Moi, Ève
On m’a fait une réputation… Incroyable ! De la diffamation !
D’abord, je ne m’appelle pas Ève, mais Adam, comme l’Autre !
Nés ensemble, ou plutôt unique, de la même poussière, mâle et femelle.
Dieu nous a donnés une super mission : être fécond et multiple, remplir la terre, conquérir et commander !
C’était plutôt bien !
Dieu était content de son travail au sixième jour : il s’est même reposé le septième pour admirer sa création.
Je suis une vieille femme aujourd’hui et je vais vous raconter, moi, comment ça s’est vraiment passé !
Dieu tout puissant s’ennuyait un peu. Et puis le monde était triste. Chacun à sa place, les animaux, les plantes, le ciel, les flots ; et puis l’adam. Le ronron de l’éternité. Déprimant, même pour Dieu. Mais Dieu avait une idée derrière la tête !
Dieu a installé l’adam poussière dans un jardin superbe, un lieu de délices, l’Éden. Adam était heureux dans son Éden, besoin de personne ! Il était libre, mais pas tout à fait ; à cause de cet arbre de la connaissance du bien et du mal auquel il ne fallait pas toucher, ordre de Dieu… C’est là que tout a commencé !
Il a bien vu, Dieu, que quelque chose clochait. Dieu sait bien que l’unique, ce n’est pas bon ; rien en face à face, l’orgueil sans limite, le débat entre soi et soi : impossible, il l’a bien compris, Dieu, qui avait fait des couples pour toutes les autres créatures… L’orgueil au point que l’homme pourrait se prendre pour Dieu, d’autant qu’il l’avait fait à son image… Il l’avait bien cerné, l’adam !
Dieu décide que l’adam a besoin d’un aide (un, vous notez au passage que c’est Un, car alors, on ne distingue pas un ou une...). Mais l’adam est un tout. Alors, il a pris sa moitié, tout son côté, et de un l’adam est devenu deux ; une moitié devint l’homme, mâle avec un sexe, et moi, l’autre moitié, devint femelle, avec un sexe aussi, mais différent. D’ailleurs, pourquoi dit-on que je suis sortie de lui ? Chacun de nous est sorti de l’unique : ce n’est pas la même chose ! Histoire écrite par des hommes, c’est sûr ! Même que le rédacteur donne à l’homme le nom du tout, Adam ; c’est la meilleure… Mais moi, la moitié de l’adam, je l’appelle l’homme, comme il m’appelle la femme !
Alors la femme – moi – je débarque pour être un miroir, une (ça y est, on sait qu’il y a un ou une) aide à vivre, un secours. Attention, pas une servante, une bonniche, une qui doit dire oui à tout ! Non, une égale, une vraie moitié. Juste pour faire comprendre à l’homme qu’il existe dans la différence avec moi. L’altérité, en quelque sorte, une femelle, une femme. Mais tiens, voici que l’homme parle ; et pour dire quoi ? Que je suis sa chose : « os de ses os, chair de sa chair, la femme qui de l’homme est prise ». C’est fou : voici que maintenant, je suis cette chose qui le complète, qu’il veut pour lui. C’est à voir !
Justement, voici le serpent. Une des créatures de Dieu. Lui, il me voit autrement que l’homme ; une interlocutrice, une partenaire. Il s’adresse à moi ; c’est qu’il pense que j’ai de l’importance ! Et au moins, je ne suis pas sa chose. Il me suggère de manger de l’arbre de la connaissance. D’accord, c’était interdit ; enfin inter-dit à adam : est-ce toujours d’actualité ? Et le serpent me dit que ce sera bon ; et si c’est bon, pourquoi pas ? Restons positifs ! Je me souviens qu’on a parlé d’une Loi, et d’un risque de mort : fais pas ci,… mais moi, je n’ai pas peur, et je ne sais pas ce qu’est la mort. Et puis j’ai le désir de la nouveauté, de l’expérience, de l’inconnu. Et je veux décider moi-même de ce qui est bien pour moi.
Et mieux, si c’était Dieu qui m’envoyait le serpent ? Mais c’est bien sûr. Dieu veut donc finalement qu’on s’approprie la connaissance. Donc, nous ne sommes pas des marionnettes, des jouets pour lui. Il a raison, le serpent. Je goûte. Tiens l’homme, goûte aussi ! Pas un instant d’hésitation ; il a envie aussi !
C’est l’éblouissement : voici pourquoi Dieu nous a mis dans son Éden ! Nous sommes envahis de désir et nous nous unissons, redevenant un comme le premier adam.
Tiens, Dieu appelle l’homme. Dieu était-il caché derrière les buissons pour voir si son stratagème allait marcher ? Pas courageux l’homme : il n’assume pas ; il m’accuse d’avoir mangé et de l’avoir entraîné. Moi, normal, j’accuse le serpent ! Mais je ne crois pas que Dieu soit vraiment en colère. Jusqu’à ce que je mange du fruit, c’était le patron, il l’avait sans partage, le pouvoir… et quand il nous a créés, il nous a bien dit de croître et multiplier... comment faire alors ? Donc, qu’on ne me dise pas qu’il a été vraiment surpris !
D’aucuns parlent de la faute originelle : mais si on devient plus fort, plus autonome, où est la faute ? Au contraire, voici que la créature de Dieu devient capable de collaborer avec Dieu, de prendre la relève, pour continuer à construire le monde.
Dieu se fâche (ou il fait semblant) : nous devenons mortels (j’ai compris maintenant ce que ça signifie) ; on va devoir/pouvoir travailler, devoir/pouvoir enfanter. Mais ce n’est pas malédiction ! C’est merveille ! On va construire le monde, avec Dieu, comme Dieu. D’accord, il nous prévient que ce ne sera pas facile mais la difficulté et l’erreur sont le prix de la responsabilité. Il dit aussi que l’homme sera le maître de la femme (alors, ça, c’est juste en apparence, parce que si vous lisez toute la suite de l’Histoire, vous verrez que les femmes ont eu beaucoup de pouvoir !).
L’homme devient très amoureux ; l’homme me donne un nom, comme Adam avait auparavant donné un nom à toutes les créatures ; je m’appelle Ève, la vivante, la mère de tous les vivants. Je ne sais pas encore ce qu’est une mère. Mon ventre grossit : je crois bien que c’est cet éblouissement, je dirai mieux, cet enthousiasme, qui a mis la machine de la vie en route, en mettant Dieu en tout dans le monde.
Nous devenons une seule chair. Nous engendrons une descendance. Ma vie n’est pas ma seule richesse, mon seul objectif, car il y a au-delà de moi des ferments de la vie qui continue, un absolu de la création, la Vie avec un grand V : je vis et je meurs, et d’autres vivront et d’autres mourront et ainsi de suite la création continuera.
Avec l’homme j’ai conçu Caïn. Oui, Dieu m’a donné Caïn, « j’ai gagné un homme avec Dieu » , puis un deuxième et d’autres encore. Être mère, c’est mon truc désormais. Là, je ne suis plus un objet : à mon tour, je crée. Je ne vais pas garder pour moi mes filles et mes fils, pourtant « os de mes os, chair de ma chair ». Dur, dur ! Ah ! Pourquoi Dieu veut il donc « que l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme » ?
Mais que dis-je ? Serai-je à mon tour comme Adam ? Deviendrai-je possessive ? Je sais que mes petites-filles auront du mal à sevrer leurs garçons : souvent, elles voudront les mettre en avant, pour qu’ils soient chefs. Ah, Sarah, Rebecca, Rachel, et tant d’autres ! Certes, il s’agissait de construire l’Histoire d’Israël. Avec leur ventre.
Mais pas seulement : regardez Rahab, la prostituée du rempart de Jéricho, première indic ; Esther, la belle diplomate, Judith, l’agent secret et d’autres.
Et bien longtemps après , quand Dieu a voulu aller à la rencontre de son peuple en s’engendrant dans un fils : Marie, le grande Marie : c’est elle qui a mis Jésus, son fils et le fils de Dieu, sur la rampe de lancement : à Cana, il avait un peu peur : c’est elle qui lui a dit : « ils n’ont pas de vin », une façon de lui dire : « vas-y , fais quelque chose, tu le peux , et c’est le moment ». Elle avait engendré un fils de chair et à Cana elle enfante Dieu. Pas mal, non ?
Jésus, lui, a bien compris que nous, les femmes, nous n’étions pas seulement des mères : elles ont été son messager autant que les hommes et n’ont jamais douté : Marie Madeleine, Marthe, la femme de Souza, celle de Cléophas , et même la femme de Pilate. Et c’est à l’une d’entre elles, la Samaritaine, qu’il a donné son plus grand message : « Bientôt viendra le temps où ce n’est ni sur la montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père…. Dieu est souffle, et ceux qui adorent doivent adorer par le souffle de vérité. » Et encore… Le Messie, « c’est moi qui le suis ».
Mon histoire dans le Livre est courte… Comme si, une fois que j’ai été mère, il n’y avait plus rien à attendre de moi. Mais regardez-les, toutes les Ève qui, mille après mille, ont porté le monde, et regardez toutes celles qui, mille après mille, le porteront encore.
Mais vous connaissez la dernière ? L’évêque de Paris, la capitale de la France, le pays des Lumières, dit-on, où les femmes sont les égales des hommes, un évêque cardinal en plus, donc conseiller du pape… le chef en blanc, eh bien il vient de dire que les femmes ne devaient pas se contenter d’avoir une jupe ; il fallait qu’elles aient aussi un cerveau ! D’abord, lui, je l’ai vu en jupe… et dans de grandes occasions, comme si la jupe alors conférait un prestige, une compétence, une autorité particuliers. Mais des cerveaux, de la matière grise, il plaisante ! Elles en ont ! Qu’il relise la Bible ! Il y en a partout du cerveau : malignes et assidues, et dures à la tâche, et fidèles. Elles en veulent et ça marche ! Qu’il se demande plutôt ce qu’il ferait sans les jupes !
Bon, je me calme. Mais ce serait tellement mieux s’il y avait des jupes au milieu des chefs sur éduqués, surprotégés et si loin du monde et de ses tracas.
Bon, les filles, on ne baisse pas la garde !
Avec l’aide de:
- René Guyon : Mais que cachait donc la feuille de figuier ?
- Paul-Laurent Assoun, psychanalyste : conférence au temple du Luxembourg du 24.01.09
- France Quéré : Les femmes de l’Évangile
- Martine de Sauto : Les femmes habitent les écritures saintes (La Croix, 26.11.06)
Et l’enseignement de tous mes maîtres, prêtres, pasteurs, témoins laïcs.