Thérèse Martin : une contestataire inattendue
Quelle place pour les femmes dans l’Église ?
La question des femmes et de leur place dans la société travaille tous les pays du monde depuis de nombreuses décennies, peut-être de nombreux siècles !
Les femmes utilisées souvent dans les sociétés patriarcales comme « monnaies d’échange » n’acceptent plus cette passivité.
Aujourd’hui, elles savent qu’elles sont un enjeu primordial dans tous les domaines, politique, économique, éthique, dans le travail, la famille, l’éducation, la sexualité, la culture… bref, pour l’avenir du monde !
Dans l’Église, où en sommes-nous de cette réflexion… si elle existe ? Comment s’y pose la question des femmes ? Qui la pose ? Qui y répond ?
C’est un sujet trop vaste pour le traiter ici, mais seulement, rendons-nous compte qu’il n’est pas d’aujourd’hui et ne doit rien à une mode passagère. Voici un court extrait d’un ouvrage daté de la fin du XIXe siècle : « Je ne peux comprendre pourquoi les femmes sont si facilement excommuniées en Italie : à chaque instant on nous disait : n’entrez pas ici, n’entrez pas là, vous seriez excommuniées ! Ah, les pauvres femmes : comme elles sont méprisées ! Cependant, elles aiment le Bon Dieu en bien plus grand nombre que les hommes et pendant la Passion de Notre Seigneur, les femmes eurent plus de courage que les apôtres, puisqu’elles bravèrent les insultes des soldats et osèrent essuyer la face adorable de Jésus ! C’est sans doute pour cela qu’Il permet que le mépris soit leur partage sur la terre, puisqu’Il l’a choisi pour lui-même. Au ciel, Il saura bien montrer que ses pensées ne sont pas celles des hommes, car alors les dernières seront les premières… »*
L’avez-vous reconnue ? L’auteur est Thérèse Martin, pour l’Église catholique Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, notre petite sœur en humanité et en féminité… oserais-je, en sororité.
Pourtant, comme au temps de Thérèse, les femmes sont plus nombreuses à fréquenter les églises que les hommes, plus nombreuses à la base, car en haut de la hiérarchie, il n’y en a pas. L’immense foule du peuple croyant est surtout composée de femmes. Elles accompagnent la vie des paroisses avec plus de fidélité et de courage, elles visitent et pansent les malades, essuient les larmes des affligés, elles portent davantage le poids du service et des tâches quotidiennes… et elles reçoivent le « mépris ». Ce mot peut sembler exagéré : c’est Thérèse qui l’utilise. Le mépris, c’est dire qu’elles ne sont pas regardées, entendues pour elles-mêmes, mais seulement pour leur utilité, elles ne peuvent pas vraiment désirer, vouloir, décider par elles-mêmes : la soumission est leur lot jusqu’à ce qu’elles-mêmes oublient qui elles sont, qui elles pourraient devenir.
Il n’est pas besoin, comme le suggère Thérèse, d’attendre le Ciel pour savoir que les pensées de Jésus sur les femmes ne sont pas celles des hommes. Il suffit aujourd’hui d’ouvrir les Évangiles : nulle trace de mépris, d’infériorisation, d’exclusion, mais toujours l’accueil et l’écoute attentive, le respect infini, la parole confiante, le regard renouvelé.
Il y a 2000 ans, Il a libéré la femme adultère du jugement et de la condamnation des hommes. Il a pris ses repas avec des prostituées. Il a rencontré publiquement des femmes étrangères. Il a encouragé Marie à se nourrir de sa Parole comme un disciple, tandis qu’il blâmait Marthe de trop se tracasser pour les soins du ménage. Il a surtout placé des femmes comme témoins privilégiées de sa mort et de sa résurrection. Il leur a donné de voir l’accomplissement de sa mission, et Il a confié à ces êtres peu crédibles sa Parole de Ressuscité pour qu’elles annoncent au monde la stupéfiante nouvelle !
Et puis, pourquoi 20 siècles de christianisme ont-ils mis sous le boisseau l’incroyable parole de Paul sur la fin du racisme, de l’esclavage, de la discrimination sexuelle quand il proclame : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus ni homme, ni femme ; car tous, vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Épitre aux Galates 3,28) ?
De nombreuses femmes sont disciples de Jésus, aujourd’hui comme hier, et même si le « mépris » a la vie dure, elles croient que le temps est venu pour elles de se lever, de reprendre la parole, leur dignité et l’initiative de leur vie. Elles croient qu’en ce début de millénaire de la place qui sera faite aux femmes dépendra l’avenir du monde. Elles croient que la différence ne doit jamais s’exprimer en termes de domination, d’infériorisation, mais seulement d’altérité et de réciprocité. Elles croient que la parole de bonheur confiée aux femmes au matin de Pâques résonne toujours en elles, mais qu’elle est souvent détournée, filtrée, stérilisée. Elles croient qu’un travail des hommes et des femmes pour une nouvelle réciprocité est un immense effort d’accouchement : la naissance de la part féminine de l’humanité à une nouvelle dignité. Elles croient que la différence des sexes doit être reconnue et reçue comme une merveilleuse richesse. Elles croient que Dieu n’est ni homme ni femme, mais qu’en Jésus-Christ réside la perfection du masculin et du féminin réconciliés.
Enfin, elles disent qu’en tout être humain il ya du masculin et du féminin, que ce sont des valeurs égales, divines, et que c’est seulement quand les deux se rencontrent dans un respect total,qu’il peut y avoir fécondité.
Surtout, elles disent qu’il faut en finir avec l’assignation indiscutée des rôles masculins et féminins, laquelle ampute chaque être d’une part de lui-même ; et le rôle féminin est, souvent, le plus dévalorisé.
Mère, épouse, vierge, voilà le sort idéal proposé aux femmes. Thérèse, revenons à elle, ne s’en satisfait pas : « Être ton épouse, ô Jésus, être carmélite, être par mon union avec toi la mère des âmes, cela devrait me suffire… il n’en est pas ainsi… sans doute ces trois privilèges sont bien ma vocation, carmélite, Épouse et Mère ; cependant, je sens en moi d’autres vocations, je me sens la vocation de GUERRIER, de PRÊTRE, d’APÔTRE, de DOCTEUR, de MARTYR, enfin je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi, Jésus, toutes les œuvres les plus héroïques… Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Église. »*
La vocation de Thérèse l’appelle à prendre en compte, et à faire vivre en elle, le féminin et le masculin. L’Esprit Saint ne nous pousse-t-il pas à cette exigence ? En tout cas, Il nous pousse à parler et dire notre espérance.
L’avancée des femmes pour plus de dignité, de justice dans la société et l’Église nous engage à combattre toutes les violences, les pauvretés, les exploitations, les discriminations de toute sorte, afin que ce monde soit, enfin, redonné dans sa beauté, ensemble, aux femmes, aux hommes, aux enfants.
* Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face : Histoire d’une âme, manuscrits autobiographiques (CERF-DDB)