Nature, naturel, loi naturelle, droit naturel
Le mot « nature » et par là même l’adjectif « naturel »qui lui est associé sont des mots polysémiques. Déjà chacun d’eux peut être un nom ou un adjectif.
Étymologiquement nature vient de natura, qui désigne ce qui n’a pas été modifié et donc est dans son état « natif ». Mais le mot nature prend des sens bien différents en s’écartant de la définition première : Quand en cuisine on mange un poisson nature, il est rarement dans son état natif !!!
Je vais énoncer les principaux sens que prennent les mots nature et naturel (définitions prises dans le Dictionnaire de la langue française), ainsi que ceux de droit naturel et loi naturelle, concepts qui ne font pas toujours consensus et qui ont évolué au cours du temps.
Nature
1 – La nature est l’ensemble des êtres et des choses et plus généralement l’ensemble de tous les éléments qui constituent l’univers.
L’emploi du présent dans la plupart des dictionnaires laisse entendre qu’il s’agit de l’univers aujourd’hui, tel que nous l’observons. Là encore la nature que nous percevons n’est plus dans son état natif (l’instant du big-bang ?) et d’autre part les dinosaures qui ont disparu ne font pas partie de la nature !!
2 – La nature est ce qui n’a pas été (trop) modifié par l’intervention de l’homme par opposition à artificiel ou culturel. L’espèce humaine est ainsi mise à part des autres espèces vivantes, ce qui fait qu’un barrage fait par les castors sera considéré comme naturel mais pas un barrage hydroélectrique, œuvre humaine ! Pourtant Descartes en son temps ne faisait pas de différence entre les machines des artisans et les divers corps que la nature compose.
La nature englobe donc tout ce qui existe en dehors de l’homme et de ses réalisations. Aller se promener dans la nature signifie hors des zones habitées. Puisque c’est ce qui existe indépendamment de l’action humaine, c’est ce qui possède en soi, comme le disait Aristote, le principe de son propre mouvement (autonomie de développement). On peut aussi résumer en disant que c’est le principe actif d’organisation du monde qui préside à la production de phénomènes et anime les êtres vivants. C’est l’univers considéré indépendamment des transformations opérées par l’homme. Cet univers varie continuellement sous l’action de phénomènes naturels (naissance et mort des étoiles) et la terre elle-même s’est transformée sous l’action de phénomènes naturels (éruptions volcaniques, dérive des continents…). Cependant l’action de l’homme sur terre fait qu’il n’existe presque plus de nature (endroits préservés) et a induit des transformations dont on prend de plus en plus conscience qu’elles pourraient mettre en péril l’environnement et la biodiversité.
3 – La nature est l’essence d’une chose ou d’un être, sa composition, ses propriétés, sa manière d’être. On parle ainsi de la nature d’une roche ou de la nature sauvage d’un fauve. C’est l’ensemble des caractères, des propriétés qui permettent de déterminer l’appartenance à une catégorie ou un genre.
Pour les êtres humains, la nature est l’ensemble des caractères (physique et moraux) innés, propres, par opposition à ce qui est acquis par l’éducation et la coutume. Un homme à l’état de nature désigne un homme en dehors de toute éducation et civilisation.
La nature prise dans ce sens s’oppose donc à la culture en général. Mais comment faire la part de l’éducation, celle de la culture dans ce qui constitue la personnalité et approcher ce qu’est la nature humaine ? Quelle est la part de l’inné (du naturel) ? Des recherches ont été menées pour essayer de cerner ce que pourrait être la nature humaine, entre autre avec les « enfants sauvages » (trouvés ou parfois hélas fabriqués) chez lesquels on voulait retrouver par exemple la langue première de l’humanité, celle qu’auraient parlé Adam et Ève spontanément, cela supposant de se placer dans la perspective créationniste. Ce fut un échec : si on ne parle pas à un enfant il n’acquiert pas de langage ! Jaspers, en 1913, a montré qu’il n’existe pas de nature humaine présociale. Ce sont nos rencontres, nos acquisitions qui font de nous des hommes. Effectivement, très tôt dans son évolution l’homme a intégré l’intérêt de grandir parmi ses semblables pour assurer sa propre sécurité et celle de son entourage et développer ses capacités.
Mais il peut y avoir là un danger si nous nions que la réalité (la société) dans laquelle nous vivons est historique. On peut en venir très vite à transformer une culture particulière en nature universelle. Alors la culture d’autrui devient pathologique et la sienne propre devient normale et normative. Cela débouche inévitablement sur le refus de la différence et l’exaltation du semblable avec toutes les dérives déjà hélas rencontrées.
Naturel
- Relatif à la nature d’une chose ou d’un être
- Qui appartient à la nature, relève du monde physique
- Qui existe préalablement à toute pensée réfléchie
- Opposé à humain ou artificiel
- Qu’on trouve tel quel dans la nature et n’est donc ni modifié ni altéré ni falsifié
- Fondé sur la nature et non sur la coutume
Petite remarque : à quelle définition de naturel doit on associer l’expression « enfant naturel » ? Il est étonnant que les enfants nés dans le mariage ne soient pas « naturels » !!
Loi de la nature – Loi naturelle – Droit naturel
Les définitions de ces expressions sont directement liées à celles de l’adjectif « naturel » mais aussi à celles de loi et de droit.
La loi est une règle édictée par une autorité. C’est la définition la plus générale
La loi est le rapport constant existant entre des phénomènes, qui permet de prévoir que, dans des circonstances données, tel fait se produira nécessairement. Cette définition renvoie directement à l’expression de loi de la nature que cherchent à découvrir les scientifiques. Si une même cause produit les mêmes effets on peut dégager une loi qui sera alors essentiellement descriptive et non prescriptive. Et si l’énoncé de ces lois change au cours du temps (on est passé de la mécanique galiléenne à la relativité), la réalité, elle, n’a pas changé, les événements se produisent toujours de la même façon, mais les descriptions que les scientifiques en font en rendent de mieux en mieux compte.
La science qui énonce ces lois ne se préoccupe que du comment et jamais du pourquoi. Cependant, certains posent alors la question du législateur et en déduisent que les lois de la nature (qu’ils appellent loi naturelle) impliquent un législateur divin. Cette loi naturelle devient alors plus religieuse que scientifique. Effectivement la nature, désacralisée dans le judéo-christianisme est associée à une transcendance divine, extérieure à l’homme.
Loi morale : un ensemble de règles que tout être conscient et raisonnable se sent tenu d’observer. Loi naturelle : le principe du bien tel qu’il se révèle à la conscience. Loi divine : précepte que Dieu donne aux hommes par révélation.
Si le dictionnaire fait la distinction entre loi morale, loi naturelle et loi divine, même si elles sont regroupées dans le même paragraphe, il faut bien constater que pour beaucoup ces trois termes ont été et sont encore synonymes.
À partir de la considération qu’il n’y a pas d’effet sans cause, on a parlé de loi éternelle à l’origine des choses.
Dieu, premier principe, deviendrait « démontrable » par la seule raison. La loi naturelle est vue comme un commandement de la raison promulgué par une autorité légitime, Dieu. Cette loi naturelle (divine, éternelle), à laquelle les autres lois doivent être subordonnées, est bien celle qu’invoque Antigone quand elle brave l’interdit de Créon de ne pas donner de sépulture à Polynice : « je n’ai pas pensé que des décrets avaient un tel pouvoir qu’ils puissent autoriser un mortel à fouler aux pieds des lois non écrites et immuables des dieux ».
L’Église avec Saint Thomas dit que le pouvoir politique se doit de respecter la loi naturelle, sinon une loi qui s’en écarterait serait une violence et non une loi.
La séparation entre loi éternelle et loi naturelle se produit avec un protestant hollandais, Grotius (1583-1645) théoricien du droit, qui écrit « … tout ce que nous venons de dire aurait lieu en quelque manière, quand même on accorderait, ce qui ne peut se faire sans un crime horrible, qu’il n’y ait pas de Dieu ».
Le phénomène se poursuit avec la loi naturelle qui devient instinctive avec Hobbes et Rousseau.
Cependant, plus récemment on peut considérer que la déclaration de droits de l’homme de 1948 a ses fondements dans la loi naturelle telle qu’elle a été perçue au sortir de la 2e guerre mondiale pour se protéger des totalitarismes.
Mais certains regrettent que l’homme ait remplacé la nature comme source du droit et que les droits de l’homme aient remplacé la loi naturelle. Ils ont des difficultés à envisager que les lois promulguées par le législateur « civil » ne soient pas conformes à la morale, à la loi naturelle souvent confondue avec la loi révélée. Cela alimente bien des débats dans un pays laïc.
Qu’en est-il alors du « droit naturel » ?
Le droit est l’ensemble des règles qui régissent les rapports entre les hommes. Quand il s’agit des lois promulguées par un pouvoir politique on parle de droit positif.
En opposition au droit positif, le droit naturel est l'ensemble des règles qui prennent en compte la nature de l'Homme et son but à la surface de la Terre (dictionnaire de la langue française).
Les normes de ce droit naturel ne sont fonction que des seules caractéristiques de la nature humaine, indépendamment des formes du droit en vigueur dans les différentes sociétés et aux différentes époques.
On voit ici que les termes même de la définition et le contenu qu’on leur donne renvoient aux convictions de chacun. Quel est le but de l’Homme à la surface de la terre ? Survivre, perpétuer l’espèce, développer sa vie sociale, faire advenir le royaume de Dieu ?
On a très souvent énoncé que le droit naturel se compose d'un petit nombre de maximes, fondées sur l'équité et le bon sens (là encore que met-on sous ces mots ?), qui s'imposent au législateur lui-même et d'après lesquelles l'œuvre législative pourra être appréciée, louée ou critiquée. Le droit naturel n'est ni la loi ni l'idéal de la loi ; il est la règle suprême de la législation. Cela est lié à l’idée que le propre de l’homme est de faire le bien et d’éviter le mal.
Puisqu’il a été dit que ce qui fonde la nature humaine c’est la vie en société, on peut peut-être avancer que le droit naturel est l’ensemble des principes fondamentaux du droit sans lesquels aucune société ne pourrait vivre durablement si elle ne les appliquait pas. On recherche donc quels sont les principes qui ont existé dans les sociétés qui ont perduré et qui étaient absents chez celles qui ont disparu. L’étude de toutes les sociétés existantes et ayant existé ne fait apparaître que trois préceptes toujours présents : le refus de l’inceste père-fille, le refus du meurtre à commencer par l’infanticide et le refus des sacrifices humains. Le droit naturel se limiterait alors à peu de choses !
En conclusion, il semble difficile de donner UNE définition en particulier pour la loi naturelle et le droit naturel. Une telle définition supposerait un consensus, en particulier sur ce qu’est la nature humaine.
Les points de vue du scientifique, du philosophe et du théologien concordent rarement…
Joëlle Palesi