L’argent et le sens du vivre ensemble
Lors d’un récent séjour à Toronto, la grande métropole financière et économique du Canada, j’ai pu lire, sur la façade d’une tour abritant une banque, ces mots : Making money make sense. On ne saurait mieux définir la religion financière anglo-saxonne qui est devenue la religion mondiale : l’argent constitue en soi du sens. Rarement, le processus idolâtre contre lequel n’ont cessé de s’élever les prophètes de la Bible, n’a été affirmé aussi clairement. L’outil devant servir à la réalisation d’un but économique est devenu une finalité en soi.
Malgré les mouvements de menton des politiques, la finance internationale continue de régner sans partage. La récente chute de la banque franco-belge Dexia, pourtant sauvée déjà à grands frais par le contribuable en 2008, montre à quels point les dirigeants financiers « n’ont rien oublié ni rien appris » de cette crise.
Avec la nomination de Mario Draghi comme successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque Centrale Européenne, nous avons une nouvelle illustration de cette situation. Gilles Bridier, journaliste économique, commente ainsi : « Dans la crise de la dette souveraine en Europe, la Grèce aura été un détonateur. Mais on sait aujourd’hui qui a masqué les déficits budgétaires du pays pour qu’il soit éligible à l’euro, c'est-à-dire qui a renversé le baril de poudre pour cacher les trous dans les comptes. On sait aussi qui a ensuite spéculé contre la capacité du pays à rembourser ses dettes, et a en quelque sorte allumé la mèche. Un scénario véritablement explosif, dont la banque d’affaires Goldman Sachs est, sans qu’on puisse en douter, l’auteur. Or, Mario Draghi, ex-associé de cette banque, va devenir le président de la Banque centrale européenne. Il va ainsi être chargé de la stabilité de la monnaie alors que son ancien établissement a consciencieusement triché pour contourner les règles qui garantissent cette stabilité » 1.
La crise financière qui n’en finit pas de miner nos sociétés porte bien sur la question du sens du vivre ensemble. Elle n’est pas le fruit d’un destin ou d’un complot, mais le résultat de la somme de nos démissions. Sur les désastres économiques et sociaux continuent à caracoler des traders aux confortables bonus. Ils illustrent notre schizophrénie entre nos pulsions d’avidité et nos analyses pour une gestion éthique des richesses de la planète.
Guy Roustang, directeur de recherches honoraire au CNRS me semble avoir tiré la leçon de cette crise lorsqu’il écrit : « Pour espérer une évolution favorable plus soucieuse du bien commun, on ne peut pas s’en remettre à l’idée que les nécessités écologiques vont nous mettre sur la bonne voie. Non, il faut avoir en tête les critiques faites à l’économisme au nom d’une certaine idée de l’homme. Se convaincre avec Gandhi que la terre peut nourrir tous les hommes mais pas leur cupidité, ou encore qu’il faut vivre simplement pour que simplement les autres puissent vivre. Se convaincre avec Péguy que c’est le travail individuel ou collectif à faire en art, en science, et en philosophie qui est indéfini et non pas l’accumulation de richesses matérielles. Au risque de paraître bien naïf, il faut poser la question : produire et consommer pour répondre à quels besoins ? » 2
Bernard Ginisty
1 – Gilles Bridier : Mario Braghi, un soupçon de Goldman Sachs à la BCE. In Site Slate.fr, 18 octobre 2011
2 – Guy Roustang : Un monde à bout de souffle dominé par le matérialisme économique. In Site Garrigues et Sentiers, 5 février 2011.