Après Mai
d’Olivier Assayas
Camus écrivait déjà dans sa pièce de théâtre Caligula (1945) : « Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde ». Des jeunes nés après guerre, de milieux aisés, ont vécu intensément, en mai 68 puis dans les années suivantes, ce même désir, ce même rêve : en finir avec le vieux monde, avec l’ordre établi, créer enfin du neuf dans tous les domaines. Olivier Assayas, un des cinéastes français les plus reconnus, avait 17 ans en 1971, après Mai, et dans ce film il s’inspire librement de ses souvenirs pour évoquer cette époque, son bouillonnement, sa vitalité, ses contradictions.
Gilles est un lycéen qui vend un petit journal à la sortie du lycée ; il rencontre des militants révolutionnaires, il participe à une manif’ où les jeunes affrontent les CRS, il tague des slogans anarchistes sur la façade de son lycée, avec quelques copains il part se mettre à l’abri en Italie. C’est toute l’atmosphère des premières années 70 que le film évoque, avec ses recherches fiévreuses, pas faciles à tenir ensemble : l’art et la politique, la poésie et l’engagement militant, l’épanouissement individuel et les grands mouvements collectifs. Rien n’est laissé de côté : la nouvelle liberté sexuelle, l’esprit révolutionnaire avec « Rouge », les voyages au Népal, le féminisme et la liberté de l’avortement aux Pays-Bas, la drogue… Mais le talent d’Olivier Assayas est de présenter ce moment sans nostalgie ni idéalisation du passé, avec une retenue qui a dérouté certains de ses admirateurs : plutôt dans un style impressionniste, par une succession de vignettes, sans porter de jugement.
Quel message nous adresse-t-il à travers l’évocation de cette époque ? Tous les jeunes rêvent d’absolu, de dépassement, d’un monde neuf ; mais il n’y a pas d’absolu dans le monde. Gilles dit un moment : « Je suis dans mes imaginations, chaque fois que m’arrive le réel, je lui ferme la porte ». A la fin, il accepte le réel, il entre, comme son père avant lui, dans le monde du cinéma, à Londres, mais par la petite porte. L’art, le cinéma, restent-ils donc une ouverture vers l’absolu ? Dès septembre 1968, dans un petit livre intitulé « Évangile et révolution au cœur de notre crise spirituelle », le théologien Olivier Clément invitait, dans notre monde marqué par l’oubli de Dieu, à un renouveau proprement spirituel : « L’avenir du christianisme, c’est sa capacité d’ouverture à l’Esprit ».
Jacques Lefur