jésus nous révèle qui Dieu veut être pour nous. Il naît dans le dénuement (une mangeoire), hors de chez lui (à Bethléem de Judée et non à Nazareth en Galilée, son pays, sans parler de la fuite en Égypte !), dans le rejet des autres (il n’y avait pas de place à l’hôtellerie) mais reconnu par les plus pauvres, les plus marginaux, des bergers. Il est né « hors les murs » a écrit Jacques Gaillot. Bien sûr nous avons là un conte de « légende dorée », mais plein d’enseignement. Matthieu, comme ses contemporains, n’attendait pas un tel messie, il a dû faire tout un chemin de compréhension pour s’y résoudre et nous écrire cette histoire.

L’enseignement de Jésus qui suivra pourra se résumer à l’annonce du Salut qui est le don de la Vie, la Vie de Dieu, appelée souvent « Vie éternelle » (1). La Nativité ouvre l’avenir, les miracles qui vont accompagner les actions de Jésus seront les signes d’un appel à sortir de soi-même pour recevoir la Vie véritable, pas celle que nous devons « haïr » mais celle qui advient si nous la désirons. Les guérisons des boiteux, des sourds, des muets sont le signe du don de Dieu à ceux qui veulent vivre. « Veux-tu guérir ? » (Jn 5, 6) demande-t-il à l’infirme. Quelle question ! À moins qu’elle signifie pour lui « veux-tu la Vie ? », question récurrente de Jésus à ceux auxquels il offre la guérison : sortir de leurs enfermements pour faire advenir la vraie Vie.

Ce ne sont pas des « miracles » qui marqueraient la puissance de Jésus, ils sont le signe du don de Dieu qui est surabondant. Quand Jésus multiplie les pains, chacun reçoit à la mesure de ce qu’il est prêt à recevoir, et il y a surabondance (12 corbeilles !). « Moi je suis venu pour qu’on ait la Vie et pour qu’on l’ait en abondance » (Jn 10, 10) et encore : « Qui aime sa vie [cette vie en ce monde, engluée dans nos désirs, nos fermetures] la perd, et qui hait sa vie en ce monde la conservera en Vie éternelle » (Jn 12, 25) (1).

La Nativité a renouvelé la face de la terre, elle nous a immergés dans le plan d’amour de Dieu, plan existant depuis le commencement et pour l’éternité, plan d’amour qui fait partie de l’être de Dieu. Y croyons-nous ? Avons-nous la volonté, le désir au moins, de nous ouvrir à ce don, à le faire fructifier dans nos vies ? Tous les hommes, chrétiens ou non, peuvent choisir la vraie Vie qu’ils partagent alors avec les autres, à condition de sortir de l’enfermement de leur vie de ce monde. Est-ce notre cas ?

Marc Durand

1 – Dans son évangile, Jean use de deux mots distincts pour parler de la vie qui nous est accessible : celle « de ce monde » qu’il faut « haïr » pour trouver l’autre, et celle qui est relation avec Dieu. Nous écrivons avec un grand « V » quand il s’agit de cette dernière.

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