Choisir l’hospitalité
Je ne saurais mieux traduire mes vœux pour la nouvelle année qu’en reprenant le titre du très intéressant supplément mensuel de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien : « Choisir l’hospitalité ».
Dans l’éditorial qui ouvre ce dossier, on peut lire ceci : « Nous avons découvert que l’hospitalité n’est pas seulement affaire de bon sentiment ou de générosité, elle est tout simplement la condition de notre humanité. (…) Accueillir, c’est toujours être accueilli. Oui, l’hospitalité met radicalement en jeu notre humanité, elle n’est pas affaire de guichet et de visa » 1.
L’année 2014 sera celle des élections municipales et européennes, qui risquent d’être l’occasion de dérapages nationalistes et xénophobes. Il est important, au moment où Geneviève Jacques, la nouvelle présidente de la CIMADE, dénonce « un climat ambiant de plus en plus pollué par des propos toxiques qui se répandent de différentes manières, parfois de façon grossière, sous forme d’injures racistes scandaleuses et de déchaînement de paroles nauséabondes dans les réseaux sociaux ou, d’une façon plus policée en apparence, mais non moins empoisonnées, proférés par des hommes politiques décomplexés » 2, de retrouver le rôle essentiel de l’hospitalité.
Cette question se situe au cœur de l’aventure humaine comme l’avait admirablement exposé le philosophe Paul Ricoeur dans une Conférence donnée en 1997 aux Semaines Sociales de France 3. Ce texte s’appuie sur l’exhortation biblique à l’hospitalité : « L’étranger qui réside chez vous sera pour vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte » 4. Et en effet, l’étranger va nous ébranler dans ce que Ricœur appelle « ce pouvoir discrétionnaire qui est pour nous rassurant et qui conforte la certitude de savoir ce à quoi nous appartenons, à défaut de savoir qui nous sommes ». Alors commence un itinéraire de déstabilisation, la découverte de notre propre étrangeté. Comme l’analyse Ricoeur : « l’identité profonde, celle qui correspond à la question “qui suis-je ?”, et que masque l’identité d’appartenance, se découvre tout d’un coup d’une incroyable fragilité ».
Ainsi, bien loin de l’image de la charité exercée vers des exclus par des personnes installées dans un confort matériel et idéologique, il s’agit de partager une aventure commune avec tous les hommes et de savoir ensemble habiter cette terre dont nul ne peut se dire le possesseur absolu.
Écoutons encore Paul Ricoeur : « L’hospitalité peut se définir comme le partage du “chez soi”, la mise en commun de l’acte et de l’art d’habiter. J’insiste sur le vocable habiter : c’est la façon d’occuper humainement la surface de la terre. C’est habiter ensemble. À cet égard je ferai remarquer que le mot œcuménisme vient du mot grec qui signifie terre habitée. Eh bien, l’hospitalité s’inscrit à la racine morale de l’acte d’habiter ensemble » 5.
Bernard Ginisty
1 – Supplément mensuel au n°3568 de
l’hebdomadaire Témoignage Chrétien du 26 décembre 2013, page 1 www.temoignagechretien.fr <http://www.temoignagechretien.fr>
2 – Geneviève Jacques : Quand les plus beaux mots deviennent des gros mots. Idem, pages 41-42
3 – Paul Ricoeur : Étranger, moi-même. Conférence donnée au cours de la session 1997 des Semaines Sociales de France : L’immigration, défis et richesses.
Cf.
www.ssf-fr.org <http://www.ssf-fr.org>.
4 – Lévitique 19, 34
5 – Dans le dossier de Témoignage Chrétien, on peut lire une illustration concrète de cet art d’habiter ensemble à travers le Témoignage de Jo Spiegel, maire de Kingersheim,
président délégué de Mulhouse-Alsace-Agglomération, intitulé : Accueillir les Manouches. L’expérience « voie médiane. Il écrit
ceci : « Il n’y a pas de fraternité qui n’est pas construite et la démocratie n’est pas théorique, elle se construit avec, par et pour les gens. L’exigence de la fraternité vaut
pour tous : élus, habitants et population manouche. Pour un homme politique, ce projet et un sujet casse-gueule. Si on ne le faisait pas, on ne prenait pas de risque, on ne faisait pas de
vague, on n’aurait pas eu de critiques. Mais cela aurait été injuste et indigne de nous. Car la première responsabilité d’un élu, c’est le courage. C’est aussi le courage d’un chrétien engagé. Il
faut être à la pointe du combat républicain » page 44.