L’apparition du péché dans la Bible
Le péché est un sujet tellement vaste que je me limiterai au début du livre de la Genèse et vous livrerai seulement quelques réflexions – et autant de questions – à propos des événements du Jardin des Délices (’’Éden en hébreu) et des démêlés de Caïn avec son frère puîné.
L’homme et la femme pèchent-ils au Jardin des Délices ?
Pour éviter d’encombrer votre blog de redondances inopportunes, je vous invite, avant même de vous plonger dans le cœur de cet article, à (re)lire une petite étude que j’ai écrite en septembre dernier et qui s’intitule : Dieu, la femme et le serpent : qui ment ?
Mon propos était de montrer la solidarité dans la désobéissance à Dieu de l’homme et de la femme, qui étaient ensemble quand le serpent dialoguait avec la femme (Genèse 3).
Aujourd’hui, dans le corpus d’un dossier sur le péché, je voudrais risquer une remarque peu faite, à ma connaissance, mais qui me paraît importante.
Dans les trois premiers chapitres du livre de la Genèse, il n’est jamais question de faute, pas plus que de péché !
Quand, après avoir mangé de l’arbre de la Connaissance du Bien-et-Mal, l’homme et la femme sont cachés sous un arbre du jardin, Dieu appelle l’adam et celui-ci lui répond qu’il a eu peur parce qu’il est nu et s’est caché. Dieu lui demande alors s’il a mangé de l’arbre qu’il lui a défendu de manger ; s’ensuit un dialogue plein de faux-fuyants, chacun des protagonistes rejetant la responsabilité de cette manducation sur un autre : l’homme sur la femme et la femme sur le serpent… qui est le premier à qui Dieu annonce les conséquences de son acte : « parce que tu as fait cela (la tentation de la femme), soit maudit… ».
À la femme – sans dire du tout pourquoi – il annonce trois conséquences toutes liées à sa sexualité : grossesse, enfantement et convoitise vers son homme qui la dominera. On peut d’ailleurs légitimement se demander pourquoi il dit cela alors qu’elle vient, sauf erreur, de couvrir pudiquement sa nudité ; pourquoi aussi son mari l’appelle Mère de tous les vivants (sauf si son homme est assimilable au fruit défendu… mais c’est un tout autre sujet… encore que…) ! À lui – parce qu’il a écouté la voix de la femme et mangé de l’arbre qu’il lui avait interdit de manger – il annonce la malédiction… du sol (qui n’y est pourtant pour rien !) et la difficulté qu’il aura à tirer sa subsistance du sol d’où il a été tiré et où il retournera (ce qui est un peu plus en lien avec son acte).
Il est fondamental de noter qu’on ne trouve ici aucune malédiction prononcée par Dieu à l’endroit de l’homme et de la femme… et que le texte ne parle jamais de faute ou de péché.
Ce sont des commentateurs de la Bible qui utiliseront ces mots pour étayer leur théorie bien connue aujourd’hui sous le terme de péché originel : le mot péché (sans ses variantes plurielles ou verbales) apparaît dans 51 versets des écrits de Paul, et c’est lui qui, le premier, introduit à propos de l’épisode du Jardin d’Éden la notion de péché originel (en Romains 5,12 : « de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde ») même s’il n’utilise pas l’expression explicitement. Elle sera développée plus tard par d’autres, en particulier par Augustin d’Hippone.
L’apparition du péché
Après que le premier couple est sorti un peu précipitamment du jardin des Délices, la Bible nous raconte la naissance et les démêlés des deux premiers humains engendrés, Caïn et Abel.
Le fait que Dieu a accueilli le sacrifice du cadet, Abel le berger, et rejeté celui de l’aîné, Caïn le cultivateur, est bien connu, ainsi que la jalousie de Caïn contre Abel, jalousie qui le mine… comme elle minera plus tard Ismaël, Ésaü, Rachel, les frères de Joseph et bien d’autres…
C’est alors que « le » mot apparaît pour la première fois ! Dans la bouche de Dieu…
… et dans un fragment de texte très difficile à traduire, car très corrompu comme le montre, entre autre, la construction grammaticale chaotique.
Caïn ruminant une vengeance contre son frère, Dieu lui dit, semble-t-il (Genèse 4,7) : « N’est-ce pas que si tu réagis bien tu pourras élever ton visage [cf. Job 11,15 : si tu répudies le mal (…) tu lèveras un front pur, tu seras ferme et sans crainte] ; n’est-ce pas que si tu ne réagis pas bien, à la porte le péché (mot féminin) est tapi (au masculin) avec son (au masculin) désir vers toi ? Le domineras-tu ? »
Avez-vous remarqué la similitude entre Caïn et ses parents ? Caïn est cultivateur, il tire sa subsistance de la terre à la sueur de son front, comme son père ; Dieu lui pose une question qui reprend les mots qu’il disait à sa mère : désir et domination. C’est bien ce que Dieu a annoncé à son père… mais la convoitise à laquelle Caïn est confronté ne vient pas d’une femme mais du péché ! Est-ce pour cela que le mot péché en hébreu est de genre féminin ?!
Ce mot, chata’t (prononcer à peu près : ratat), est issu de la racine verbale chata’, manquer. Pécher c’est manquer la cible, comme le dit son équivalent grec amartia (ou amartêma, ou amartas) erreur, issu du verbe amartanô, manquer le but. Pécher, c’est passer à côté… de la plaque, comme on dit en langage populaire, de sa vie, de la vraie vie, celle qui mène au bonheur promis par Dieu (cf. l’article Dieu nous conduit au bonheur).
Caïn va passer à côté, comme nous passons tous à côté de notre cible, en hébreu matara’ (qui résonne comme une anagramme du mot grec !).
Cette cible, c’est le bonheur ! Beaucoup disent : « qui nous fera voir le bonheur ? » ; fais lever sur nous la lumière de ta face, Seigneur ! dit le Psaume 4…
Caïn tue son frère… Premier meurtre de la Bible… puis ment à Dieu qui lui pose une question, comme il en posait une à Adam. Le « où es-tu ? » de Genèse 3,9 devient : « où est ton frère Abel ? », Caïn répondant qu’il ne sait pas… Premier mensonge de la Bible… C’est alors que Dieu le maudit… chassé du sol fertile il est donc voué à la mort. Première malédiction par Dieu d’un être humain…
L’apparition de la peine
Elle ne tarde pas ; au verset 13, Caïn dit à Dieu : « ma peine est trop lourde à porter. Vois ! Tu me bannis du sol fertile, je devrai me cacher loin de ta face (l’inverse du bonheur vu ci-dessus) et je serai un errant parcourant la terre, mais le premier venu me tuera ! »
Cette peine est le mot hébreu ’’on, qui désigne le péché, la faute, le crime, l’iniquité (le mot est bien plus fort que chata’t) mais aussi la sanction correspondante : la peine (au sens pénal), le châtiment.
Mais, me direz-vous, la Bible de Jérusalem fait aussi dire à Dieu s’adressant à Ève : « je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras… », puis à Adam : « à force de peines tu tireras (du sol) ta subsistance tous les jours de ta vie » (Genèse 3,16-17). Oui, certes ! Mais ces peines là ne sont en hébreu “que” ’’atsav : travail, travail pénible, douleur. Elles sont l’enfantement et le travail, quelquefois difficiles mais qui sont aussi deux éléments fondamentaux de la liberté et de la dignité humaines ; tous ceux qui ont enduré des problèmes de procréation et le chômage vous le diront !
La peine de Caïn, elle, est sans issue ; Dieu lui-même le dit : « si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit » : même le travail ne le mènera à rien. C’est l’horreur absolue, ce que confirme le « commentaire » divin : « tu seras un errant parcourant la terre ».
Dieu vient là de créer la condamnation à perpétuité ! Mais, me direz-vous, il l’a déjà fait pour Adam et Ève. Et je vous répondrai : « non » ! Le premier couple éprouve des peines qui sont des fatigues, des difficultés pour enfanter et tirer sa subsistance, c’est-à-dire pour créer de la vie ; Caïn éprouvera la peine de l’absence totale de résultat pour tirer sa subsistance du sol, c’est-à-dire qu’il côtoiera perpétuellement la mort, sans pouvoir la subir de quelqu’un d’autre.
En effet, Dieu prononce alors une sentence étonnante : « Si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois » ; est-ce là protection par Dieu d’un criminel – ce qui paraît inadmissible – ou acharnement de Dieu pour que la peine de Caïn soit la plus longue possible – ce qui l’est tout autant – ? Cette remarque vous paraît peut-être scandaleuse, mais ne sommes-nous pas, avec Caïn, en présence d’un péché sanctionné par une peine (condamnation) à la perpétuité incompressible, comme on dit aujourd’hui (où on n’a pas peur des pléonasmes !) ?
Pourrait-on dire, en termes catholiques : Caïn s’est rendu coupable d’un péché mortel qui mène directement en enfer pour l’éternité ? Je ne sais pas…
o O o
Après cet épisode dramatique, une surprise nous attend : Caïn prend femme et a un fils, Hénok, en hébreu Chanokh (prononcer à peu près : ranor), apparemment unique.
Question aux lecteurs fondamentalistes de la Bible : d’où vient cette femme s’il n’y a qu’Ève sur Terre ? Passons…
Il apparaît, en effet, que Caïn n’a été condamné à l’échec qu’en matière agricole ! Toutefois, la Bible de Jérusalem note sur le verset Genèse 4,17 que « [la généalogie de Caïn est un] débris d’une généalogie yahviste. Les mêmes noms paraîtront, avec des variantes, dans la généalogie sacerdotale de Seth, entre Qénân et Lamek (Genèse 5,12-18). Cette liste n’est rattachée qu’artificiellement à Caïn, fils d’Adam, condamné à la vie errante ».
Alors, Caïn père ou non-père ?
On ne peut pas ignorer qu’ensuite Adam connaît sa femme, qui donne naissance à Seth « autre descendance à la place d’Abel » (4,25) et que la généalogie des enfants de Seth du chapitre 5 contient un Hénok, qui n’a rien à voir avec le fils de Caïn (comme le remarque la BJ ), qui fait partie du très petit nombre d’hommes de la Bible que « Dieu enleva » (Genèse 5,24) et qui est le chaînon de la généalogie de Jésus dans l’évangile de Luc par qui il remonte à Seth, à Adam puis à Dieu (Luc 3,38). Alors que les descendants de Caïn sont oubliés dès que cités…
Je penche donc pour Caïn « non-père », condamné total, sans rémission.
Que dire de plus ?
o O o
Cette courte réflexion se terminera donc, une fois n’est pas coutume, en forme de questions :
- Pourquoi la « double faute » d’Adam – la femme puis l’homme – dont on dit qu’elle fut le péché originel, a-t-elle été infiniment moins punie que celle de Caïn, pauvre descendant direct desdits « pécheurs originaux » bien moins pardonnables car créés – eux – directement par Dieu ?
- En d’autres termes, pourquoi le fils a-t-il été puni aussi sévèrement, lui qui était le premier porteur dudit « péché » que ses parents sont dits avoir commis et donc bien plus vulnérable qu’eux à la tentation ?
- Pourquoi le mot péché n’apparaît-il qu’à propos de Caïn et pas de ses parents ?
Si vous avez des réponses, amis Internautes, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires de cet article.
Merci !