Que sait-on de Jésus ? (chapitre 4)

Publié le par G&S

Le message de Jésus 

La proclamation du Royaume de Dieu

Données préalables

1 – Avant Jésus

Représenter Dieu comme Roi est courant dans l’Ancien Testament (Isaïe 6, Psaumes) en s’inspirant de l’image des Rois tout-puissants de l’Ancien Orient : Dieu est le Roi de son Peuple, puis il est le Roi de tout l’univers puisqu’il est le Créateur.

Après l’Exil, le thème de la Royauté de Dieu connaît une eschatologisation en II Isaïe, en raison de la tension manifeste entre la situation présente et l’avenir espéré : un Dieu qui domine tous les peuples, qui dirige les rois, qui régisse l’histoire et le monde entier. L’élément du futur domine dans les Apocalypses, où l’on espère dans l’avenir : « Le Seigneur sera au milieu de son peuple, et le Saint d’Israël sera votre Roi ». La prière pour la venue et la présence du Royaume de Dieu était un élément central de l’espérance juive à l’époque de Jésus.

L’annonce du Royaume de Dieu par Jésus survient dans un contexte politique déterminé :  il vit et agit dans le petit royaume du roi Hérode Antipas, fils d’Hérode le Grand, (4 av.-39 ap. JC), à une époque où se développe l’urbanisation de la Galilée (Hérode fait construire successivement deux capitales, Sepphoris non loin de Nazareth, puis Tibériade au bord du lac), l’influence hellénistique et la vie commerciale, aux dépens du petit peuple des campagnes. Des mouvements messianiques n’étaient pas inhabituels dans ce contexte, Hérode les redoutaient et c’est ainsi qu’il se débarrassa de Jean le Baptiste qui lui adressait des critiques à résonances politico-culturelles.

2 – L’originalité de Jésus

Quand Jésus annonce un changement radical de toutes choses, déjà en train de commencer, il va à la rencontre d’une grande attente : il annonce un Règne de Dieu qui ne vise pas la domination, qui ne s’accompagne d’aucun attribut de la puissance, qui en finisse avec la corruption. Un Règne de Dieu encore caché, mais destiné à la fin à triompher de tout. Cela ne pouvait demeurer sans conséquences politiques, même si cette perspective n’était en soi nullement politique.

Jésus d’ailleurs, de manière étonnante, ne parle jamais de Dieu comme Roi : il prend ses distances à l’égard de cette image, il choisit délibérément de concentrer son langage, de manière presque abstraite, sur l’expression : Règne, ou Royaume de Dieu. Personne avant lui n’avait ainsi fait du Règne de Dieu le centre de sa prédication. C’est un message proprement religieux, qui ne s’oppose nullement en soi à l’impérialisme romain.

Le message de Jésus

Dieu est au centre : la venue et l’intervention de Dieu dans son Royaume sont la base, le centre et l’horizon de l’action de Jésus. En parlant du Règne de Dieu qui vient, Jésus ne propose pas seulement un diagnostic sur le moment historique, mais aussi une vision globale du monde, dont le point de départ est l’expérience et la certitude que Dieu intervient de manière neuve pour sauver les hommes et pour vaincre le mal. Il n’est plus question ni du culte du Temple, ni de restauration nationale, ni de séparation entre Juifs et païens. La venue du Règne de Dieu, que Jésus annonce, signifie la venue d’un monde réellement nouveau pour tous. En parcourant les villages de Galilée, Jésus s’adresse à tous, appelle tout le monde à la même communauté de table, s’adresse avec prédilection aux marginaux et aux défavorisés, qu’ils soient femmes, enfants, malades, lépreux, possédés, prostituées, et même les Samaritains. C’est chez les déclassés que le Règne de Dieu devient le plus manifeste.

En même temps ce Règne développe de manière inattendue une énergie nouvelle qui ouvre les hommes à une nouvelle manière de vivre. Le Règne de Dieu qui survient dans le présent et dans l’avenir, la proximité de Dieu, son amour, sa justice, sa victoire sur les forces du mal, déterminent tous les domaines de la prédication et de l’action de Jésus.

Royaume à venir et Royaume déjà présent

Le Royaume de Dieu a une dimension d’avenir : on prie pour sa venue (Q 11,2), on le voit dans l’avenir sous la forme du grand Festin eschatologique (Q 13,28-29), Jésus l’espère jusqu’au dernier moment (Marc 14,25), on le voit comme un autre monde dans lequel on pourra entrer. Jésus n’hésite pas à s’exprimer de manière provocatrice :

« En vérité je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas »  (Marc 10,15)

« Qu’il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » (Marc 10,23.25)

« Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. » (Matthieu 21,31)

« Heureux, vous, les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous. » (Luc 6,20)

Dans ces expressions et beaucoup d’autres le Royaume de Dieu à venir apparaît vraiment comme un nouveau monde.

Mais un trait singulier de la prédication de Jésus est que pour lui ce Royaume de Dieu tout proche et à venir est aussi présent dès maintenant.

Ainsi dans la première béatitude ceux qui sont considérés comme les exclus se voient accorder le Royaume de Dieu : les pauvres, les affamés, les malheureux. Se révèle ainsi un aspect de la nature du Royaume de Dieu : c’est la richesse de Dieu, sa bonté gratuite, que Dieu communique. Dieu est celui qui donne, l’homme celui qui reçoit. Ces exclus sont menacés par la mort, privés d’une vraie vie. Mais face au Royaume de Dieu l’homme ne peut que recevoir, gratuitement. Ni l’avoir ni la possession ne rendent l’homme capable de s’ouvrir au Royaume, mais seulement la conscience d’avoir à se tourner vers Dieu. Avec Jésus le temps du salut a commencé, le combat contre le mal est engagé, les forces du mal déjà défaites : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair ! » (Luc 10,18). Jésus chasse les démons (Luc 11,14), et il y voit un signe : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le Règne de Dieu est arrivé pour vous. » (Luc 11,20). Le moment présent est le temps du grand tournant vers le salut.

Les paraboles

Elles sont le langage préféré de Jésus, car elles lui permettent par leur puissance symbolique de dévoiler la nature du Royaume de Dieu. Avec elles il plante dans la réalité de la vie humaine quotidienne la réalité du Règne de Dieu, déjà à l’œuvre, toujours mystérieux, appelé à se développer :

- la parabole du semeur : elle situe au centre l’effet du message de Jésus, qui n’est pas écouté ni reçu par tous, mais qui, pour ceux qui l’accueillent, transforme la vie.

- la semence qui pousse toute seule (Marc 4,26-29) : sans que l’homme ne fasse rien, et quoi qu’il arrive, le Royaume de Dieu croît et grandit : « automatè » (4,28). Ce temps accordé par Dieu, il faut le saisir !

- la graine de sénevé et le levain dans la pâte lient présent et futur du Règne : un début imperceptible correspond à un avenir grandiose (Marc 4,30-32 et Matthieu 13,31-33)

Ce qui est nouveau dans ces paraboles est le contraste entre le début modeste et la fin formidable, que tous attendent. Le plus surprenant pour l’auditeur et le lecteur c’est le début, non la fin : qu’un événement aussi considérable que le Règne de Dieu puisse être comparé à un grain de moutarde ! On est très loin des textes apocalyptiques, des représentations habituelles de la fin du monde.

Les paraboles soulignent une deuxième nouveauté de Jésus par rapport aux Prophètes et à Jean le Baptiste. Jésus l’exprime dès le départ comme un programme : « Je ne suis pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs » (Marc 2,17). Cette volonté domine toute l’activité de Jésus et exprime bien le but de sa mission : la miséricorde et l’amour de Dieu son Père doivent être apportés avant tout aux pécheurs, car l’homme peut entrer dans une nouvelle relation avec Dieu grâce au pardon et à la bonté de Dieu. Jésus l’affirme avec vigueur, de manière impressionnante dans une série de paraboles étonnantes :

- le fils prodigue (Luc 15,11-32) : le Père accueille son fils sans condition, avant même qu’il ait avoué sa faute.

- les travailleurs dans la vigne (Mt 20, 1-16) : violente antithèse entre les premiers et le maître de la vigne : d’un côté l’ordre du mérite, du salaire, de l’autre, l’ordre de la bonté. Le maître est libre d’une bonté inattendue, qui fait sauter toutes les conceptions habituelles, il ne fait tort à personne, mais il surprend par sa générosité imprévue. Sa liberté n’est pas limitée, sa bonté ne peut se mesurer. L’existence de l’homme n’est pas à comprendre à partir de ses propres performances, mais à partir de la bonté de Dieu.

- le serviteur sans pitié (Mt 18, 23-35). Là aussi, l’exagération veut provoquer l’attention : la somme astronomique due par le serviteur souligne à quel point Dieu prouve sa bonté et sa miséricorde, comment il désire accueillir les hommes de manière inattendue et incompréhensible.

Les paraboles obligent l’auditeur à comprendre qu’il s’agit de sa propre vie, elles le provoquent à des décisions fondamentales, pour ressaisir sa vie et la transformer. Elles veulent faire vivre une proximité immédiate du Règne de Dieu, afin que ceux qui étaient perdus deviennent des sauvés.


Jacques Lefur
d’après Udo Schnelle, Theologie des Neuen Testaments, p. 66-85

Publié dans DOSSIER JESUS

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