Croissance sans but ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

La croissance, attendue comme un nouveau messie, devient but ultime (non plus simple moyen) de l’économie et, indirectement, de la vie sociale. Le problème, c’est qu’une réglementation grandissante pose des limites objectives qui la fragilisent. Pour maintenir, voire augmenter la croissance, il faudrait consommer toujours plus et, hélas, parfois n’importe quoi, comme les médias – et la pub (y aurait-il un lien entre eux ?) – nous le rappellent sans cesse. Le mauvais consommateur devient un mauvais citoyen… Mais que consommer et comment ?

Nous ne devons plus manger de viande, car la chair des animaux est pleine de substances nuisibles à notre santé (vache folle, cholestérol…) ; en outre, ils ont peut-être une âme et nous sommes des assassins de les tuer pour nous en nourrir.

Les végétaux – hormis les bio, et encore – sont bourrés de pesticides et autres ingrédients létaux (la preuve : les abeilles en crèvent). Le traitement des vignobles intoxique les viticulteurs. On ne peut pourtant pas se contenter d’eau, d'ailleurs polluée par les nitrates et les métaux lourds… Et puis, qui peut affirmer absolument que nous ne provoquons pas d’infinies douleurs à ces plantes, dont nous faisons nos soupes ou nos ratatouilles, qui sont également des organismes vivants ? Il existe une histoire d’Alphonse Allais mettant en scène un homme sensible à la souffrance animale qui ne chauffait jamais d’eau pour ne pas risquer de détruire les bactéries qui s’y trouveraient.

Il n’est pas plus facile de s’habiller. Des colorants utilisés par les Chinois donnent de l’eczéma ; au Bangladesh, on surexploite les femmes pour produire des vêtements à bas-coût. Pour le cuir, les vapeurs des produits utilisés rongent les poumons des Pakistanais. Aux Indes, la santé et l’avenir des enfants (parfois âgés de 6 ans à peine) se consument à fabriquer des tapis pour les touristes. Ils jouent aussi leur vie, en Amérique du Sud, à travailler dans des galeries de mines dangereuses. Il est vrai que, plus basses, elles reviennent moins cher à creuser ("compétitivité" que de crimes on commet en ton nom !). 

Nous gaspillons les énergies fossiles, qui polluent l’air à cause du chauffage au charbon ou des voitures roulant au mazout. La solution “non-polluante” du nucléaire menace notre existence même à travers le spectre des accidents d’exploitation (depuis Tchernobyl ou Fukushima, et sans compter Hiroshima, bien sûr !) et plus probablement parce qu’on ne sait pas encore très bien retraiter les déchets, ni les conséquences de stockages aléatoires. Certains mettent leurs espoirs dans les énergies renouvelables, mais dès qu’on parle d’installer des éoliennes, des protestations fusent : "ça va défigurer les côtes", même si elles sont installées à 15 km desdites côtes. Le solaire, lui, est couvert des nuages de promesses tarifaires non-tenues.

Quant aux transports, leur organisation pose de plus en plus de problèmes : trop de trafic et des encombrements sur les routes et dans les villes. En outre, la vitesse tue. Notons qu'à l’époque des déplacements et transports par animaux, il y avait déjà des “accidents de la route” (Cf. certains ex-votos conservés dans les églises du midi). Peut-être faudrait-il pourtant ré-assumer ce risque, puisqu’apparemment on a renoncé à éduquer les conducteurs à la prudence. En attendant, on diminue les vitesses autorisées, on voudrait même les réduire sur les autoroutes, pourtant créées pour se déplacer rapidement. Pour les mêmes raisons, on établit dans les villes et villages des sortes de chicanes destinées à réduire la largeur des passages, de façon parfois dangereuse. Pour les transports de masse, il aurait bien existé, afin de désengorger les routes des gros camions, le transport fluvial, mais on a privilégié la route et voulu protéger la "nature". On se souvient, par exemple, que le canal Rhin/Rhône n’a pu être achevé parce qu’il aurait traversé des zones de nidification de quelques oiseaux. Etc.

Que faire alors dans le maquis des législations confuses et des obligations contradictoires ?
Sommes-nous prêts à renoncer à la fée-électricité ?
Allons-nous promouvoir le rouet comme Gandhi ?
Les mères de famille pourront-elles se passer de 4X4 pour accompagner à l’école leurs enfants apparemment dépourvus de pieds ?
Allons-nous produire nos légumes sur nos balcons et nos volailles dans les cours ?
Nostalgie cachée et réactionnaire ou questions oiseuses ?

La croissance ? Quelle croissance ? Au bénéfice de qui ?

Marc Delîle

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B
A Robert Kaufmann (version vérifiée)<br /> Je souscris — en partie — à votre hymne optimiste sur les progrès de nos sociétés. Ce que vous dites est indéniable. Mais on pourrait dresser une liste équivalente de toutes les &quot;dérives&quot; de notre &quot;civilisation&quot;, qui grèvent gravement le futur de nos descendants, parfois de façon irréversible : saccage des richesses naturelles, pollution de l'air, pollution de l'eau (qui deviendra peut-être un facteur de destruction de l'humanité, y compris avec les guerres pour s'en assurer le contrôle), désagrégation de certaines structures sociétales (pas idéales, mais existantes), écart grandissant entre riches et pauvres, même s'il y a plus de riches qu'au XIXe siècle, main-mise complète du capitalisme sur le politique. Etc.<br /> On pourrait reprendre vos arguments pour les analyser sereinement. Certes, des progrès, essentiellement ceux de la médecine, ont permis de gagner en un siècle, dans certains pays, une trentaine d'années de vie. Encore faut-il préciser selon quel mode de calcul. Pendant longtemps la moyenne de l'espérance de vie était abaissée surtout par une très forte mortalité infantile (au XVIIe s., 1 enfant sur 4 n'atteignait pas 1 an, et 2 sur 4 mouraient avant d'atteindre l'âge adulte). Pour ceux qui survivaient l'espérance de vie était bien plus forte que la moyenne. En outre, nous multiplions les nonagénaire, et on nous annonce une croissance des centenaires, mais, pour une part d'entre eux, dans quel état ? Certes, on a vaincu bien des maladies (encore que la montée de la pauvreté fasse réapparaître la tuberculose là où elle avait disparu), mais d'autres maladies se sont développées, liées au brassage des populations, par les voyages et autres, et font autant de ravages que les anciennes &quot;pestes&quot; : 25 millions de morts, directement ou non, par le Sida entre 1981 et 2006, égal au nombre de morts de la Peste noire entre 1347 et 1352 (pour une population européenne moindre, il est vrai !). Etc.<br /> Sans doute y a-t-il eu 70 ans de paix en Europe : si on la réduit à sa partie occidentale, en excluant les Balkans (1991-1995 : plus de 100.000 morts) et l'Ukraine (2014). Etc.<br /> Bref, mon propos n'était pas (pas cette fois-ci) de dénoncer nos sociétés, mais d'en souligner une triple contradiction : 1° miser uniquement sur la &quot;croissance&quot; pour restaurer une économie mondiale viable et véritablement &quot;progressiste&quot;, c'est à dire permettant au maximum de la population de vivre décemment ; 2° multiplier les règles, les mises en garde, les interdictions venant gêner la dite croissance ; 3° ne pas inventer d'autres voies de mondialisation que marchandes.<br /> <br /> Marcel Bernos
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R
Chers amis &quot;blogueurs&quot;,<br /> Oui, bien sûr, chaque époque a connu ses avancées et aussi ses taches sombres, voire ses barbaries. Le redire est une banalité et si je réagis parfois c'est que je crains que nous donnions à notre jeunesse une image délibérément assombrie de l'avenir, qui tend à briser leur audace à entreprendre, et une vision enjolivée d'un passé nostalgique, effectivement, que ce soit conscient ou non.<br /> Ce qui me parait important est d'avoir une vision plus globale du bilan, même s'il faut citer des exemples concrets pour illustrer ses affirmations.<br /> Si je reprends les points cités dans le dernier commentaire :<br /> *Le développement de l'industrie accélère, c'est vrai, la consommation des richesses naturelles; notamment les hydro-carbures. Mais on n'a jamais tant fait pour la récupération, le recyclage et la mutation vers les énergies renouvelables.<br /> *La pollution de l'air: Pots catalytiques; suppression du plomb dans l'essence; réduction massive du souffre dans le gas oil (et le fuel dom qui est le même produit ) ; réduction du chauffage à partir d'hydro carbures...on n'a jamais tant fait !<br /> *Pollution de l'eau ; On investit massivement depuis des décennies pour limiter les rejets industriels et domestiques. On recommence à pécher du poisson à Paris sur les quais de Seine. On développe les plastiques bio-dégradables. Les Israéliens développent le traitement de l'eau de mer pour en faire de l'eau potable....<br /> *La désagrégation de structures sociétales : Il est vrai que se développent des idéologies dominantes. Nous en avons souvent débattu ici depuis 18 mois. Ce n'est heureusement pas irréversibles et il sera toujours temps pour la société de revenir sur ses erreurs devant les dégâts provoqués. Après 1917, les Bolcheviks sont passés rapidement de l&quot;amour libre&quot; à la pudibonderie, interdisant aux couples de s'embrasser dans les lieux publics...<br /> <br /> *Miser sur la seule croissance : Si l'on veut accroitre les richesses à partager, j'attends qu'on nous donne d'autres recettes pour le développement ?... Et qu'on ne nous dise pas que la solution est de redistribuer les biens des &quot;riches&quot;. On a déjà dit que la très grande majorité de ces biens sont représentés par des outils de productions ou de services, qu'ils soient publics ou privés. Quant aux liquidités, si on les partage entre les 7 milliards d'habitants, cela ne doit pas représenter plus de quelques centaines d'€ . Et 5 ans après, je préjuge qu'il y aura de nouveaux riches et de nouveaux pauvres.<br /> &quot;Main mise complète du&quot;Capitalisme&quot; sur la politique...Je dirais plutôt &quot;influence croissante et non toujours maitrisée des aspects socio économiques sur le Politique. Car les nations non-capitalistes éprouvent les mêmes difficultés devant les poussées de leurs peuples.<br /> *Les voies de mondialisation non marchandes ? elles sont pourtant bien présentes, notamment dans le domaine de la culture et des sciences. C'est vrai que le succès est plus contestable dans le domaine économique et financier, source de la plupart des problèmes actuels de l'Occident et les Politiques ont là une lourde responsabilité dans leur imprévoyance .<br /> *L'espérance de vie et la mortalité infantile : Il est vrai que la France était très en retard. Mais depuis que les médecins français sont allés apprendre aux USA, après 1945, à réduire fortement cette mortalité (il n'y a pas là bas que l'ogre Monsanto) la courbe s'est stabilisée depuis les années 50. C'est une erreur de dire qu'au delà de la 1ère année, la durée de vie était beaucoup plus forte. L'espérance de vie à 20 ans pour les hommes était de 48,7 en 1950 et de 55,8 en 1999 (INSEE ) et sans doute beaucoup mieux aujourd'hui.<br /> *Pour les guerres, les troubles dans les Balkans ne nous avaient pas échappé, pas plus que le Rwanda et la Syrie, beaucoup plus meurtriers sans doute. Mais il s'agit là de guerres civiles, dues à des poussées passionnelles de fièvre des peuples, qui échappent aux Politiques eux-mêmes (comme Mai 68, qui aurait pu tourner au drame) Mais ce ne sont plus des heurts entre géants, délibérément provoqués et entrainant des millions de morts.<br /> <br /> Tout cela pour dire qu'il faut cibler plus précisément les vrais adversaires et les menaces mortelles potentielles . Dont l'une est la prolifération de l'arme nucléaire= une première dans l'histoire de l'humanité comme disait Arthur Koestler= la capacité d'auto-destruction de la vie sur Terre.<br /> Robert Kaufmann
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R
Une fois encore, je pense qu'on se trompe d'adversaire et que l'on oriente mal l'analyse de nos problèmes de société.<br /> Si l'on considère que notre problème premier est le chômage, qui entraine à sa suite un bon nombre d'autres, dont les déficits financiers de l'ANPE, des caisses de retraite, de la Sécu...et finalement de l'Etat; sans parler du logement et de la famille.....et si l'on veut considérer qu'un point de la fameuse croissance correspond à plus de 200 000 emplois, cela donne à réfléchir.<br /> Il n'est pas question d'obliger les gens à consommer mais de mettre en oeuvre les moyens pour produire les produits industriels nécessaires en Europe et notamment en France plutôt que dans le SE asiatique.<br /> Mais ceci est une autre question, dans laquelle nous n'entrerons pas aujourd'hui.<br /> <br /> Pourquoi vouloir tant attirer l'attention sur le dérives de notre société en occultant les avancées extra-<br /> ordinaires de ce dernier siècle ??<br /> Faut-il rappeler que de 1900 à 2013, l'espérance de vie à la naissance est passée de 45 ans à 78,7 pour les hommes et de 49 à 85 pour les femmes ?<br /> Que l'on a vaincu la tuberculose, beaucoup de maladies tropicales; que l'on a mis au point la transplantation d'organes; que l'on a considérablement amélioré les protocoles de lutte contre les cancers, y compris la leucémie. On a récemment stabilisé l'évolution du Sida et de l'hépatite C. On a fait de grands progrès en matière de diététique et de l'information du public. Tant pis pour les grands consommateurs de Coca et autres sodas . Chacun est responsable de soi et il ne faut par chercher des boucs émissaires dans la Société et les Stés multi- nationales.<br /> Qui aurait rêvé il y a quelques années de la liberté donnée aux Radios et Télé's privées pour nous informer (même mal...mais mieux qu'une Radio unique d'Etat)<br /> Qui aurait rêvé d'un tribunal international jugeant les crimes de guerre et contre l'Humanité ?<br /> A quand faut-il revenir pour voir l'Europe en paix durant 70 ans ?<br /> On peut poursuivre la liste.<br /> Faut-il faire un référendum ? Qui voudrait revenir au début du siècle dernier ?<br /> Alors, sachons rendre grâce aussi aux hommes et aux institutions qui nous ont fait avancer !<br /> <br /> Robert Kaufmann
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