La synodalité au défi de l’aspiration démocratique
C’est un long et nécessaire processus, à l’issue incertaine, que vient d’enclencher le pape François.
Le document préparatoire au prochain Synode de 2023 sur la synodalité (et la collégialité) dans l’Église a été rendu public, par le Vatican, le mardi 7 septembre. Cette publication donne le coup d’envoi d’un long processus, étalé sur deux ans. Son enjeu est considérable car il porte en germe une double révolution copernicienne pour l’Église. Contre une conception cléricale de l’institution, aujourd’hui mise en accusation à travers une multitude de scandales, il entend réaffirmer que c’est à l’ensemble du peuple de Dieu – invité à « marcher ensemble » (signification du mot synode) – qu’est confiée, depuis toujours, la mission d’évangélisation. Dans une Église catholique fortement marquée par la centralisation, au nom de l’unité, il entend ouvrir, progressivement, à une légitime diversité dans la communion. Une manière pour l’Église de tenter de combler le fossé qui ne cesse de se creuser entre ses modes d’exercice de l’autorité et les aspirations de nombre de ses fidèles, fils et filles de la modernité démocratique. Sans renoncer pour autant, rappelle le pape, à sa structure hiérarchique. Mince défi !
La nouveauté d’une phase de consultation « par continent »
La comparaison vient immédiatement à l’esprit entre ce Synode sur la synodalité et le précédent de 2014-2015 sur la famille. Différents, l’un et l’autre, des synodes antérieurs conformes au schéma établi en 1965 par le pape Paul VI. Comme pour le synode sur la famille, le prochain synode est prévu sur une durée de deux ans et il s’ouvre par une large consultation de l’ensemble du peuple de Dieu à travers le monde. Mais il diffère sur un autre point. Alors que le synode sur la famille prévoyait deux Assemblées synodales d’évêques successives (extraordinaire en octobre 2014 puis ordinaire en octobre 2015), celui-ci n’envisage qu’une seule Assemblée synodale à l’horizon d’octobre 2023. En revanche, et c’est là la nouveauté, elle sera précédée à l’automne 2022 par une phase « intermédiaire » au niveau de chaque continent. C’est là une innovation majeure qui dévoile bien l’horizon vers lequel le pape François veut conduire l’Église : un avenir où les Conférences épiscopales au niveau des Églises locales (c’est-à-dire dans chaque pays) et les Episcopats de continents marqués par des réalités économiques, sociales, politiques et culturelles différentes, pourraient effectuer des choix pastoraux qui leurs seraient propres, étant sauf le respect d’une même doctrine commune à tous. C’est, on le sait, l’ambition du pape François, telle qu’il l’exprime avec constance depuis son élection. Cela correspond à sa conviction qu’une saine – et légitime – diversité dans la communion est la seule alternative à un centralisme uniformisateur aujourd’hui mis en échec (1).
L’Église est par essence synodale
Que nous dit le texte préparatoire ? Que « le chemin de la synodalité est précisément celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire » expression extraite du discours du pape François lors de la célébration du 50e anniversaire de l’institution synodale. Que l’enjeu est : « La capacité d’imaginer un futur différent pour l’Église et pour ses institutions, à la hauteur de la mission qu’elle a reçue. » Que cette pratique fut celle de l’Église tout au long du premier millénaire puisque saint-Jean Chrysostome lui-même estimait que « Église et synodalité sont synonymes » ; qu’elle resta une réalité durant le second, malgré l’accent mis progressivement sur la fonction hiérarchique dans l’Église ; que Vatican II la remit à l’honneur dans un souci de fidélité à la Tradition authentique et qu’il convient aujourd’hui d’y voir le prolongement naturel, dans le temps, de l’aggiornamento conciliaire (2).
Le texte rappelle, en s’appuyant sur les Écritures, que « tous les baptisés participent à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ » (3). Et que c’est en s’appuyant sur le sensus fidei fidelium (le « bon sens de la foi » du peuple chrétien) que doit se construire, synodalement, un processus de communion qui, nous dit le Magistère, ne peut se confondre avec une délibération de type démocratique basée sur l’émergence de majorités. De ce point de vue, la démarche synodale est d’abord et par essence une expérience de nature spirituelle où les antagonismes ne peuvent être dépassés, au service du bien de la communauté ecclésiale, qu’en se mettant les uns et les autres à l’écoute de Dieu.
« Marcher ensemble, en Église », mais aussi avec la société
Enfin, et cela introduit directement sa fonctionnalité, le document rappelle qu’une démarche synodale doit s’ouvrir sur une large consultation qui suppose une écoute réciproque des uns et des autres. Une écoute qui dépasse les seules frontières de nos communautés et qui doit prendre en compte, outre la voix des autres « confessions » chrétiennes, celle des plus pauvres et des exclus de nos sociétés avec lesquels nous sommes aussi appelés à « marcher ensemble ». Car la « responsabilité partagée » que sous-tend la démarche synodale concerne non seulement l’annonce l’Évangile mais également « l’engagement à construire un monde plus beau ». La consultation qui a été lancée officiellement à Rome les 9 et 10 octobre, et dans tous les diocèses le dimanche suivant, s’adresse donc « aux prêtres, aux diacres et aux fidèles laïcs de leurs Églises, tant séparément que collectivement, sans négliger l’apport précieux qui peut venir des hommes et des femmes consacrés. »
Le document préparatoire définit enfin « Dix pôles thématiques essentiels à approfondir » formulés sous forme de questions, proches de la vie de chacun, qui représentent une aide à la réflexion et à la participation, soit indivi-duellement, soit en groupe. « Quels sont les lieux et les modalités de dialogue au sein de notre Église particulière ? Comment sont gérées les divergences de vue, les conflits et les difficultés ? » ou encore : « Comment est exercée l’autorité au sein de notre Église particulière ? Quelles sont les pratiques de travail en équipe et de coresponsabilité ? Comment sont encouragés les ministères laïcs et la prise de responsabilité de la part des fidèles ? »
Il se termine sur cette envolée, extraite du discours du pape François, le 3 octobre 2018, en ouverture du Synode sur les jeunes pour rappeler que le but du Synode, et donc de cette consultation, n’est pas de produire des documents, mais de « faire germer des rêves, susciter des prophéties et des visions, faire fleurir des espérances, stimuler la confiance, bander les blessures, tisser des relations, ressusciter une aube d’espérance, apprendre l’un de l’autre, et créer un imaginaire positif qui illumine les esprits, réchauffe les cœurs, redonne des forces aux mains. »
Pas de synodalité sans évêques formés pour la faire vivre
Il appartient désormais aux Conférences épiscopales et aux évêques, dans leur diocèse respectif, de mettre en œuvre ce processus de consultation (4). Exercice d’autant plus délicat que le calendrier romain peut venir, ici ou là, télescoper des dynamiques diocésaines déjà engagées sur la même période. Dans un article de la revue Christus, sœur Nathalie Becquart, désormais numéro deux de l’institution synodale, écrit ceci : « Pour se mettre en œuvre à tous les niveaux de l’Église tant locale qu’universelle, la synodalité a besoin de leaders aptes à conduire et accompagner des processus synodaux. Car, en régime catholique, il n’y a pas de synodalité sans primauté. (...) Pour mettre en œuvre la synodalité, pour déployer une pastorale synodale, l’Église a besoin aujourd’hui de pasteurs formés à la synodalité qui exercent un nouveau style de leadership – que l’on peut caractériser comme un leadership collaboratif – non plus vertical et clérical mais plus horizontal et coopératif. Un leadership de service qui se traduit par un nouveau rapport au pouvoir et une nouvelle manière d’exercer l’autorité qui se conçoit comme un service de la liberté » (5). Le premier défi de ce processus synodal qui en comporte de nombreux sera bien là : permettre l’expression et la prise en considération de toutes les opinions, même celles qui exprimeront une forme de défiance vis-à-vis d’un principe hiérarchique perçu comme source de dérives cléricales, et d’abus !
La synodalité n’est pas la délibération démocratique
Un second, intimement lié au premier, sera de convaincre sur une logique de communion là où s’expriment parfois des aspirations d’une autre nature, nées de l’immersion des fidèles dans des cultures démocratiques. Or le document préparatoire est tout à fait explicite : « la consultation du Peuple de Dieu n’entraine pas que l’on se comporte à l’intérieur de l’Église selon des dynamiques propres à la démocratie, basées sur le principe de la majorité, car à la base de la participation à tout processus synodal se trouve la passion partagée pour la mission commune de l’évangélisation et non pas la représentation d’intérêts en conflit. » (n°14)
Dans son livre Un temps pour changer publié à l’automne 2020, le pape François ne mâchait pas ses mots : « Chez les catholiques à la conscience isolée, les raisons de critiquer l’Église, les évêques ou le pape ne manquent jamais : soit nous sommes en retard sur notre temps, soit nous nous sommes abandonnés à la modernité ; nous ne sommes pas ce que nous devrions être ou ce que nous étions censés être. C’est ainsi qu’ils justifient leur retrait et leur scission de la marche en avant du peuple de Dieu. » Il poursuivait : « La synodalité commence par l’écoute de tout le peuple de Dieu. Une Église qui enseigne doit d’abord être une Église qui écoute. (...) Dans la dynamique d’un synode, les différences sont exprimées et polies jusqu’à ce que l’on parvienne, sinon à un consensus, du moins à une harmonie qui conserve les fines nuances de ses différences. » Mais au terme du processus : « Les disciples du Christ devraient aimer et écouter l’Église, la construire, en assumer la responsabilité, y compris dans ses péchés et ses échecs. Dans ces moments où l’Église se montre faible et pécheresse, aidons-la à se relever ; ne la condamnons pas et ne la méprisons pas, mais prenons soin d’elle comme de notre propre mère » (6). Tout était dit, déjà, de son état d’esprit à la veille de l’ouverture de ce synode dont les conclusions, à l’horizon 2023-2024 seront suivies « de la phase de mise en œuvre qui impliquera à nouveau les Églises particulières. »
La quête de communion connait aussi ses limites et ses échecs
La quête de « communion » pour mieux dépasser les limites de la délibération démocratique ? Voilà un débat, avec les différents acteurs de la société, qui aurait de l’allure, si nous n’étions pas à ce point corsetés par les tabous de la laïcité à la française. Signe des temps ? Ce plaidoyer pour la communion est au cœur d’un ouvrage récent écrit par trois jeunes catholiques (7). Mais dans ce “débat à la loyale“ qui traverse la conscience de nombreux catholiques attachés tant à leur Église qu’à la société démocratique dans laquelle ils vivent, l’arbitrage ne va pas de soi. Car la quête de communion connaît aussi ses limites et ses échecs. Vatican II fut incontestablement un grand moment de communion. La plupart de ses textes furent votés avec plus de 90% des suffrages. Ce qui n’empêcha pas le Schisme Lefebvriste. En 2007 le motu proprio de Benoît XVI Summorum pontificum fut sans doute motivé par un même désir de préserver la communion... Sauf que quatorze ans plus tard son successeur est contraint de l’annuler, précisément parce que, dans les faits, il a figé des comportements dans un « refus de communion » avec l’Église conciliaire.
Les quelques réflexions qui précèdent n’entendent, bien évidemment pas, relativiser l’importance de ce synode, majeur pour l’avenir de l’Église catholique, ni dissuader quiconque d’y apporter son concours. Elles voudraient simplement appeler chacun à une forme d’humilité et de respect au regard de jugements, parfois rapides, sur les convictions, la fidélité ou les requêtes des autres.
René Poujol
- On peut lire, dans cet esprit de décentralisation des responsabilités pastorales, la décision récente de François, dans son motu proprio Traditionis custodes, de confier la responsabilité du discernement dans les modalités de sa mise en œuvre à chaque évêque diocésain. De même son Exhortation apostolique post synodale sur l’Amazonie, si elle ne retenait pas l’idée d’ordonner des diacres permanents, semblait ne pas fermer la porte et renvoyer la maturation de ce dossier aux épiscopats concernés. L’un des enjeux du présent synode pouvant être de savoir si l’Église universelle accepte le principe d’une telle délégation. (voir le billet de mon blog)
- Ceci prouve bien que le « Concile réel » n’est pas réductible à des textes figés mais intègre un « esprit du Concile », une dynamique, une exigence qui est celle d’une inculturation permanente du message chrétien dans des sociétés diverses et plurielles en pleine évolution.
- C’est bien pourquoi chacun est baptisé « prêtre, prophète et roi » (même les femmes).
- « Pour accompagner et coordonner ce chemin synodal en France, une équipe a été constituée sous la responsabilité de Mgr Alexandre Joly, évêque auxiliaire de Rennes. L’équipe est composée du père Hugues de Woillemont, secrétaire général de la CEF ; de Guillaume Houdan, diacre du diocèse de Rouen ; de Lucie Lafleur, responsable de la pastorale des jeunes du diocèse de Belfort-Montbéliard ; et de la théologienne Agnès Desmazières, maîtresse de conférences au Centre Sèvres à Paris. » (La Croix)
- Revue Christus, n°270, avril 2021.
- Pape François, Un temps pour changer, Ed. Flammarion 2020, 224 p. (voir la recension du livre sur ce blog)
- Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, La communion qui vient, Ed. du Seuil 2021, 228 p. 20 €. J’en ferai prochainement recension dans ce blog.
Source : https://www.renepoujol.fr/la-synodalite-au-defi-de-laspiration-democratique/