Jésus, violent ou non-violent ?
Dimanche dernier nous avons lu dans nos églises le texte bien connu des vendeurs chassés du Temple en Jean 2,13-22, où on voit Jésus se fabriquer un fouet avec des cordes et faire place nette en disant : « ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce ! »
Cet épisode, dont l'historicité paraît reconnue, mais peut amener le lecteur à se demander pourquoi Jésus n'a pas été arrêté à ce moment-là (seul Jean le situe au début de son évangile) évoque quelques textes du Premier Testament : À vos yeux, est-ce un repaire de brigands, ce Temple qui porte mon nom ? (Jérémie 7,11) ; il n'y aura plus de marchand dans la maison du Seigneur Sabaot, en ce jour là (Zacharie 14,21), ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples (Isaïe 56,7) ou le zèle de ta maison me dévore (Psaume 69,10).
Apparemment très facile à comprendre, il pose quand même une question fondamentale : Jésus a-t-il usé de violence physique contre les marchands du Temple ?
Car il est écrit dans la traduction liturgique catholique de la Bible (qu'on appellera TLB) : [Jésus] trouva installés dans le Temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs bœufs.
Elle écrit donc clairement : tous... ainsi que leurs brebis et leurs bœufs…
La traduction de la Bible de Jérusalem et de la T.O.B. est : il les chassa tous du Temple, et les brebis et les bœufs, ce qui est un peu équivoque mais semble bien signifier qu'il ne chassa à coups de fouet que les brebis et les bœufs.
Car le texte grec est : Pantas exebalen ek tou hierou ta te probata kai tous boas, où on ne trouve aucune trace d'un mot grec équivalent à ainsi que, qu’utilise la TLB (pas plus d'ailleurs que du mot leurs, qu’elle utilise deux fois) !
L'expression grecque te... kai signifie, sans équivoque possible : à la fois... et..., comme chez l'écrivain grec Thucydide (1,29) ta t'erga omoios kai tous logous, qui signifie : à la fois les actes et les paroles (cf. Dictionnaire Grec-Français de Bailly, page 1904)
Pour ma part, j'écrirais donc : il les chassa tous du Temple, à la fois les brebis et les bœufs.
TOUT CELA N'EST PAS NEUTRE, car la traduction liturgique dit explicitement que Jésus chasse les vendeurs (des ÊTRES HUMAINS) à coups de fouet, alors que l'évangile original dit en fait qu'il ne chasse QUE LES ANIMAUX.
Et pour bien s'enfoncer dans le contresens, qui est aussi une CONTRE-VÉRITÉ, la TLB ajoute des adjectifs possessifs (se rapportant aux marchands) aux noms des animaux !
Mais… la traduction de la Vulgate et de la Néo-Vulgate, est : omnes eiecit de templo, oves quoque et boves, soit : il les chassa tous du temple, les brebis aussi et les bœufs.
Une fois de plus, la traduction liturgique suit le texte de saint Jérôme, dont on a vu – et on verra sans doute encore de nombreuses fois – qu’il n’hésite pas à être une interprétation non conforme au texte original et donc, osons le mot, une trahison de ces textes.
Jésus violent ou non-violent ? Voilà la question à laquelle répond la traduction liturgique de l'Église catholique, malheureusement de façon inadmissible. Car, si Jésus a été violent contre des hommes en paroles, je suis persuadé qu'il ne l'a jamais été en actes.
Je vous avoue que je commence à en avoir assez de piquer de (saintes) colères en assistant à la messe et me demande avec anxiété quand l'Église catholique en France va se décider à éditer une nouvelle traduction largement revue et CORRIGÉE à partir du texte original. Car il y a de ce genre bien d'autres exemples, moins graves, heureusement (cf. l'article Je ne suis pas ce que je suis...).
Quand j'écris à l'organisme « compétent », on me répond en substance que cette traduction a été faite par tous les plus grands exégètes, cardinaux, etc. etc. et que ce n'est pas moi, pauvre catholique de base, qui vais y changer quelque chose.
Mais, comme chante Bruel, je te le dis quand même, [car] je t'aime, mon Église, et je suis infiniment malheureux de voir ce que tu écris là !
René Guyon